EHRM, 24-08-2010, nr. 4901/04
ECLI:NL:XX:2010:BR6659
- Instantie
Europees Hof voor de Rechten van de Mens
- Datum
24-08-2010
- Magistraten
Josep Casadevall, Corneliu Bîrsan, Boštjan M. Zupančič, Alvina Gyulumyan, Egbert Myjer, Luis López Guerra, Ann Power
- Zaaknummer
4901/04
- LJN
BR6659
- Roepnaam
I.L.V./Roemenië
- Vakgebied(en)
Internationaal publiekrecht (V)
Personen- en familierecht (V)
- Brondocumenten en formele relaties
ECLI:NL:XX:2010:BR6659, Uitspraak, Europees Hof voor de Rechten van de Mens, 24‑08‑2010
Uitspraak 24‑08‑2010
Josep Casadevall, Corneliu Bîrsan, Boštjan M. Zupančič, Alvina Gyulumyan, Egbert Myjer, Luis López Guerra, Ann Power
Partij(en)
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 4901/04
présentée par I.L.V.
contre la Roumanie
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant le 24 août 2010 en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,
Corneliu Bîrsan,
Boštjan M. Zupančič,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer,
Luis López Guerra,
Ann Power, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 10 décembre 2003,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
En fait
1.
Le requérant, M. I.L.V., est un ressortissant roumain, né en 1954 et résidant à Cluj-Napoca. La chambre a décidé d'accorder ex officio l'anonymat au requérant (article 47 § 3 du règlement). Il est représenté devant la Cour par Me Eugen Iordăchescu, avocat à Cluj-Napoca. Le gouvernement roumain (‘ le Gouvernement ’) est représenté par son agent, M. Răzvan-Horaţiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.
A. Les circonstances de l'espèce
2.
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
3.
Durant l'année 1988, le requérant eut une relation avec L.C. Au cours de la même année, L.C. tomba enceinte. Le requérant fut informé de sa grossesse en juin 1988. Au début du mois d'octobre 1988, ils décidèrent de vivre ensemble mais ils se séparèrent après trois semaines de vie commune. Le 20 mars 1989, L.C. donna naissance à une fille, A.
1. Action en recherche de paternité
4.
En 1990, L.C., en sa qualité de mère de A., saisit le tribunal de première instance de Cluj-Napoca d'une action en recherche de paternité contre le requérant. Elle demanda également au tribunal de lui attribuer la garde de l'enfant et d'autoriser A. à porter le nom de famille du requérant. Deux témoins furent entendus par le tribunal, à savoir le père et la sœur de L.C. Une expertise dermatologique et une autre sérologique furent versées au dossier, leurs conclusions indiquant que le requérant faisait partie de la catégorie d'hommes qui pouvaient être le père biologique de A.
5.
Le requérant, ayant des doutes sur sa paternité vis-à-vis de A., demanda la réalisation d'examens sérologique plus élaborés, en faisant valoir l'existence de substances et de tests plus performants à l'étranger. Il fut informé que des telles analyses n'étaient pas techniquement réalisables à l'Institut de médicine légale de Bucarest.
6.
Par un jugement du 22 mars 1990, le tribunal fit droit à l'action de L.C. et reconnut le requérant comme père de A. Il retint que, d'après les déclarations de L.C. et des témoins, L.C. et le requérant avaient eu des relations intimes à partir de juin 1988 et qu'en octobre 1988 ils avaient vécu ensemble, après que ce dernier ait été informé de l'état de grossesse de L.C. Le tribunal fonda également son jugement sur le fait que la période légale de conception allait du 8 juin au 1er juillet 1988 et que, comme il ressortait des rapports d'expertise versés au dossier, il n'était pas exclu que le requérant soit le père de A. Le tribunal autorisa A. à porter le nom du requérant et attribua la garde de l'enfant à L.C.
7.
Ce jugement devint définitif, le requérant n'ayant pas interjeté recours à son encontre.
8.
Sur demande de L.C., par une ordonnance du 8 juin 1990 rendue en chambre du conseil, le tribunal ordonna la saisie de la moitié du salaire du requérant à titre de pension pour A. Il était fait état dans cette ordonnance de ce que le requérant était tenu de verser une telle pension à A. jusqu'à ses dix-huit ans.
