EHRM, 16-04-2009, nr. 49000/06
ECLI:NL:XX:2009:BK1862
- Instantie
Europees Hof voor de Rechten van de Mens (Grote kamer)
- Datum
16-04-2009
- Magistraten
Nina Vajić, Christos Rozakis, Khanlar Hajiyev, Dean Spielmann, Sverre Erik Jebens, Giorgio Malinverni, George Nicolaou
- Zaaknummer
49000/06
- LJN
BK1862
- Vakgebied(en)
Internationaal publiekrecht (V)
Ruimtelijk bestuursrecht (V)
- Brondocumenten en formele relaties
ECLI:NL:XX:2009:BK1862, Uitspraak, Europees Hof voor de Rechten van de Mens (Grote kamer), 16‑04‑2009
Uitspraak 16‑04‑2009
Nina Vajić, Christos Rozakis, Khanlar Hajiyev, Dean Spielmann, Sverre Erik Jebens, Giorgio Malinverni, George Nicolaou
Partij(en)
ARRÊT
STRASBOURG
16 avril 2009
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Antonopoulou et autres c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l'homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Nina Vajić, présidente,
Christos Rozakis,
Khanlar Hajiyev,
Dean Spielmann,
Sverre Erik Jebens,
Giorgio Malinverni,
George Nicolaou, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 mars 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
Procédure
1.
A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 49000/06) dirigée contre la République hellénique et dont quatre ressortissants de cet Etat, Mme Vagia Antonopoulou et MM. Dimitrios Chrysafis, Emmanouil Mantousis et Nikiforos Mantousis (“ les requérants ”), ont saisi la Cour le 17 novembre 2006 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (“ la Convention ”).
2.
Les requérants sont représentés par Me T. Houliaras, avocat au barreau de Thessalonique. Le gouvernement grec (“ le Gouvernement ”) est représenté par les déléguées de son agent, Mmes O. Patsopoulou, assesseure auprès du Conseil juridique de l'Etat, et Z. Hatzipavlou, auditrice auprès du Conseil juridique de l'Etat.
3.
Le 11 janvier 2008, le président de la première section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l'affaire.
En fait
I. Les circonstances de l'espèce
4.
Les requérants sont les propriétaires de trois terrains d'une superficie de 36 228 m2 donnant sur la route nationale reliant Thessalonique à Nea Moudania. Les requérants avaient fait construire sur une partie des terrains précités plusieurs bâtiments que le deuxième requérant exploitait à des fins commerciales. En particulier, il gérait deux stations-service, avec accès direct à la route nationale, qui offraient, outre la fourniture de carburant, des services de lavage et d'entretien automobile.
5.
Par une décision conjointe du 11 février 1997, les ministres des Finances, de l'Environnement et de l'Agriculture procédèrent à l'expropriation d'une superficie de 886 762,98 m2, pour permettre l'élargissement de la route nationale reliant Thessalonique à Nea Moudania (décision no 1017090/0010/1997).
6.
Les propriétés des requérants se trouvèrent concernées, une partie de leurs terrains étant affectée à la construction des nouveaux tronçons. Suite à l'élargissement de la route nationale, les terrains restants ne disposaient plus d'un accès direct à la route nationale, mais à la route secondaire qui longe la première. La route secondaire est séparée de la route nationale par une glissière de sécurité. L'accès et la sortie des véhicules de la route nationale vers la route secondaire n'est possible que par des bretelles directes dont l'issue se fait vers la droite.
7.
Le 14 janvier 1999, les deux premiers requérants demandèrent la fixation du montant unitaire définitif du mètre carré pour les indemnités d'expropriation de leur propre terrain ainsi que de celui appartenant aux troisième et quatrième requérants, que le deuxième requérant exploitait. Ils sollicitèrent aussi une indemnité spéciale pour les parties non expropriées desdits terrains. Selon les requérants, les parties non affectées par l'expropriation subissaient une dépréciation en raison du caractère surélevé des nouveaux tronçons ainsi que du manque d'accès direct de leurs propriétés à la route nationale.
8.
Le 18 janvier 1999, l'Etat demanda également la fixation du montant unitaire définitif.
9.
