EHRM, 13-10-2009, nr. 27428/07
ECLI:NL:XX:2009:BL5714
- Instantie
Europees Hof voor de Rechten van de Mens
- Datum
13-10-2009
- Magistraten
Ireneu Cabral Barreto, Françoise Tulkens, Vladimiro Zagrebelsky, Danutė Jočienė, Dragoljub Popović, András Sajó, Işıl Karakaş
- Zaaknummer
27428/07
- LJN
BL5714
- Vakgebied(en)
Internationaal publiekrecht / Mensenrechten
Penitentiair recht (V)
Internationaal publiekrecht (V)
Strafprocesrecht (V)
- Brondocumenten en formele relaties
ECLI:NL:XX:2009:BL5714, Uitspraak, Europees Hof voor de Rechten van de Mens, 13‑10‑2009
Uitspraak 13‑10‑2009
Ireneu Cabral Barreto, Françoise Tulkens, Vladimiro Zagrebelsky, Danutė Jočienė, Dragoljub Popović, András Sajó, Işıl Karakaş
Partij(en)
ARRÊT
STRASBOURG
13 octobre 2009
En l'affaire de Schepper c. Belgique,
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Ireneu Cabral Barreto, président,
Françoise Tulkens,
Vladimiro Zagrebelsky,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 septembre 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
Procédure
1.
A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 27428/07) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Georges de Schepper (‘ le requérant ’), a saisi la Cour le 1er juin 2007 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (‘ la Convention ’).
2.
Le requérant est représenté par Me D. Pattyn, avocat à Bruges. Le gouvernement belge (‘ le Gouvernement ’) est représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général au Service public fédéral de la Justice.
3.
Le requérant alléguait en particulier une violation de l'article 5 § 1a ) de la Convention.
4.
Le 28 août 2008, le président faisant fonction de la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la Chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
En fait
I. Les circonstances de l'espèce
5.
Le requérant est né en 1944 et est actuellement interné dans le complexe pénitentiaire de Bruges.
6.
Par un jugement du 2 janvier 2001, le tribunal correctionnel d'Anvers condamna le requérant à six ans d'emprisonnement pour viol et attentat à la pudeur sur mineurs. Par le même jugement, le requérant fut mis à la disposition du gouvernement pendant dix ans après avoir purgé sa peine, conformément à l'article 23bis de la loi du 1er juillet 1964 de défense sociale à l'égard des anormaux, des délinquants et des auteurs de certains délits sexuels (ci-après la ‘ loi de défense sociale ’).
7.
Le requérant avait déjà été condamné plusieurs fois antérieurement pour des faits similaires et emprisonné à huit reprises : du 24 mai 1970 au 5 avril 1974, du 3 juillet 1979 au 26 septembre 1980, du 28 mai 1984 au 7 juin 1984, du 2 juillet 1985 au 10 juillet 1985, du 22 décembre 1985 au 26 mai 1987, du 23 février 1988 au 24 mars 1988, du 14 juin 1990 au 29 novembre 1990 et du 11 octobre 2000 jusqu'à présent.
8.
Les autorités pénitentiaires tentèrent à plusieurs reprises — déjà depuis 2002 — de placer le requérant dans un établissement psychiatrique privé afin qu'il suive un traitement résidentiel. Le premier établissement contacté fut l'hôpital psychiatrique Sint-Lucia à Sint-Niklaas. Toutefois, le 26 mars 2002, cet hôpital informa les autorités pénitentiaires qu'il n'était pas en mesure d'accueillir des délinquants sexuels à haut risque, tels que le requérant.
9.
A une date non précisée en avril 2002, les autorités pénitentiaires déposèrent une demande d'admission du requérant auprès de l'établissement spécialisé FIDES, à Beernem.
10.
Le 19 avril 2003, le FIDES informa les autorités pénitentiaires qu'il avait reçu le rapport psycho-social concernant le requérant et qu'un médecin allait examiner celui-ci en prison. Le FIDES déclarait qu'il donnerait son accord pour recevoir le requérant à condition que celui-ci entame une pré-thérapie en prison. Suite à l'examen du requérant par le médecin du FIDES, ce dernier décida de ne pas l'accueillir car il n'avait pas conscience de la gravité de ses actes.
11.
Il ressort du dossier que pendant le deuxième semestre de 2002 et le premier semestre de 2003, le requérant suivit une pré-thérapie en prison. Plus particulièrement, le 3 juin 2003, le collège du complexe pénitentiaire de Bruges constata qu'une pré-thérapie avait été mise en place en prison pour le requérant, qu'elle avait fonctionné et qu'ainsi une ‘ procédure d'admission ’ devait commencer dans un établissement spécialisé. Le 17 juillet 2003, les autorités pénitentiaires déposèrent une nouvelle demande d'admission auprès du FIDES.