2. Action tendant à obliger L.C. et A. à se soumettre à un test ADN
9.
Le 26 février 2003, le requérant saisit le tribunal de première instance de Cluj-Napoca d'une action contre L.C. et A., tendant à les obliger à se soumettre à un examen sanguin et au test ADN, tous les frais étant à sa charge. Il faisait valoir qu'il était persuadé ne pas être le père biologique de A., et que, l'évolution des moyens de preuve, plus particulièrement le test ADN, qui était d'une grande précision, lui permettait de le prouver. Il ajouta que la recherche ADN n'était pas réalisable en Roumanie à l'époque de l'action en recherche de paternité (paragraphe 5 ci-dessus). Il souligna que si le test ADN prouvait qu'il n'était pas le père biologique de A., il pourrait saisir les juridictions nationales d'une demande en révision du jugement du 22 mars 1990, s'appuyant sur l'article 322 § 5 du code de procédure civile (‘ CPC ’).
10.
Par un jugement du 20 mars 2003, le tribunal rejeta son action, au motif que la filiation de A. avait été établie définitivement par un jugement passé en force de chose jugée. Il jugea que l'action portait atteinte à la sécurité des rapports juridiques et qu'elle n'avait pas d'intérêt juridique dans la mesure où la filiation de A. avait été établie.
11.
Le requérant interjeta appel, en faisant valoir que l'action présentait un intérêt juridique tant pour lui-même que pour l'ordre social et pour A. qui devait connaître la vérité sur son état civil. Bien que le jugement du 22 mars 1990 ait été fondé sur des expertises médico-légales, ces dernières n'étaient pas d'une grande précision à l'époque. Or, avec l'évolution scientifique des dernières années, des tests plus fiables, tel que le test ADN, étaient devenus accessibles en Roumanie, ce qui permettait d'avoir une très grande précision dans l'établissement des liens de parenté. Selon le requérant, une décision de justice qui ne correspondait pas à la vérité était purement formelle et sa révision s'imposait.
12.
Par un arrêt du 26 mai 2003, le tribunal départemental de Cluj rejeta l'appel, au motif que l'action n'avait pas d'intérêt juridique. Le tribunal s'exprima dans les termes suivants :
‘ Même si un intérêt formel existe, découlant de la volonté du requérant d'écarter les doutes quant à la filiation de la mineure [A.], et des besoins de l'ordre social, la légitimité de cet intérêt n'est pas prouvée en l'espèce, les prétentions du requérant ne trouvant pas leur source dans un rapport juridique protégé par la loi.
L'intention du requérant d'engager une éventuelle demande en révision n'est pas suffisante pour justifier son intérêt, dans la mesure où, d'une part, le requérant n'a pas prouvé l'existence d'un cas de révision, et d'autre part, les investigations médicales étant seulement consignées dans un acte extrajudiciaire (…), n'auraient aucune finalité, aucune importance, dans une demande en révision. ’
13.
Le requérant forma un recours en réitérant ses moyens d'appel et en soulignant que l'autorité de la chose jugée du jugement du 22 mars 1990 devait être conciliée avec le principe selon lequel la justice était fondée sur la vérité.
14.