En 2002, la cour d'appel de Thessalonique fixa le montant unitaire définitif du mètre carré pour les indemnités d'expropriation à quarante-huit euros. Selon les requérants, les indemnités calculées sur la base de ce montant représentaient la moitié des prix proposés par l'Etat et équivalaient au sixième de la valeur vénale actuelle des terrains expropriés. De plus, ladite juridiction rejeta la demande des deux premiers requérants quant à la fixation d'une indemnité spéciale. Elle jugea qu'il ressortait de l'article 13 du décret-loi no 797/1971 que l'indemnité pour la partie non expropriée de la propriété devait refléter sa dépréciation consécutive uniquement à l'expropriation et ne saurait prendre en considération la nature de l'ouvrage à réaliser sur la partie expropriée (arrêt no 1924/2002).
10.
Le 30 mai 2003, les requérants se pourvurent en cassation. Ils alléguaient entre autres que la cour d'appel de Thessalonique aurait dû tenir compte de la proposition de l'Etat quant au prix unitaire de l'indemnité à allouer et que la même juridiction aurait dû leur allouer une indemnité spéciale au titre de la dépréciation des parties non expropriées en raison de la nature de l'ouvrage. La demande de fixation du montant unitaire définitif de l'indemnisation ainsi que l'arrêt no 1924/2002 de la cour d'appel de Thessalonique étaient joints au pourvoi en cassation.
11.
Le 1er mars 2006, la Cour de cassation rejeta tous les moyens de cassation comme vagues ou infondés. En particulier, elle rejeta comme vague le moyen tiré du refus d'allouer l'indemnité spéciale prévue par l'article 13 du décret-loi no 797/1971. Elle considéra que les requérants n'avaient pas précisé dans leur pourvoi “ les circonstances de fait concernant leurs propriétés ” sur lesquelles s'était fondée la cour d'appel pour rejeter leur grief (arrêt no 424/2006).
12.
Cet arrêt fut mis au net le 23 mai 2006.
II. Le droit et la pratique internes pertinents
A. La Constitution
13.
L'article 17 de la Constitution dispose :
- ‘ 1.
La propriété est placée sous la protection de l'Etat. Les droits qui en dérivent ne peuvent toutefois s'exercer au détriment de l'intérêt général.
- 2.
Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, dûment prouvée, dans les cas et suivant la procédure déterminés par la loi et moyennant toujours une indemnité préalable complète. Celle-ci doit correspondre à la valeur de la propriété expropriée à la date de l'audience sur l'affaire concernant la fixation provisoire de l'indemnité par le tribunal. Dans le cas d'une demande visant à la fixation immédiate de l'indemnité définitive, est prise en considération la valeur de la propriété expropriée au jour de l'audience du tribunal sur cette demande.
(…) ’
B. Le décret-loi no 797/1971 relatif aux expropriations
14.
Le décret-loi no 797/1971 des 30 décembre 1970/1er janvier 1971 constitue la législation fondamentale qui régit les expropriations, en application des principes énoncés dans les dispositions constitutionnelles.
15.
Le chapitre A du décret-loi fixe la procédure et les conditions préalables à l'annonce d'une expropriation.
16.
Selon l'article 1 § 1a), si elle est autorisée par la loi dans l'intérêt public, l'expropriation de propriétés urbaines ou rurales ou la revendication de droits réels sur celles-ci est annoncée par une décision conjointe du ministre compétent dans le domaine visé par l'expropriation et du ministre des Finances.
17.
L'article 2 § 1 fixe les conditions préalables à une décision annonçant une expropriation ; en particulier : a) un plan cadastral indiquant la zone à exproprier, et b) la liste des propriétaires des biens-fonds, la superficie de ceux-ci, leur délimitation et les principales caractéristiques des bâtiments qui y sont édifiés.
18.
L'article 17 § 1 confie aux tribunaux le soin de fixer l'indemnité. Il dispose expressément que ceux-ci fixent uniquement le montant unitaire de l'indemnité, sans préciser le ou les bénéficiaires de celle-ci ou la partie tenue de la verser.
19.
D'après l'article 13 § 1, l'indemnité se calcule par rapport à la valeur réelle de la propriété expropriée au moment de la publication de la décision annonçant l'expropriation.
20.
Aux termes du paragraphe 3 du même article,
‘ En cas d'expropriation d'une partie d'un bien et lorsque la partie restant au propriétaire subit une dépréciation substantielle de sa valeur ou devient inutilisable, le jugement qui fixe l'indemnité détermine aussi l'indemnité spéciale pour cette partie. Cette indemnité spéciale est versée au propriétaire avec celle pour la partie expropriée. ’
21.