12.
Le 2 décembre 2003, la pré-thérapie prit fin. Un entretien exploratoire en vue de l'admission du requérant auprès du FIDES devait avoir lieu dans leurs locaux, mais comme le requérant n'avait pas l'autorisation de quitter la prison, la procédure ne put commencer.
13.
Le 16 février 2004, le requérant se rendit au FIDES pour un entretien d'admission. Toutefois, à la suite de cet entretien, le FIDES refusa de l'accueillir.
14.
Pendant la même période, les autorités pénitentiaires déposèrent une demande d'admission à l'hôpital psychiatrique Ziekeren à Sint-Truiden. Un entretien d'admission fut organisé entre le requérant et le docteur V. à Leuven-Hulp.
15.
Le 21 avril 2004, la commission de libération conditionnelle de Gand rejeta une demande du requérant au motif que son attitude par rapport aux faits était ‘ très problématique ’. La commission releva aussi que compte tenu de l'état de récidive du requérant et de sa volonté de continuer son comportement pervers à l'avenir, les prévisions pour le futur étaient particulièrement négatives. Elle estima nécessaire un traitement spécialisé résidentiel, intensif et de longue durée.
16.
Le 12 juin 2004, l'hôpital psychiatrique Ziekeren informa les autorités pénitentiaires qu'il ne pouvait pas accueillir le requérant.
17.
Le 5 avril 2005, le collège du complexe pénitentiaire de Bruges observa qu'aucun établissement spécialisé n'avait voulu accueillir l'intéressé. Il réitéra le même constat le 8 novembre 2005, en rappelant que plusieurs établissements avaient déjà été contactés. Il demanda aussi l'avis de l'Institut médico-légal d'Anvers sur les possibilités d'une castration médicale.
18.
Le 9 octobre 2006, se fondant sur les articles 25bis et 25quater de la loi de défense sociale, le ministre de la Justice ordonna l'internement du requérant après l'expiration de sa peine (le 10 octobre 2006), pour les motifs suivants : l'absence de traitement spécialisé résidentiel de longue durée ; le passé du requérant qui était marqué par de nombreuses affaires de mœurs impliquant des mineurs ; sa déviance sexuelle grave (pédophilie de type ‘ fixé ’) ; des risques négatifs conditionnés par l'abus sporadique d'alcool ; la présence de distorsions cognitives et une fonction de conscience défaillante ; un sens des normes limité ; l'attitude du requérant qui minimisait les faits ; l'absence de tout sentiment de culpabilité.
19.
Le ministre considéra qu'une castration chimique, même en combinaison avec une structure et un contrôle, offrait des garanties moins bonnes qu'un traitement spécialisé de longue durée. Dans le cas du requérant, le ministre déclarait tenir compte des différentes condamnations précédentes pour faits de mœurs impliquant des mineurs et le risque de l'insuffisance d'un traitement spécialisé de longue durée dans un cadre médico-légal psychiatrique fermé. Il concluait que le reclassement du requérant était impossible et que celui-ci constituait, en cas de remise en liberté, un danger pour la société.
20.
Le ministre se fonda sur un rapport anthropologique, du 30 août 2006, établi par le docteur M., neuropsychiatre. Ce dernier soulignait l'abus sporadique d'alcool de la part du requérant, la présence de distorsions cognitives ainsi qu'une fonction de conscience et un sens des normes défaillant. Il se prononçait en faveur de l'exécution de la mise à disposition du gouvernement pour les raisons suivantes : l'absence d'un traitement spécialisé résidentiel de longue durée, l'attitude du requérant par rapport aux faits qu'il minimisait, ses activités dans un réseau de pédophilie, son manque de compréhension de soi et la nature grave de sa déviance sexuelle.
21.
Le rapport du neuropsychiatre était lui-même fondé sur un avis psychosocial rédigé le 6 juillet 2006 par le psychologue G.T., du complexe pénitentiaire de Bruges. Ce dernier soulignait que le requérant avait un comportement immature, qu'il ne souhaitait pas s'adapter à la société et qu'il entretenait des contacts avec d'autres pédophiles. Pour l'avenir, il ne voyait guère d'amélioration. Toutefois, il ajoutait que ce diagnostic pouvait évoluer dans un sens plus favorable si on prévoyait un traitement spécialisé de longue durée dans un cadre médico-légal psychiatrique.