Par un arrêt définitif du 22 septembre 2003, la cour d'appel de Cluj-Napoca rejeta le recours. Elle constata que depuis treize ans, A. bénéficiait d'un état civil en tant qu'enfant du requérant, avec deux conséquences juridiques importantes : la présomption que son état civil correspondait à la réalité et la présomption irréfragable de l'existence légale de l'état civil utilisé. La cour d'appel nota également que le requérant ne pouvait pas justifier l'intérêt de son action par son intention d'engager une demande en révision, dans la mesure où une expertise ne constituait pas une ‘ pièce ’ au sens de l'article 322 § 5 du CPC. Après avoir noté qu'il n'était pas contesté que le requérant justifiait d'un intérêt moral pour engager l'action, à savoir celui de savoir s'il était réellement le père de A., se fondant sur l'article 26 de la Constitution, la cour d'appel estima que cet intérêt devait être mis en balance avec l'intérêt de l'enfant. Selon elle, dans l'intérêt de l'enfant, il était inutile d'établir une paternité biologique distincte de la filiation. Sur ce point, elle jugea que :
‘ Les relations de famille établies entre les parties défenderesses, mère et fille, sont bâties, outre le sentiment d'affection, sur le sentiment de confiance. Le contenu de ce dernier est lié de manière indissoluble aux conclusions de la décision de justice établissant sa paternité, à savoir que la mineure est née à la suite de la relation que sa mère a eue avec le requérant. La conviction de la mineure qu'elle est née à la suite des relations de sa mère avec le requérant serait perturbée si elle était obligée de se soumettre à un test ADN, quel que soit son résultat, et pourrait affecter gravement ses relations avec sa famille, plus particulièrement avec sa mère. Une telle obligation porterait atteinte au droit de [A.] au respect de sa vie privée et familiale, et affecterait son équilibre affectif et mental. ’
B. Le droit interne pertinent
15.
L'article 26 de la Constitution est ainsi libellé :
‘ Les autorités publiques respectent et protègent la vie intime, familiale et privée. La personne physique a le droit de disposer d'elle-même sans porter atteinte aux droits et libertés d'autrui, à l'ordre public et aux bonnes mœurs. ’
16.
En vertu des articles 56, 59 et 60 du code de la famille, l'établissement de la paternité d'un enfant né hors mariage peut être réalisé par reconnaissance et par décision de justice. Le titulaire de l'action en recherche de paternité est l'enfant. Une telle action peut être engagée en son nom par sa mère ou son représentant légal, dans un délai d'un an à partir de sa naissance.
17.
Les articles pertinents du code de procédure civile sont ainsi libellés :
Article 109
‘ Toute personne qui prétend avoir un droit à l'égard d'une autre personne doit faire une demande auprès du tribunal compétent. ’
18.
La condition d'admissibilité concernant l'existence d'un intérêt à agir n'est pas prévue expressément par le code de procédure civile. La doctrine et la jurisprudence sont toutefois unanimes à affirmer que l'intérêt à agir est une condition générale qui doit être satisfaite dans le cadre de toute action civile (Ion Deleanu, Traité de procédure civile, maison d'édition Servo-Sat, Arad, 2001, premier volume, p.100–103 et la jurisprudence y citée, Gabriel Boroi et Octavia Spineanu-Matei, Le code de procédure civile, maison d'édition All Beck, Bucarest, 2005, p. 587–591, et la jurisprudence citée, et Viorel Mihai Ciobanu et Gabriel Boroi, Le droit de la procédure civile, maison d'édition All Beck, Bucarest, 2003, p. 3–5).
Article 322 § 5
‘ La révision d'une décision rendue en appel ou devenue définitive faute d'appel, ainsi que d'une décision rendue en recours lorsqu'elle tranche le fond, peut être demandée :
(…)
- 5.
Si des pièces décisives nouvelles sont produites après la décision en cause, et qu'elles avaient été retenues par la partie adverse, ou n'avaient pas pu être présentées au tribunal en raison d'un événement étranger à la volonté des parties, ou si une décision ayant servi de fondement à la décision dont la révision est demandée est cassée ou modifiée. ’
Grief
19.
Le requérant se plaint en particulier, sur le terrain de l'article 8 de la Convention, de son impossibilité de prouver qu'il n'est pas le père biologique de la mineure A. en raison du refus des juridictions nationales d'ordonner à celle-ci et à sa mère de se soumettre à une recherche ADN.
En droit
20.
Le requérant se plaint de ce que le refus des juridictions internes de contraindre L.C. et A. à se soumettre à un examen ADN porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée. Il cite à cet égard l'article 8 de la Convention, ainsi libellé :
- ‘ 1.
Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
- 2.
Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ’
A. Les arguments des parties
1. Les arguments du requérant
21.