Selon la jurisprudence que la Cour de cassation a suivie pendant de nombreuses années, la nature des travaux à effectuer n'était jamais prise en compte pour la fixation de “ l'indemnité spéciale ” prévue par l'article 13 § 3 du décret-loi no 797/1971 (parmi d'autres ΑΠ 1255/2001, 349/2000, 8/1999, 455/1998, 803/1994). Toutefois, dans un arrêt récent, la Cour de cassation jugea, à la lumière de l'article 1 du Protocole no 1, que cette interprétation du droit interne portait atteinte au droit de propriété des intéressés et procéda donc à un revirement de sa jurisprudence en la matière (arrêt no 31/2005).
C. La loi no 653/1977 des 25 juillet et 5 août 1977, relative aux obligations de propriétaires riverains en matière de construction de routes nationales
22.
Les dispositions pertinentes de l'article 1 de la loi no 653/1977 sont ainsi libellées :
- ‘ 1.
En cas de construction, en dehors du plan d'urbanisme, de routes nationales d'une largeur maximale de trente mètres, les propriétaires riverains qui en tirent profit sont astreints à payer pour une zone d'une largeur de quinze mètres, participant ainsi aux frais d'expropriation des biens sis sur ces routes. Cette charge ne peut toutefois dépasser la moitié de la surface du bien concerné.
(…)
- 3.
Aux fins de l'application du présent article, sont considérés comme propriétaires riverains avantagés ceux dont les immeubles acquièrent une façade sur les routes construites.
- 4.
Lorsque les ayants droit à indemnité en raison d'une expropriation sont en même temps débiteurs du paiement d'une partie de celle-ci, il y a compensation des droits et obligations. ’
23.
Cette présomption, selon laquelle la plus-value tirée de travaux d'aménagement routier constitue une indemnité suffisante, a longtemps été considérée comme irréfragable. Suite aux arrêts de la Cour dans les affaires Katikaridis et autres c. Grèce, Tsomtsos et autres c. Grèce (arrêts des 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996—V) et Papachelas c. Grèce ([GC], no 31423/96, § 49, ECHR 1999-II), les juridictions nationales admettent désormais que la présomption en question n'est plus irréfragable. Dès lors, les intéressés peuvent saisir les juridictions civiles pour faire juger qu'ils ne sont pas des propriétaires avantagés au sens de la loi susmentionnée et percevoir, le cas échéant, une indemnité complémentaire.
D. La loi d'accompagnement (Εισαγωγικός Νόμος) du code de procédure civile
24.
Les articles pertinents du code de procédure civile disposent :
Article 118
‘ Les recours notifiés entre les parties ou déposés auprès du tribunal doivent inclure (…) 4) l'objet du recours de manière claire, précise et succincte (…) ’
Article 577. § 3
‘ La Cour de cassation examine la recevabilité et le fond des motifs de cassation, si elle juge le pourvoi en cassation légal et recevable. ’
Article 578
‘ La Cour de cassation rejette le pourvoi en cassation, si les motifs de l'arrêt attaqué sont jugés erronés mais son dispositif juste (…) ’
25.
Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, le pourvoi en cassation doit préciser quelle est la règle de fond qui a été violée, en quoi consiste l'erreur juridique, autrement dit où se trouve la violation dans l'interprétation ou l'application de la règle en cause, et doit aussi comporter l'exposé des faits sur lequel s'est fondée la cour d'appel pour rejeter le recours (Cour de cassation, nos 372/2002, 388/2002).
En droit
I. Sur les violations alléguées des Articles 6 § 1 et 13 de la Convention
26.
Les requérants se plaignent que le rejet de l'un de leurs moyens de cassation comme vague a porté atteinte à leur droit d'accès à un tribunal. En outre, ils se plaignent d'une violation du principe de l'égalité des armes, du fait que la cour d'appel fixa une indemnité au mètre carré qui représenterait la moitié du prix proposé par la partie adverse. Ils invoquent les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, dont les parties pertinentes sont ainsi libellées :
Article 6. § 1
‘ Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…), par un tribunal (…) qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) ’
Article 13
‘ Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (…) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. ’
A. Sur le droit d'accès à un tribunal
1. Sur la recevabilité
27.
La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
2. Sur le fond
a) Thèses des parties
28.