22.
Le 24 octobre 2006, le requérant contesta son internement devant la chambre du conseil du tribunal de première instance d'Anvers (article 25ter de la loi de défense sociale). Il invoquait une violation des articles 5 et 6 de la Convention.
23.
Par une ordonnance du 24 novembre 2006, la chambre du conseil du tribunal de première instance d'Anvers déclara l'action du requérant non fondée.
24.
Le requérant interjeta appel contre cette ordonnance. Par un arrêt du 18 décembre 2006, la chambre des mises en accusation de la cour d'appel d'Anvers confirma l'ordonnance du 24 novembre 2006. Se fondant sur l'alinéa 8 de l'article 25ter de la loi de défense sociale, la chambre des mises en accusation souligna que sa compétence se limitait à vérifier si la décision du ministre était conforme à la loi et qu'il ne lui appartenait donc pas de se prononcer sur l'opportunité de l'internement.
25.
Le requérant se pourvut en cassation. Dans son mémoire, il invoqua les articles 5 et 6 de la Convention. Par un arrêt du 2 janvier 2007, la Cour de cassation rejeta son pourvoi.
26.
La Cour de cassation affirma que le fait que l'article 25 de la loi de défense sociale prévoyait le placement du condamné mis à disposition du gouvernement sous la surveillance du ministre de la Justice, qui pouvait le laisser en liberté ou ordonner son internement, n'empêchait pas que la décision du ministre de la Justice constituait l'exécution de la mesure imposée par le juge pénal. La jurisprudence de la Cour européenne invoquée par le requérant, notamment les arrêts Eckle c. Allemagne, du 15 juillet 1982, et T. c. Royaume-Uni, du 16 décembre 1999, n'était pas applicable. Le ministre de la Justice ordonnant l'internement d'un condamné mis à disposition du gouvernement sur la base de l'article 25bis de la loi de défense sociale, ne prenait pas de décision concernant une poursuite pénale, mais décidait de l'exécution d'une mesure imposée par un juge.
II. Le droit interne pertinent
27.
Les dispositions pertinentes de la loi du 1er juillet 1964 intitulée ‘ loi de défense sociale à l'égard des anormaux, des délinquants d'habitude et des auteurs de certains délits sexuels ’ se lisent ainsi :
Article 23bis
‘ La personne condamnée sur la base des articles 372, 373, alinéa 2, 375, 376, 377, alinéas 1er et 2 ainsi que 4 à 6, du Code pénal peut, par jugement ou arrêt de condamnation, être mise à la disposition du gouvernement pendant une période de dix ans maximum à l'expiration de sa peine, si celle-ci est supérieure à un an sans sursis.
Sans préjudice des dispositions de l'article 22, la personne condamnée peut en cas d'une nouvelle condamnation à une peine de plus d'un an sans sursis pour une des infractions visées à l'alinéa précédent, commis pendant le délai prévu à l'article 56 du Code pénal, être mise à la disposition du gouvernement pendant une période de vingt ans maximum à l'expiration de sa peine. ’
Article 25
‘ A l'expiration de leur peine d'emprisonnement, les condamnés mis à la disposition du Gouvernement sont placés sous la surveillance du Ministre de la Justice qui peut les laisser en liberté sous les conditions qu'il détermine, ou ordonner leur internement.
Lorsqu'il s'agit d'une personne mise à la disposition du gouvernement pour des faits visés aux articles 372 à 377 du Code pénal, ou pour des faits visés aux articles 379 à 387 du même Code lorsque ceux-ci ont été commis sur des mineurs ou avec leur participation, le ministre ne pourra la remettre en liberté qu'après avoir obtenu l'avis d'un service spécialisé dans la guidance ou le traitement des délinquants sexuels.
S'il impose comme condition l'obligation de suivre une guidance ou un traitement, le ministre désigne le service compétent ou la personne compétente.
Ledit service ou ladite personne qui accepte la mission, adresse au ministre, dans le mois qui suit le début de cette guidance ou de ce traitement, et chaque fois que ce service ou cette personne l'estime utile, ou sur invitation du ministre, et au moins une fois tous les six mois, un rapport de suivi sur la guidance ou le traitement.
Le rapport visé à l'alinéa 4 porte sur les points suivants : les présences effectives de l'intéressé aux consultations proposées, les absences injustifiées, la cessation unilatérale de la guidance ou du traitement par la personne concernée, les difficultés survenues dans la mise en œuvre de ceux-ci et les situations comportant un risque sérieux pour les tiers.