Le requérant expose que le refus des juridictions nationales d'obliger A. à se soumettre à un test ADN constitue une ingérence dans son droit au respect de la vie privée. A cet égard, il note que le droit à la vie privée peut parfois englober des aspects qui tiennent de l'identité morale et sociale d'une personne. Dans ce contexte, il estime que le droit à la vie privé, tel que garanti par l'article 8 de la Convention, inclut le droit d'un père présumé de contester sa paternité. Pour ce faire, la réalisation d'un test ADN est absolument nécessaire afin de pouvoir engager par la suite des procédures en annulation du jugement du 22 mars 1990. Le requérant ajoute que les obligations positives que l'article 8 de la Convention impose aux États incluent l'obligation de permettre d'une manière raisonnable, à toute personne de contester la paternité établie sur la base d'une présomption. Dès lors, le refus des juridictions nationales d'obliger A à se soumettre à un test ADN équivaut à un défaut de protection juridique de son droit au respect de sa vie privée.
22.
Pour ce qui est de la base légale de l'ingérence, le requérant souligne que la législation nationale ne prévoit pas des normes juridiques sur les conditions de réalisation d'un test ADN afin d'établir la paternité. Il note que les juridictions nationales ont fondé leurs décisions sur l'article 109 du code de procédure civile (‘ CPC ’) selon lequel l'admissibilité d'une procédure judiciaire est conditionnée de l'existence d'un intérêt à agir. Toutefois, selon lui, les juridictions nationales ont jugé à tort qu'il n'avait pas un intérêt à agir, compte tenu des conséquences morales et patrimoniales que le jugement de 22 mars 1990 a eues pour lui.
23.
Le requérant estime ensuite que l'ingérence dans son droit au respect de sa vie privée n'est pas nécessaire dans une société démocratique, même en admettant l'existence d'un but légitime visant la protection des intérêts d'autrui. Citant les affaires Paulík c. Slovaquie, (no 10699/05, CEDH 2006-XI (extraits)) et Tavlı c. Turquie, (no 11449/02, 9 novembre 2006), il considère que l'accord de l'enfant pour la réalisation du test ADN n'est pas un élément décisif. Selon lui, il faut mettre l'accent sur l'absence de toute procédure lui permettant de rendre la situation juridique conforme à la réalité biologique. Il ajoute que le fait de faire prévaloir en l'espèce les intérêts de l'enfant équivaut à ignorer complètement son droit au respect de sa vie privée.
24.
Le requérant souligne que la vie ‘ familiale ’ qu'il a avec A. est limité au seul aspect patrimonial, à savoir le paiement de la pension alimentaire. Il ne l'a jamais vue, ni pendant les procédures, ni à aucune autre occasion ultérieure. Dès lors, le fait de faire disparaître le lien juridique qui le lie à A. ne constitue pour cette dernière qu'une simple perte de ressources financières assez modestes, sans aucune conséquence d'ordre moral. Or, pour le requérant, le fait d'effacer ce lien juridique aurait pour lui-même des conséquences morales qui devraient, de toute évidence, prévaloir sur celles patrimoniales.
25.
En même temps, il expose que le prélèvement des échantillons biologiques dans le but d'une recherche ADN est une opération qui ne produit aucune conséquence sur la personne visée et estime qu'un mineur de quatorze ans peut être soumis au prélèvement des échantillons biologiques. Il conclut que, comme dans l'affaire Mizzi c. Malte, (no 26111/02, CEDH 2006-I (extraits)), il n'a aucune possibilité d'obtenir au niveau national une décision de justice établissant sa paternité par des moyens scientifiques, et non pas par simples suppositions ou présomptions.
2. La position du Gouvernement
26.
Le Gouvernement soutient d'emblée que, dans la mesure où l'issue de la procédure interne ne pouvait pas produire des effets directs sur le lien juridique existant entre le requérant et A., l'article 8 de la Convention n'est pas applicable.
27.
Il note ensuite qu'à supposer qu'il y a eu une atteinte au droit du requérant au respect de sa vie privée, en raison du refus des juridictions nationales de contraindre L.C. et A. à se soumettre à un test ADN, cette atteinte est justifiée par la nécessité de protéger les intérêts des tiers et de la sécurité juridique. Il note que l'action du requérant avait pour objet une ‘ obligation de faire ’, régie par les dispositions générales concernant l'introduction d'une action en justice. Il ajoute qu'en vertu des dispositions pertinentes de l'ordonnance du Gouvernement no 1/2000 sur l'organisation et le fonctionnement des institutions médico-légales et de son règlement d'application, des recherches ADN ont commencé à être effectuées en Roumanie pour l'établissement de la filiation, à partir de janvier 2000.