Le Gouvernement affirme que la règle appliquée par la haute juridiction est une construction jurisprudentielle appliquée par la Cour de cassation de façon constante, qui pouvait donc passer pour accessible et prévisible aux yeux des requérants. En effet, les requérants, représentés par un avocat devant la Cour de cassation, étaient tenus de connaître leurs obligations en matière d'introduction d'un pourvoi. En particulier, le Gouvernement note que la juridiction suprême exige que l'intéressé relate dans son pourvoi les faits de la cause tels qu'ils avaient été accueillis par la juridiction inférieure. Pour le Gouvernement, cet exposé est indispensable afin que la Cour de cassation puisse, par la suite, exercer son contrôle sur l'interprétation d'une règle de droit par la juridiction inférieure. Le Gouvernement estime raisonnable que le demandeur en cassation soit tenu de présenter les faits de la cause tels qu'ils ont été établis par la cour d'appel après l'administration des preuves. Dans le cas contraire, il incomberait à la Cour de cassation de rechercher elle-même les faits de la cause qui ont conduit la cour d'appel à une interprétation erronée du droit interne.
29.
Les requérants rétorquent que la cour d'appel avait rejeté le moyen de cassation en cause, non pas comme infondé mais comme irrecevable, au motif que l'indemnité spéciale ne correspond qu'au préjudice allégué dû à l'expropriation et non à la nature de l'ouvrage. Ils notent, ainsi, que la cour d'appel ne développa aucun raisonnement sur le fond de leur grief, ce qui les empêchait de reprendre, par la suite, le raisonnement qui avait été suivi à cet égard dans leur pourvoi en cassation. En outre, les requérants allèguent que leur moyen de cassation consistait en un moyen de droit, rendant le rétablissement des faits de la cause superflu. En tout état de cause, ils arguent que tous les documents nécessaires, à savoir leur demande de fixation du montant unitaire définitif de l'indemnisation ainsi que l'arrêt no 1924/2002 de la cour d'appel de Thessalonique, étaient joints au dossier de l'affaire devant la Cour de cassation.
b) Appréciation de la Cour
30.
Dans le cas d'espèce, la tâche de la Cour consiste à examiner si le motif de rejet du moyen tiré du refus d'allouer l'indemnité spéciale par la Cour de cassation a privé, de fait, les requérants de leur droit de voir ce moyen examiné en substance. Pour ce faire, la Cour se penchera sur la proportionnalité de la limitation imposée par rapport aux exigences de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice.
31.
A cet égard, la Cour rappelle que selon une jurisprudence constante, la condition de recevabilité, fixée par la haute juridiction grecque et portant sur le caractère vague ou non des moyens de cassation, est une règle qui obéit, en général, aux exigences de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice et qui se concilie avec la spécificité du rôle joué par la Cour de cassation (voir, inter alia, Alvanos et autres c. Grèce, no 38731/05, § 27, 20 mars 2008, et Brechos c. Grèce (déc.), no 7632/04, 11 avril 2006).
32.
Toutefois, la Cour considère que l'on saurait difficilement soutenir en l'espèce que le moyen de cassation en cause faisait peser sur la Cour de cassation la charge de rétablir les faits. Aux yeux de la Cour, trois éléments doivent être pris en compte. En premier lieu, ledit moyen de cassation visait exclusivement l'interprétation faite par la cour d'appel des dispositions appliquées en l'espèce, à savoir si l'indemnité pour la partie non expropriée de la propriété devait refléter sa dépréciation liée uniquement à l'expropriation et ne saurait prendre en considération la nature de l'ouvrage à réaliser sur la partie expropriée. Par conséquent, la présentation simultanée des faits de la cause, tels qu'ils avaient été établis par la cour d'appel, n'était pas indispensable pour que la haute juridiction puisse exercer son contrôle judiciaire (voir Efstathiou et autres c. Grèce, no 36998/02, § 31, 27 juillet 2006).
33.
En deuxième lieu, la cour d'appel avait rejeté la demande des requérants de se voir verser une indemnité spéciale comme dépourvue de base légale. Elle ne l'avait donc pas examinée sur le fond et, par conséquent, l'exposé des faits pertinents à ce moyen de cassation faisait défaut. Partant, les requérants se trouvaient objectivement dans l'impossibilité de relater en l'espèce les faits sur lesquels la cour d'appel s'était fondée pour rejeter le moyen en cause (voir Sampsonidis et autres c. Grèce, no 2834/05, § 37, 6 décembre 2007).