Le service compétent ou la personne compétente est tenu d'informer le ministre de l'interruption de la guidance ou du traitement. ’
Article 25bis
‘ Le Ministre de la Justice peut ordonner l'internement d'un condamné mis à la disposition du Gouvernement :
- 1o.
lorsque, à l'expiration d'une peine privative de liberté, sa réintégration dans la société s'avère impossible;
- 2o.
lorsque son comportement en liberté révèle un danger pour la société.
La décision d'internement doit être motivée. Elle précise, selon le cas, soit les éléments propres à la personnalité ou à la situation sociale de l'intéressé qui font obstacle à sa réintégration dans la société, soit les agissements par lesquels il s'est révélé dangereux pour la société et notamment les manquements aux conditions qui lui ont été imposées.
La décision est immédiatement exécutoire. Elle est notifiée à l'intéressé, qui en reçoit copie par le directeur de l'établissement où il est détenu, ou, s'il est en liberté, dans les vingt-quatre heures, par le directeur de l'établissement où il est interné. ’
Article 25ter
‘ Un condamné mis à la disposition du gouvernement peut se pourvoir contre la décision du Ministre qui ordonne son internement, par application de l'article 25bis. Il adresse à cette fin une requête à la chambre du conseil du tribunal de première instance qui a prononcé sa mise à la disposition du Gouvernement ou qui a statué en première instance au cas où la mise à la disposition du Gouvernement a été prononcée par un arrêt de la Cour d'appel, dans les quinze jours de la notification de la décision. Le greffe de la chambre du conseil transmet la requête au procureur du Roi.
Le procureur du Roi communique immédiatement cette requête au Ministre qui lui transmet le dossier administratif de l'intéressé et lui fournit toutes les explications qu'il juge utiles. Dans le mois qui suit le dépôt de la requête, le procureur du Roi soumet celle-ci à la chambre du conseil et avertit le requérant au moins huit jours francs à l'avance, par lettre recommandée à la poste, du jour et de l'heure où l'affaire sera traitée.
Sauf dans le cas où la publicité est jugée dangereuse pour l'ordre ou les mœurs, l'audience de la chambre du conseil est publique si le requérant le demande.
Sous peine d'irrecevabilité de sa requête, le requérant doit comparaître en personne. Il peut se faire assister par un avocat. Le dossier est mis à la disposition du requérant et de son conseil avant l'audience, pendant cinq jours au moins.
La chambre du conseil statue dans le mois du dépôt de la requête après avoir entendu le requérant et son conseil ainsi que le ministère public.
Si la chambre du conseil n'a pas statué dans le délai fixé, l'intéressé sera mis en liberté. Toutefois, si la chambre du conseil estime qu'elle ne dispose pas de tous les éléments nécessaires pour pouvoir statuer, elle le constatera dans une ordonnance et demandera au ministère public ou à l'intéressé de lui procurer des informations complémentaires. Cette ordonnance emporte de droit la prorogation de deux semaines du délai prévu à l'alinéa 5.
Le délai dans lequel la chambre du conseil doit statuer sera suspendu pendant le temps de la remise accordée à la demande du requérant ou de son conseil.
La chambre du conseil vérifie uniquement si la décision du Ministre est conforme à la loi. Elle ne se prononce pas sur l'opportunité de l'internement. Le cas échéant, elle ordonne la mise en liberté de l'intéressé.
La décision de la chambre du conseil est signifiée à l'intéressé qui en reçoit copie, par le directeur de l'établissement où il est interné. ’
Article 25quater
‘ Après un an de privation de liberté fondée exclusivement sur une décision d'internement prise conformément à l'article 25bis, le condamné mis à la disposition du gouvernement, interné peut demander au Ministre de la Justice d'être remis en liberté.
Cette demande peut être renouvelée d'année en année.
(…)
Le condamné mis à la disposition du gouvernement, interné en application de l'article 25bis, peut se pourvoir contre la décision du Ministre, suivant la procédure prévue à l'article 25ter. ’
28.
Une loi du 26 avril 2007 (non encore en vigueur) abrogera la mise à disposition du gouvernement et la remplacera par la mise à disposition du tribunal de l'application des peines. Cette loi insère, dans la loi relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalités d'exécution de la peine, certains articles qui attribuent au tribunal de l'application des peines la compétence de statuer sur l'exécution de la mise à disposition après une procédure contradictoire.
En droit
I. Sur la violation alléguée de l'article 5 § 1 de la Convention
29.
