EHRM, 02-03-2010, nr. 16147/08
ECLI:NL:XX:2010:BO4631
- Instantie
Europees Hof voor de Rechten van de Mens
- Datum
02-03-2010
- Magistraten
Ireneu Cabral Barreto, Françoise Tulkens, Vladimiro Zagrebelsky, Danutė Jočienė, Dragoljub Popović, András Sajó, Işıl Karakaş
- Zaaknummer
16147/08
- LJN
BO4631
- Roepnaam
Bouglame/België
- Vakgebied(en)
Internationaal publiekrecht (V)
- Brondocumenten en formele relaties
ECLI:NL:XX:2010:BO4631, Uitspraak, Europees Hof voor de Rechten van de Mens, 02‑03‑2010
Uitspraak 02‑03‑2010
Ireneu Cabral Barreto, Françoise Tulkens, Vladimiro Zagrebelsky, Danutė Jočienė, Dragoljub Popović, András Sajó, Işıl Karakaş
Partij(en)
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 16147/08
présentée par Hamid BOUGLAME
contre la Belgique
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant le 2 mars 2010 en une chambre composée de :
Ireneu Cabral Barreto, président,
Françoise Tulkens,
Vladimiro Zagrebelsky,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş, juges,
et de Sally Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 3 avril 2008,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
En fait
Le requérant, M. Hamid Bouglame, est un ressortissant néerlandais, né en 1984 et résidant à Rotterdam. Il est représenté devant la Cour par Mes M. Neve et I.N. Weski, avocats à Liège et Rotterdam respectivement.
A. Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le 30 mai 2007, le requérant fut arrêté à Amsterdam sur base d'un mandat européen décerné à son encontre le 30 avril 2007 par un juge d'instruction de Liège, mandat fondé sur un mandat d'arrêt décerné par défaut le même jour par le même juge.
Par une décision du 28 août 2007 de la Internationale Rechtshulpkamer du tribunal d'Amsterdam, le requérant fut extradé vers la Belgique le 31 août 2007.
Entendu le jour même au sujet des faits qui lui étaient reprochés par les enquêteurs belges, le requérant tint les propos suivants :
‘ Je ne souhaite pas répondre aux différentes questions ayant trait aux faits qui me sont reprochés et ce, suite aux conseils de mon avocat néerlandais. Ce dernier m'a demandé de ne répondre à vos questions qu'après avoir eu un entretien avec mon avocat belge, Maître Nève Marc. ’
Quelques heures plus tard, entendu par le juge d'instruction de Liège, le requérant déclara :
‘ Je confirme la déclaration que j'ai faite à la police fédérale de Liège. Je suis disposé, le cas échéant, à m'expliquer davantage dès que j'aurai vu mon avocat. Vous m'informez que les éléments du dossier en votre possession permettent de considérer que je suis impliqué dans un trafic international de stupéfiants, à tout le moins entre le 01/08/06 et le 30/04/07.
Je confirme que je ne souhaite pas m'exprimer à ce sujet tant que je n'ai pas vu mon avocat. ’
Au terme de l'interrogatoire et après avoir été inculpé, le requérant rajouta :
‘ Je ne souhaite rien dire à ce sujet jusqu'à ce que j'aie vu mon avocat. (…) Quant à la possibilité de décerner un mandat d'arrêt, je n'ai rien à dire quant à cela, mais je souhaiterais savoir quand je vais voir mon avocat. ’
Le juge d'instruction décerna alors un mandat d'arrêt à charge du requérant.
Par une ordonnance du 5 septembre 2007, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Liège confirma le mandat d'arrêt précité.
En réponse au moyen du requérant qui faisait valoir qu'en n'organisant aucun accès possible à un avocat avant même une première décision judiciaire, soit celle prise par le juge d'instruction de décerner un mandat d'arrêt, la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive violait l'article 6 § 3c) de la Convention, la chambre du conseil considéra que les juridictions d'instruction n'étaient pas assujetties aux prescriptions de l'article 6.
Par un arrêt du 20 septembre 2007, la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Liège confirma l'ordonnance précitée. Elle releva que le mandat d'arrêt avait été délivré conformément à la législation applicable et que, d'ailleurs, la Cour d'arbitrage avait dit pour droit que l'article 16 de la loi du 20 juillet 1990 ne violait pas les articles 10 et 11 de la Constitution, combiné ou non avec les articles 5 et 6 de la Convention (arrêt no 59/01 du 8 mai 2001).
Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt. Par un arrêt du 3 octobre 2007, la Cour de cassation jugea ainsi :
‘ (…) le droit prévu par l'article 6 § 3c) (…) s'applique devant le juge qui doit statuer sur le bien-fondé de l'action publique. (…) cette disposition ne s'applique pas à l'interrogatoire, prescrit par l'article 16 § 2 de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive, de l'inculpé par le juge d'instruction avant la délivrance du mandat d'arrêt. (…) Par ailleurs, du seul fait que ni l'article 16 § 2 précité, ni aucune autre disposition légale ne prévoient que, lors de cet interrogatoire ou avant celui-ci, un avocat assiste l'inculpé, il ne pourrait se déduire que le droit à un procès équitable devant la juridiction de jugement, consacré par l'article 6 § 1 de ladite Convention, risquerait d'être gravement compromis ou l'exercice des droits de la défense d'être entravé tant devant les juridictions d'instruction que de jugement. ’
Par une ordonnance du 11 décembre 2007, le requérant fut renvoyé devant le tribunal correctionnel de Liège. Le 15 février 2008, le tribunal correctionnel acquitta le requérant. Le procureur avait requis à son encontre une peine de sept ans d'emprisonnement. Le requérant recouvra sa liberté le même jour.
Le procureur introduisit un appel contre ce jugement.
Par un arrêt du 7 novembre 2008, la cour d'appel de Liège confirma le jugement de première instance et acquitta le requérant. Elle releva qu'il subsistait un doute quant au fait de savoir si le requérant s'identifiait réellement à la personne prénommée ‘ Hamid ’ dirigeant l'organisation criminelle décrite au dossier de la procédure. L'absence de toute enquête aux Pays-Bas, tant sur les activités et fréquentations du prévenu que sur l'organisation par le prévenu de l'approvisionnement en produits stupéfiants, ne permettait pas de lever ce doute.
B. Le droit interne pertinent
L'article 16 de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive dispose notamment :
‘ § 1er. En cas d'absolue nécessité pour la sécurité publique seulement, et si le fait est de nature à entraîner pour l'inculpé un emprisonnement correctionnel principal d'un an ou une peine plus grave, le juge d'instruction peut décerner un mandat d'arrêt.
(…)
§ 2. Sauf si l'inculpé est fugitif ou latitant, le juge d'instruction doit, avant de décerner un mandat d'arrêt, interroger l'inculpé [sur les faits qui sont à la base de l'inculpation et qui peuvent donner lieu à la délivrance d'un mandat d'arrêt] et entendre ses observations. A défaut de cet interrogatoire, l'inculpé est mis en liberté.
Il doit également informer l'inculpé de la possibilité qu'un mandat d'arrêt soit décerné à son encontre, et l'entendre en ses observations à ce sujet. A défaut de respect de ces conditions, l'inculpé est mis en liberté.
(…) ’
Grief
Invoquant l'article 6 § 3c) de la Convention, le requérant se plaint que le fait de l'avoir empêché d'avoir un contact avec son conseil avant d'être interrogé par le juge d'instruction a porté atteinte à l'équité de la procédure.
En droit
Le requérant voit une violation de ses droits de la défense dans le fait qu'il s'est vu dénier l'accès à un avocat pendant sa garde à vue. Il allègue une violation de l'article 6 § 3c) de la Convention, aux termes duquel :
- ‘ 3.
Tout accusé a droit notamment à :
(…)
- c)
se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent. ’
Le requérant soutient qu'à défaut d'organiser la possibilité d'un accès à un avocat avant même une première décision judiciaire, à savoir celle prise en l'espèce par le juge d'instruction de décerner un mandat d'arrêt, la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive viole l'article 6 § 3c). Cet interrogatoire a eu des conséquences déterminantes pour les perspectives de la défense lors de la poursuite de la procédure. S'il avait pu compter sur l'assistance d'un avocat, il aurait sans doute pu éviter d'être placé sous mandat d'arrêt et, en conséquence, comparaître libre devant le tribunal correctionnel appelé à statuer sur le bien-fondé des infractions mises à sa charge.