34.
En dernier lieu, tous les documents nécessaires, à savoir la demande de fixation du montant unitaire définitif de l'indemnisation ainsi que l'arrêt no 1924/2002 de la cour d'appel de Thessalonique étaient joints au pourvoi en cassation. Le juge suprême était ainsi en mesure de les consulter aisément et de vérifier éventuellement la pertinence des faits dans le cas d'espèce (voir Efstathiou et autres c. Grèce, précité, § 31, et Sampsonidis et autres c. Grèce, précité, § 38).
35.
Dès lors, les faits de la cause, tels qu'ils avaient été établis par la cour d'appel, ont été portés à la connaissance des juges dès le dépôt du pourvoi en cassation. Par conséquent, la Cour estime qu'en rejetant ces moyens pour une telle raison de forme, la Cour de cassation ne répondit nullement aux problèmes spécifiques soulevés par les requérants et porta une entrave excessive à leur droit d'accès à un tribunal (voir, mutatis mutandis, Zouboulidis c. Grèce, no 77574/01, § 31, 14 décembre 2006 ; Vasilakis c. Grèce, no 25145/05, § 34, 17 janvier 2008, et Liakopoulou c. Grèce, no 20627/04, § 24, 24 mai 2006).
Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention à cet égard.
36.
Enfin, eu égard au constat figurant au paragraphe 35 ci-dessus, la Cour n'estime pas nécessaire de se placer de surcroît sur le terrain de l'article 13. Les exigences de ce dernier sont en effet moins strictes que celles de l'article 6 § 1 et absorbées par elles en l'espèce (voir, entre autres Sporrong et Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982, § 88, série A no 52).
B. Sur le principe de l'égalité des armes
Sur la recevabilité
37.
La Cour rappelle qu'une des exigences d'un procès équitable est l'égalité des armes, laquelle implique l'obligation d'offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage face à son adversaire (voir, parmi d'autres, Kress c. France [GC], no 39594/98, § 72, CEDH 2001-VI). Pour ce qui est de la présente affaire, la Cour note que les requérants contestent en réalité la manière dont les juridictions internes ont fixé l'indemnité au mètre carré pour l'expropriation de leur terrain. Or, le simple désaccord des requérants avec le montant de l'indemnité qui leur a été versée ne saurait suffire à conclure que la procédure n'a pas été équitable (voir Sampsonidis et autres c. Grèce, précité, § 43). Par ailleurs, la Cour ne perd pas de vue que les requérants ont pu développer leurs arguments tout au long de la procédure litigieuse, qui a respecté sans faille le principe du contradictoire.
Il s'ensuit que ledit grief est manifestement mal fondé sous l'angle de l'article 6 § 1 de la Convention et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
38.
Par ailleurs, selon la jurisprudence constante de la Cour, l'article 13 exige un recours interne pour les seules plaintes que l'on peut estimer “ défendables ” au regard de la Convention (voir, entres autres, Powell et Rayner c. Royaume-Uni, 21 février 1990, § 31, série A no 172). Or, en l'espèce, la Cour vient de constater que le présent grief des requérants tiré de l'article 6 § 1 est manifestement mal fondé.
Il s'ensuit que ledit grief est manifestement mal fondé sous l'angle de l'article 13 de la Convention et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
II. Sur les violations alléguées de l'Article 1 du Protocole no 1
39.
Les requérants se plaignent que les tribunaux internes ont fixé le prix d'indemnité à quarante-huit euros par m2, ce qui correspond à 1/6e de la valeur actuelle des terrains expropriés. D'autre part, ils se plaignent que les juridictions internes ont refusé de leur allouer une indemnité spéciale pour les parties non expropriées de leurs terrains, en prenant en compte leur dépréciation en raison de la nature de l'ouvrage public. Ils invoquent l'article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
‘ Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. ’
A. En ce qui concerne l'indemnité d'expropriation
Sur la recevabilité
40.