Le requérant se plaint d'avoir été arbitrairement privé de sa liberté car interné après l'expiration de sa peine par une décision fondée sur l'absence de traitement adéquat en tant que pédophile. Selon lui, il était impossible de suivre ce traitement au sein de la prison et aucune institution, autre que les prisons, n'aurait voulu l'accueillir. Il allègue une violation de l'article 5 § 1a) qui se lit ainsi :
- ‘ 1.
Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
- a)
s'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ; ’
A. Sur la recevabilité
30.
La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
31.
Le Gouvernement soutient que la procédure de mise à disposition du gouvernement, y compris ses mécanismes de contrôle judiciaire, respectent pleinement l'article 5 de la Convention. Se référant à l'arrêt Van Droogenbroeck c. Belgique (24 juin 1982, §§ 39–40, série A no 50), il souligne d'emblée que la mise à disposition du gouvernement de récidivistes constitue une peine complémentaire qui forme ‘ un tout indivisible ’ avec la peine principale privative de liberté ; elle est imposée par le juge pénal et la décision du ministre de la Justice, qui décide entre la liberté sous condition et l'internement, ne constitue que l'exécution de cette peine. Du reste, les articles 25ter et 25quater de la loi de défense sociale ont été insérés afin de garantir, conformément à l'article 5 de la Convention, un contrôle judiciaire sur les mesures privatives de liberté dans le cadre d'une mise à disposition du gouvernement.
32.
Le Gouvernement précise que le ministre de la Justice ne s'est pas fondé uniquement sur l'absence de traitement spécialisé pour justifier la mise à disposition, mais aussi sur le rapport anthropologique du neuropsychiatre M., dont il a fait sienne la motivation. Les éléments contenus dans ce rapport, notamment que le requérant minimisait les faits et ne reconnaissait pas ses fautes, ainsi que l'accumulation des condamnations pour des faits similaires étaient essentiels. La ‘ dangerosité ’ du requérant a donc été démontrée non seulement par différents spécialistes mais également à différents moments dans le temps. Quant à la thérapie spécialisée, le Gouvernement affirme qu'elle est disponible en Belgique. Les autorités ont organisé une pré-thérapie afin de faciliter une procédure d'intégration dans un établissement spécialisé. Toutefois, le comportement de celui-ci et les risques qu'il représentait pour la société expliquent pourquoi les centres spécialisés ont rechigné à l'accueillir. On ne peut pas reprocher à l'Etat d'être responsable de ces refus.
33.
Le requérant soutient que la motivation de la décision du ministre de la Justice impliquait que celui-ci estimait que la réintégration du requérant dans la société était bien possible, à condition d'avoir suivi un traitement adapté. En Belgique, il n'existe pas d'établissements psychiatriques pour délinquants sexuels de haut voire de moyen risque. L'absence de traitement pour les internés dans les établissements pénitentiaires, le manque de thérapies médico-légales adaptées et de traitements résidentiels et ambulants pour des délinquants sexuels, ont fait l'objet de rapports du Comité contre la torture de l'ONU (21 novembre 2008), du Comité pour la prévention de la torture (21 décembre 2005), de l'Observatoire international des prisons (2008) et de la commission d'enquête de la chambre des représentants de la Belgique ‘ dans l'affaire Dutroux-Nihoul et consorts ’ (49e Législature).
34.
Quant aux motifs invoqués pour justifier l'internement, le requérant soutient que son dossier administratif a été établi de manière non contradictoire, que les tribunaux saisis par lui n'avaient pas compétence pour statuer sur l'opportunité de l'internement et qu'il a contesté sa dangerosité sociale au cours de la procédure interne. La nécessité prétendue de l'internement n'est pas imputable à une impossibilité de le guérir ou de le traiter mais résulte seulement du manque structurel de traitement spécialisé. De plus, le casier judiciaire établit le caractère structurel et historique du manque de traitement et de suivi. Enfin, quant aux traitements disponibles en Belgique, le requérant souligne qu'il s'agit d'initiatives privées d'une capacité très limitée qui n'accueillent pas des délinquants comportant un risque pour la sécurité. Ces établissements n'ont aucune obligation d'accueillir des détenus.
35.
La Cour considère que la question qu'elle doit examiner en l'espèce consiste à savoir si, après le 10 octobre 2006, date à laquelle le requérant a fini de purger la peine à durée déterminée prononcée à son encontre pour viol et attentat à la pudeur sur mineurs, la mise à disposition du gouvernement pendant dix ans, conformément à l'article 23bis de la loi de défense sociale, était conforme aux exigences de l'article 5 § 1 de la Convention.