28.
Le Gouvernement considère que dans son arrêt du 22 septembre 2003, la cour d'appel de Cluj-Napoca a jugé que le droit du requérant de savoir s'il était réellement le père de A. devait être mis en balance avec l'intérêt de l'enfant, une telle approche étant conforme aux exigences de l'article 8 de la Convention.
29.
A cet égard, il relève que, compte tenu de l'âge de l'enfant et de la période pendant laquelle A. a pensé que le requérant était son père, l'intérêt de l'enfant doit primer sur celui de l'intéressé. Il ajoute que le requérant a eu l'occasion de défendre ses intérêts dans la procédure qui a abouti au jugement du 22 mars 1990 du tribunal de première instance de Cluj-Napoca et qu'il n'a pas fait usage de la voie de recours qui lui était ouverte par le droit national (paragraphe 7 ci-dessus).
30.
Le Gouvernement note ensuite que la Cour a déjà jugé que la nécessité de protéger les tiers peut exclure la possibilité de les contraindre à se soumettre à quelque analyse médicale que ce soit, notamment à des tests ADN. Dans ce contexte, il estime que le fait de contraindre A. à se soumettre à un tel test aurait représenté une ingérence majeure dans sa vie privée, ingérence qui ne pourrait être justifiée par l'intérêt moral du requérant d'établir s'il était réellement le père de l'enfant.
31.
En faisant référence au principe de la sécurité des rapports juridiques, le Gouvernement note enfin que le résultat d'un test ADN n'aurait pas permis au requérant d'obtenir la révision du jugement du 22 mars 1990. Il relève qu'au sens de l'article 322 § 5 du CPC, tel qu'interprété par la jurisprudence des tribunaux nationaux, ‘ les pièces décisives nouvelles ’ nécessaires pour la révision d'une décision définitive doivent exister à la date de l'adoption de la décision contestée. Selon lui, cette réglementation est conforme à la jurisprudence de la Cour qui recommande une limitation des situations dans lesquelles des arrêts définitifs peuvent être remis en cause.
B. L'appréciation de la Cour
1. Sur l'applicabilité de l'article 8 de la Convention
32.
La Cour note d'emblé que, dans la présente affaire, le requérant se plaint du refus des juridictions nationales d'ordonner à L.C. et A. de se soumettre à un test ADN afin de pouvoir vérifier par des moyens scientifiques s'il est véritablement le père de cette dernière.
33.
La Cour estime que la détermination du régime juridique des relations du père et de son enfant putatif concerne sa ‘ vie privée ’ du premier (Yildirim c. Autriche (déc.), no 34308/96, 19 octobre 1999 et Mizzi précité, § 102). S'il est vrai qu'en l'occurrence, les juridictions nationales se trouvaient confrontées à une question de preuve, et non pas directement à une question de ‘ vie privée ’, il n'en reste pas moins que le but du requérant était de connaître la vérité sur un aspect important de son existence, à savoir s'il était ou non le père de A. (a contrario Haas c. Pays-Bas, no 36983/97, § 43, CEDH 2004-I selon lequel un requérant ne saurait déduire de l'article 8 un droit à être reconnu, à des fins successorales, comme l'héritier d'une personne décédée ; voir également, mutatis mutandis, Jäggi c. Suisse, no 58757/00, § 37, CEDH 2006-X et Menendez Garcia c. Espagne (déc.), no 21046/07, 9 mai 2007). Par conséquent, l'article 8 trouve à s'appliquer en l'espèce.
2. Sur le bien fondé du grief
34.
La Cour rappelle que l'article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l'individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics. A cet engagement négatif peuvent s'ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale. Elles peuvent impliquer l'adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux (Mikulić c. Croatie, no 53176/99, § 57, CEDH 2002-I).
35.
La frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l'État au titre de cette disposition ne se prête toutefois pas à une définition précise. Les principes applicables sont néanmoins comparables. A ces deux égards, il faut tenir compte du juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble ; de même, l'État jouit d'une certaine marge d'appréciation (Keegan c. Irlande, 26 mai 1994, § 49, série A no 290, et Mizzi précité, § 106).
36.
La Cour rappelle qu'elle n'a point pour tâche de se substituer aux autorités nationales compétentes pour trancher les litiges touchant aux relations des individus entre eux au niveau national, mais d'examiner sous l'angle de la Convention les décisions que ces autorités ont rendues dans l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire (voir, par exemple, les arrêts Mikulić, précité, § 59, Hokkanen c. Finlande, 23 septembre 1994, § 55, série A no 299-A). La Cour appréciera donc si l'État défendeur, en traitant l'action du requérant, a agi en méconnaissance de son obligation positive découlant de l'article 8 de la Convention (Mizzi précité, § 107).
37.
D'emblée la Cour note que le requérant n'a pas formé de recours contre le jugement du 22 mars 1990 établissant sa paternité de A. (paragraphe 7 ci-dessus). Elle relève qu'en 2003 il a saisi les juridictions nationales d'une action tendant à obliger L.C. et A. à se soumettre à un test ADN. Elle portait donc sur une obligation de faire (obligatia de a face), régie par les règles générales applicables en matière d'actions civiles. La cour d'appel de Cluj-Napoca a rejeté l'action du requérant se fondant notamment sur l'article 26 de la Constitution (paragraphe 14 ci-dessus) qui garantit le droit de toute personne physique de disposer d'elle-même. Dès lors, elle estime que le refus des juridictions nationales d'accueillir l'action du requérant était ‘ prévu par la loi ’. Par ailleurs, il ressort clairement des motifs retenus par les juridictions nationales que le rejet de l'action du requérant poursuivait un but légitime, à savoir la protection des droits et libertés d'autrui, en l'occurrence, la sauvegarde des intérêts de A.
38.
Pour apprécier la ‘ nécessité ’ de la mesure litigieuse ‘ dans une société démocratique ’, la Cour examinera, à la lumière de l'ensemble de l'affaire, si le juste équilibre devant exister entre les intérêts présents, tout en gardant à l'esprit le respect de l'ordre public, a été ménagé dans les limites de la marge d'appréciation dont les États jouissent en la matière (Maumousseau et Washington c. France, no 39388/05, § 62, CEDH 2007-…). En l'occurrence, dans la mise en balance des intérêts en cause, il convient de considérer, d'un côté, le droit du requérant de savoir s'il est le père biologique de A. et, de l'autre, le droit de A. de garder sa filiation déjà établie ainsi que l'intérêt public à la protection de la sécurité juridique.
39.
La Cour rappelle qu'elle a déjà jugé qu'une situation dans laquelle une présomption légale peut prévaloir sur la réalité biologique ne saurait être compatible avec l'obligation de garantir le ‘ respect ’ effectif de la vie privée et familiale, même eu égard à la marge d'appréciation dont jouissent les États (mutatis mutandis, Kroon et autres c. Pays-Bas, 27 octobre 1994, série A no 297-C, § 40, Mizzi précité, §§ 113 et 114, Paulík précité, § 46, Shofman c. Russie, no74826/01, § 45, 24 novembre 2005, et Tavlı précité, § 36). La Cour note que dans les affaires précitées, les requérants avaient réalisé une recherche ADN avec l'accord de l'enfant intéressé ou de la mère de ce dernier.
40.
Tel n'est toutefois pas le cas en l'espèce. En effet, le requérant n'est pas en possession d'une preuve biologique qui prouve qu'il n'est pas le père de A. Son action en justice visait une étape préalable, à savoir l'obtention d'une preuve afin de connaître la réalité biologique de ses relations avec A., en obligeant cette dernière à se soumettre à un test ADN. Pour la Cour, cet élément a une importance décisive dans la mise en balance des intérêts en cause. Si dans les affaires précitées (paragraphe 39 in fine ci-dessus), les intérêts des requérants et des enfants étaient convergents, en l'espèce, étant donné le refus de l'enfant de se soumettre au test, les intérêts en cause apparaissent contradictoires.