La Cour a déjà jugé que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l'article 6 § 1 demeure suffisamment ‘ concret et effectif ’, il faut, en règle générale, que l'accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d'un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l'espèce, qu'il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit. Même lorsque des raisons impérieuses peuvent exceptionnellement justifier le refus de l'accès à un avocat, pareille restriction — quelle que soit sa justification — ne doit pas indûment préjudicier aux droits découlant pour l'accusé de l'article 6 (voir, mutatis mutandis, Magee c. Royaume-Uni, no 28135/95, § 44, CEDH 2000-VI). Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d'un interrogatoire de police subi sans l'assistance possible d'un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation (Salduz c. Turquie, no 36391/02, § 55, 27 novembre 2008). Il s'agit dans chaque cas de savoir si la restriction au droit d'être défendu par un avocat est justifiée et, dans l'affirmative, si, considérée à la lumière de la procédure dans son ensemble, elle a ou non privé l'accusé d'un procès équitable (ibid. § 52).
Dans l'arrêt Dayanan c. Turquie (no 7377/03, 13 octobre 2009), la Cour a précisé que le fait de priver systématiquement une personne gardée à vue de l'assistance d'un avocat sur la base des dispositions pénales pertinentes suffit à conclure à un manquement des exigences de l'article 6, nonobstant le fait que le requérant ait gardé le silence au cours de sa garde à vue.
En l'espèce, la Cour relève que le refus de permettre au requérant d'avoir accès à son avocat a été motivé par l'état de la législation en vigueur, à savoir l'article 16 § 2 de la loi du 20 juillet 1990 qui ne prévoit pas l'assistance d'un avocat au cours de l'interrogatoire par le juge d'instruction ou avant celui-ci. Dans l'affaire Salduz précitée, face à un argument du Gouvernement turc qui consistait à dire que le refus de l'accès à un avocat était la conséquence de l'application sur une base systématique des dispositions légales existantes, la Cour a répondu qu'en soi, cela devait suffire à faire conclure à un manquement aux exigences de l'article 6 (§ 56).
Toutefois, la Cour note que la présente affaire se distingue nettement des affaires Salduz et Dayanan précitées. Dans celles-ci, les requérants avaient été déclarés coupables et condamnés à de lourdes peines d'emprisonnement. En revanche, en l'espèce, s'il est vrai que le juge d'instruction a décerné un mandat d'arrêt contre le requérant, le requérant a été par la suite acquitté tant par le tribunal correctionnel que par la cour d'appel et cet acquittement est devenu définitif. Or, le requérant ne pouvait obtenir une issue plus favorable du procès et ainsi, grâce à l'utilisation des voies de recours internes, le défaut dont était entachée la procédure doit être considéré comme ayant été redressé (voir, mutatis mutandis, les décisions de la Commission Stromillo c. Italie, 15831/89, 25 février 19991, Décisions et Rapports 69, p. 317 ; Byrn c. Danemark, 13156/87, 1er juillet 1992, Décisions et Rapports 73, p. 5 et C.C. c. Italie, 29321/95, 21 octobre 1997, Décisions et Rapports 91, p. 37).
A cet égard, la Cour rappelle qu'il est de jurisprudence constante qu'à la suite d'un acquittement ou de l'annulation d'une condamnation, le requérant ne peut pas être considéré comme ‘ victime ’ des droits garantis par l'article 6 de la Convention (voir, parmi beaucoup d'autres, Ustün c. Turquie, no 37685/02, § 24, 10 mai 2007 ; Sharomov c. Russie, no 8927/02, § 36, 15 janvier 2009 ; Komyakov c. Russie (déc.), no 7100/02, 8 janvier 2009 et Oleksy c. Pologne (déc.), no 1379/06, 16 juin 2009).
La Cour note par ailleurs que le requérant, qui était placé en détention provisoire, n'invoque pas la violation d'un autre article de la Convention, notamment l'article 5 de celle-ci. Le fait que le requérant a été détenu provisoirement, du 31 août 2007 au 15 février 2008, n'a pas d'incidence quant à son grief relatif à l'article 6 (voir, mutatis mutandis, Witkowski c. Pologne (déc.), no 53804, 4 février 2003 ; Andrei Georgiev c. Bulgarie, no 61507/00, 26 juillet 2007 ; Komyakov c. Russie précitée).
Dans ces circonstances, prenant en considération l'ensemble de la procédure, la Cour estime qu'en l'espèce, l'impossibilité pour le requérant de se faire assister par un avocat avant son interrogatoire par le juge d'instruction n'a pas nui à l'équité de la procédure.
Il s'ensuit que la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Sally Dollé
Greffière
Ireneu Cabral Barreto
Président