36.
En matière de ‘ régularité ’ d'une détention, la Convention renvoie pour l'essentiel à la législation nationale et consacre l'obligation d'en observer les normes de fond comme de procédure. Ce terme impose, en premier lieu, que toute arrestation ou détention ait une base légale en droit interne, mais concerne aussi la qualité de la loi ; il la veut compatible avec la prééminence du droit, notion inhérente à l'ensemble des articles de la Convention. De surcroît, toute privation de liberté doit être conforme au but de l'article 5 : protéger l'individu contre l'arbitraire (voir, parmi beaucoup d'autres, Amuur c. France, 25 juin 1996, § 50, Recueil des arrêts et décisions 1996-III).
37.
Dans l'arrêt Weeks c. Royaume-Uni, (2 mars 1987, § 42, série A no 114,), qui portait sur la réintégration en prison, par le ministre, d'un requérant qui avait été libéré au terme d'une peine perpétuelle discrétionnaire pour vol aggravé, la Cour a estimé qu'il convenait d'appliquer comme suit les exigences de l'article 5 à la situation :
‘ La ‘ régularité ’ voulue par la Convention présuppose le respect non seulement du droit interne, mais aussi — l'article 18 le confirme — du but de la privation de liberté autorisée par l'alinéa a) de l'article 5 § 1 (voir, en dernier lieu, l'arrêt Bozano du 18 décembre 1986, série A no 111, p. 23, § 54). En outre, dans cet alinéa le mot ‘ après ’ n'implique pas un simple ordre chronologique de succession entre ‘ condamnation ’ et ‘ détention ’ : la seconde doit de surcroît résulter de la première, se produire ‘ à la suite et par suite ’ — ou ‘ en vertu ’ — ‘ de celle-ci ’ (ibidem, pp. 22–23, § 53, et arrêt Van Droogenbroeck (…), p. 19, § 35). En bref, il doit exister entre elles un lien de causalité suffisant (arrêt Van Droogenbroeck précité, p. 21, § 39). ’
38.
La Cour rappelle que, dans l'arrêt Weeks, elle a estimé que la peine perpétuelle discrétionnaire infligée à l'intéressé était une sentence à durée indéterminée, motivée expressément par sa dangerosité pour la société, élément susceptible, de par sa nature même, de varier au cours du temps. Sur ce fondement, la réincarcération de M. Weeks, en raison de préoccupations tenant à son comportement instable, perturbé et agressif, ne saurait passer pour arbitraire ou déraisonnable au regard des objectifs de la peine qui lui avait été infligée ; il existait donc un lien suffisant, aux fins de l'alinéa a) de l'article 5 § 1, entre la condamnation du requérant en 1966 et sa réintégration en prison en 1977 (arrêt Weeks précité, §§ 46–51).
39.
Dans l'affaire Stafford c. Royaume-Uni (no 46295/99, 28 mai 2002), la Cour a jugé qu'il fallait qu'il existe, entre la condamnation initiale et la totalité de la privation de liberté qui lui succédait, un lien de causalité suffisant. Dans cette affaire, elle a conclu qu'elle n'apercevait pas le lien de causalité voulu par la notion de régularité figurant à l'article 5 § 1a) entre la possibilité que le requérant se rende coupable d'autres infractions à caractère non violent et la peine qui lui avait été infligée pour meurtre (ibid. § 81). En revanche, dans l'affaire Waite c. Royaume-Uni (no 53236/99, 11 décembre 2002), du même type que Stafford, la Cour a aperçu le lien de causalité requis en raison de certains faits nouveaux commis par le requérant qui réattestaient de la dangerosité qui avait motivé la condamnation à la peine originelle. (ibid. § 68).
40.
Certes, les circonstances de la présente requête et la nature du droit applicable diffèrent considérablement de celles dans les affaires Weeks, Stafford et Waite. Ces dernières peuvent cependant aider à éclairer la Cour en l'espèce.
41.
A première vue, la mise à disposition du gouvernement ne semble pas arbitraire car elle faisait partie de la peine fixée par le tribunal correctionnel au moment de la condamnation du requérant. Le but de cette mise à disposition est, comme le souligne le Gouvernement, de protéger la société contre certaines catégories de délinquants dangereux, soit en les internant après l'expiration de leur peine, soit en les contrôlant par le biais d'une mise en liberté à l'épreuve (régime de semi-liberté, régime de liberté sous tutelle ou de probation).
42.