41.
Par ailleurs, à la différence de l'affaire Jäggi c. Suisse précitée (§ 43), en l'espèce, l'admission de l'action engagée par le requérant affectait, outre ses intérêts, les intérêts de A.
42.
La Cour est consciente que l'apparition du test ADN et la possibilité de tout justiciable de s'y soumettre constitue une évolution sur le plan judiciaire, permettant d'établir avec certitude l'existence de liens biologiques entre différents personnes. Cela étant, la Cour rappelle qu'elle a déjà jugé que la nécessité de protéger les tiers peut exclure la possibilité de les contraindre à se soumettre à quelques analyses médicales que ce soit, notamment à des tests ADN (Mikulić, précité, § 64in fine). Et cela, d'autant plus quand, comme en l'espèce, le tiers en question est une enfant, bénéficiant d'une filiation légitime de longue date.
43.
En l'espèce, la Cour ne trouve pas déraisonnable de faire prévaloir à l'époque des faits, comme l'ont fait d'ailleurs les juridictions nationales, l'intérêt supérieur de l'enfant et celui du principe de la sécurité juridique sur celui du requérant. La Cour estime également que l'âge de A., qui était mineure, joue également en faveur de l'intérêt de l'enfant.
44.
La Cour observe également que le droit interne ne prévoit aucune mesure qui permettrait de contraindre un enfant à subir des tests ADN. Elle note ensuite que la cour d'appel de Cluj-Napoca a débouté le requérant non seulement en se fondant sur le manque d'effets juridiques directs d'une recherche ADN (paragraphe 14 ci-dessus), mais également parce que l'examen de la prétention du requérant n'aurait pas été dans l'intérêt de l'enfant. La cour d'appel a pris en compte le laps de temps pendant lequel A. a bénéficié du statut civil d'enfant du requérant et le fait que l'établissement de la paternité biologique aurait perturbé A. et les relations établies au sein de sa famille.
45.
La Cour ne voit rien d'arbitraire ou de disproportionné dans cette appréciation des intérêts en jeux, et notamment de ceux de l'enfant. En effet, des raisons tenant à la protection de l'enfant peuvent justifier le refus de contraindre un mineur à se soumettre à un test ADN. Dans ce contexte, la Cour n'estime pas déraisonnable que les tribunaux internes donnent plus de poids aux intérêts de l'enfant et de la famille dans laquelle il vit qu'à ceux que peut avoir le requérant à vérifier un fait biologique (M.C. c. Royaume Uni, no 22920/93, décision de la Commission du 6 avril 1994 et Nylund c. Finlande ((déc.), no 27110/95, CEDH 1999-VI).
46.
Dès lors, l'absence d'une quelconque manifestation de la part de l'enfant démontrant son souhait de voir vérifier sa paternité (a contrario Paulík précité, § 14, Mizzi précité, § 13 et mutatis mutandis, Odièvre c. France [GC], no 42326/98, § 44, CEDH 2003-III), combiné avec l'âge de A., le laps de temps pendant lequel elle a bénéficié de sont état civil stable et les conséquences patrimoniales, mêmes modestes, que cela peut entraîner, jouent en l'espèce en faveur de l'intérêt de l'enfant de ne pas être privé d'une paternité biologique distincte de la filiation (mutatis mutandis, Nylund précitée et Yldirim précitée).
47.
Compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, la Cour estime qu'à l'époque des faits, le motif retenu par la cour d'appel de Cluj-Napoca et tiré de l'intérêt de l'enfant est suffisant pour justifier le rejet de l'action du requérant. Dès lors, dans la mesure où le requérant ne dispose pas de la preuve biologique qui atteste qu'il n'est pas le père de A., il n'appartient pas à la Cour d'examiner in abstracto si le droit interne permet la remise en cause du jugement définitif du 22 mars 1990 dont le requérant n'a pas formé recours, afin de mettre en accord la réalité juridique avec celle biologique.
48.
Il s'ensuit que la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à la majorité,
Déclare la requête irrecevable.
Santiago Quesada
Greffier
Josep Casadevall
Président