Le ministre de la Justice qui décide d'interner une personne mise à la disposition du gouvernement prend une décision sur les modalités d'application d'une peine. De telles modalités, si elles peuvent parfois tomber sous le coup de la Convention — notamment lorsqu'elles sont incompatibles avec l'article 3 de celle-ci et, éventuellement, l'article 7 — ne sauraient, en principe, influer sur la ‘ régularité ’ d'une privation de liberté (voir, mutatis mutandis, Bizzotto c. Grèce, 15 novembre 1996, § 34, Recueil des arrêts et décisions 1996-V).
43.
La Cour note que pour décider l'internement, le ministre de la Justice a respecté les dispositions des articles 25 et 25bis 2o de la loi de défense sociale : le premier prévoit que le ministre ne peut remettre en liberté une personne mise à disposition du gouvernement qu'après avoir obtenu l'avis d'un service spécialisé dans le traitement des délinquants sexuels ; le deuxième indique que la décision d'internement doit être motivée. Or, dans sa décision, le ministre a invoqué les motifs suivants : l'absence de traitement spécialisé résidentiel de longue durée ; le passé du requérant qui était marqué par de nombreuses affaires de mœurs impliquant des mineurs ; sa déviance sexuelle grave (pédophilie de type ‘ fixé ’) ; des risques négatifs conditionnés par l'abus sporadique d'alcool, la présence de distorsions cognitives, une fonction de conscience défaillante, un sens des normes limité ; l'attitude du requérant qui minimisait les faits ; l'absence de tout sentiment de culpabilité. Il entérinait en fait le rapport d'un neuropsychiatre, lui-même fondé sur un avis psychosocial rédigé par le psychologue du complexe pénitentiaire de Bruges.
44.
La Cour en convient avec le Gouvernement que l'absence de traitement spécialisé résidentiel de longue durée constituait un élément parmi d'autres qui ont incité le ministre à décider l'internement du requérant. Aux yeux de la Cour cependant, cet élément est déterminant car, comme le ministre le précise expressément, un traitement adéquat et adapté à la situation du requérant aurait permis de réduire sa ‘ dangerosité ’. La Cour se penchera donc de près sur les efforts déployés par les autorités pour assurer au requérant un tel traitement.
45.
A défaut d'établissement public spécialisé pouvant accueillir le requérant, les autorités pénitentiaires ont tenté à plusieurs reprises — dès 2002 — de placer le requérant dans un établissement psychiatrique privé afin de suivre un traitement résidentiel. Le premier établissement contacté a été l'hôpital psychiatrique Sint-Lucia à Sint-Niklaas. Toutefois, le 26 mars 2002, cet hôpital a informé les autorités pénitentiaires qu'il n'était pas en mesure d'accueillir des délinquants sexuels à haut risque, tels que le requérant. En avril 2002, les autorités pénitentiaires ont déposé une demande d'admission du requérant auprès de l'établissement spécialisé FIDES, à Beernem. Se conformant à une exigence de ce dernier, le requérant s'est soumis en 2002 et 2003 à une pré-thérapie en prison. Le 17 juillet 2003, les autorités pénitentiaires ont déposé une nouvelle demande d'admission auprès du FIDES. Le 16 février 2004, et alors que la pré-thérapie avait pris fin le 2 décembre 2003, le requérant s'est rendu au FIDES pour un entretien d'admission. Toutefois, à la suite de cet entretien, le FIDES refusa de l'accueillir. Pendant la même période, les autorités pénitentiaires ont déposé une demande d'admission à l'hôpital psychiatrique Ziekeren à Sint-Truiden. Le 12 juin 2004, cet hôpital a informé les autorités pénitentiaires qu'il n'était pas en mesure d'accueillir le requérant. Le 5 avril 2005, le collège du complexe pénitentiaire de Bruges a observé qu'aucun établissement spécialisé n'était prêt à accueillir l'intéressé. Il a réitéré le même constat le 8 novembre 2005, en rappelant que plusieurs établissements avaient déjà été contactés, mais sans succès.
46.
Il ressort des circonstances de la cause qu'avant de décider l'internement du requérant, les autorités ont mis en place, suivant les conseils des spécialistes, une pré-thérapie en prison dans le but de le faire admettre par la suite dans un établissement spécialisé. Elles ont pris contact avec trois établissements qui avaient la capacité d'assurer la thérapie nécessaire au requérant. Toutefois, son admission ne s'est pas avérée possible à ce stade car, de l'avis de tous les établissements qui avaient été contactés, l'attitude du requérant au regard de ses actes n'avait pas suffisamment évolué pour permettre une prise en charge effective. Sa dangerosité n'avait pas diminué au fil du temps et ceci malgré la pré-thérapie qui était considérée comme la condition préalable et indispensable à l'admission.
47.
La Cour souhaite distinguer la présente affaire de l'arrêt Morsink c. Pays-Bas (no 48865/99, 11 mai 2004). Dans cette dernière, la Cour a estimé qu'un délai important avant l'admission dans un hôpital pénitentiaire d'un délinquant souffrant de troubles mentaux, en raison du manque de place dans celui-ci et d'un problème structurel existant aux Pays-Bas à cet égard, ne saurait passer pour acceptable au regard de l'article 5 de la Convention. En revanche, en l'espèce, l'internement était justifié par l'état de dangerosité persistant du requérant et par le caractère prématuré d'une prise en charge médicale dans une institution spécialisée.
48.
Dans ces conditions, les autorités belges n'ont donc pas manqué à leur obligation de tenter d'assurer au requérant un traitement adapté à son état et de nature à l'aider à retrouver sa liberté. Si ces efforts se sont avérés infructueux à ce jour, cela résulte surtout de l'évolution de l'état du requérant et de l'impossibilité thérapeutique pour les établissements contactés de le traiter à ce stade. Toutefois, cette constatation ne libère pas le Gouvernement de l'obligation de prendre toutes les initiatives appropriées afin de pouvoir trouver, dans un avenir proche, un établissement public ou privé susceptible de prendre en charge des cas de ce type.
49.
A cet égard, la Cour relève que l'article 25quater de la loi de défense sociale prévoit qu'après un an de privation de liberté fondée exclusivement sur une décision d'internement prise conformément à l'article 25bis, le condamné interné, mis à la disposition du gouvernement, peut demander au ministre de la Justice d'être remis en liberté. Cette demande peut être renouvelée d'année en année.
50.
La Cour conclut que la détention du requérant après octobre 2006 se justifiait au regard de l'article 5 § 1a) ; il n'y a donc pas eu violation de l'article 5 § 1 de la Convention.
51.
Cette conclusion dispense la Cour d'examiner les arguments des parties, présentés spontanément sur le terrain de l'article 5 § 4 de la Convention.
II. Sur la violation alléguée de l'article 6 de la Convention
52.
Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de la décision d'internement prise par le ministre de la Justice à son encontre et allègue ne pas avoir bénéficié d'un procès équitable. La loi de défense sociale attribuerait au ministre un pouvoir discrétionnaire sur la fin de la peine du condamné. La privation de liberté est donc ordonnée par le pouvoir exécutif et non par un tribunal indépendant et impartial comme l'exige l'article 6 de la Convention. Selon le requérant, il n'y aurait pas de garanties procédurales à la décision du ministre, empêchant le condamné de s'y défendre contradictoirement. Il n'aurait pas été auditionné, n'aurait pas pu se faire défendre par son conseil et n'aurait pas eu la possibilité de consulter son dossier administratif.
53.
La Cour note que la procédure par laquelle le ministre a décidé d'interner le requérant n'était pas une décision sur le bien-fondé d'une accusation en matière pénale. Elle souligne que la mise à disposition du gouvernement faisait partie de la peine imposée par le juge pénal devant lequel le requérant a eu la possibilité d'exposer tous ses arguments en vue de l'éventualité de cette mesure. Le fait que le ministre a la faculté de choisir entre l'internement ou la liberté sous condition n'influe pas sur la légalité de la peine infligée. En revanche, comme la Cour l'a déjà dit dans son arrêt Aerts c. Belgique (30 juillet 1998, § 59, Recueil 1998-V), le droit à la liberté, qui se trouvait également en jeu dans cette affaire, a un caractère civil au sens de la Convention. Cependant, en l'espèce, le requérant a pu contester son internement tant devant la chambre du conseil du tribunal de première instance d'Anvers qu'en appel devant la chambre des mises en accusation de la cour d'appel. Certes, la compétence de la chambre des mises en accusation se limite à contrôler la légalité de la décision d'internement et non l'opportunité de celui-ci, mais la Cour relève que la chambre des mises en accusation a souligné les éléments sur lesquels s'est fondé le ministre pour décider l'internement et a conclu que ces éléments démontraient suffisamment que le comportement du requérant n'était pas de nature à permettre sa réintégration dans la société.
54.
Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de celle-ci.
Par ces motifs, la cour, à l'unanimité,
- 1.
Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l'article 5 § 1 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;
- 2.
Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 5 § 1 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 octobre 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Françoise Elens-Passos
Greffière adjointe
Ireneu Cabral Barreto
Président