La Cour rappelle qu'une ingérence dans le droit au respect des biens doit ménager un “ juste équilibre ” entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu (voir, entre autres, Sporrong et Lönnroth c. Suède, précité, § 69). Afin d'apprécier si la mesure litigieuse respecte le juste équilibre voulu et, notamment, si elle ne fait pas peser sur le requérant une charge disproportionnée, il y a lieu de prendre en considération les modalités d'indemnisation prévues par la législation interne. A cet égard, sans le versement d'une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété constitue normalement une atteinte excessive qui ne saurait se justifier sur le terrain de l'article 1 du Protocole no 1. Ce dernier ne garantit pourtant pas dans tous les cas le droit à une compensation intégrale, car des objectifs légitimes “ d'utilité publique ” peuvent militer pour un remboursement inférieur à la pleine valeur marchande (voir Les saints monastères c. Grèce, 9 décembre 1994, §§ 70–71, série A no 301-A).
41.
En l'espèce, la Cour ne s'estime pas appelée à se prononcer sur la question de savoir sur quelle base les autorités nationales auraient dû fixer le prix de l'indemnisation. En effet, la Cour ne saurait se substituer aux tribunaux grecs pour déterminer la base qui devrait être prise en considération pour l'estimation de la valeur du terrain exproprié et la fixation des sommes dues qui en découlerait (Malama c. Grèce, no 43622/98, § 51, CEDH 2001-II). En tout état de cause, il n'y a aucun indice dans le dossier donnant à penser que les juridictions saisies ont fait preuve d'arbitraire dans la fixation de l'indemnité d'expropriation. Eu égard à la marge d'appréciation que l'article 1 du Protocole no 1 laisse aux autorités nationales (Papachelas c. Grèce [GC], no 31423/96, § 49, CEDH-II), la Cour considère le prix fixé comme étant raisonnablement en rapport avec la valeur de la propriété expropriée.
Il s'ensuit que cette partie du grief est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
B. En ce qui concerne l'indemnité spéciale
1. Sur la recevabilité
a) Sur la qualité de victime des troisième et quatrième requérants
42.
Le Gouvernement allègue que les troisième et quatrième requérants, MM. Emmanouil et Nikiforos Mantousis, n'ont pas la qualité de victimes et que cette partie de la requête doit dès lors être déclarée irrecevable à leur égard, car ils n'ont pas valablement participé à la procédure litigieuse. En particulier, le Gouvernement affirme que les requérants susmentionnés n'ont demandé devant la cour d'appel ni la fixation du montant unitaire définitif de l'indemnisation ni d'indemnité spéciale pour les parties non expropriées de leur terrain. Le Gouvernement souligne que seuls les deux premiers requérants ont formé une telle demande. De l'avis du Gouvernement, le fait que, par la suite, les quatre requérants se sont pourvus en cassation n'a pas d'incidence sur l'absence de qualité de victimes des troisième et quatrième requérants, puisqu'à supposer même que la Cour de cassation eût accueilli le pourvoi et renvoyé l'affaire devant la cour d'appel, cette dernière n'aurait pas pu examiner la question de l'indemnité spéciale à l'égard des troisième et quatrième requérants, dès lors que ceux-ci n'avaient jamais formé une telle demande devant cette juridiction.
43.
Les requérants s'opposent à cette thèse. Ils affirment que ni la cour d'appel ni la Cour de cassation n'ont jamais contesté leur qualité de victime et leur qualité de saisir ces juridictions.
44.
La Cour rappelle, tout d'abord, que toute personne qui prétend avoir des droits de propriété ou un autre droit réel sur des terrains expropriés peut demander la fixation du montant unitaire de l'indemnité, car cette procédure vise exclusivement la fixation de l'indemnité, sans préciser le ou les bénéficiaires de celle-ci ou la partie tenue de la verser (voir paragraphe 18 ci-dessus). La Cour note que, conformément à cette règle, les deux premiers requérants ont saisi la cour d'appel d'une demande de fixation du montant unitaire définitif de l'indemnisation et d'une demande d'indemnité spéciale, non seulement pour leurs propres terrains, mais aussi pour le terrain appartenant aux troisième et quatrième requérants que le deuxième requérant exploitait. La cour d'appel, sans contester la qualité pour agir du deuxième requérant et malgré l'absence des troisième et quatrième requérants, a fixé le montant définitif de l'indemnité et a rejeté la demande d'indemnité spéciale. Ensuite, les troisième et quatrième requérants, qui étaient liés par l'arrêt no 1924/2002 de la cour d'appel de Thessalonique, se sont pourvus en cassation en contestant, entre autres, le refus de la cour d'appel d'allouer une indemnité spéciale. Même si la Cour de cassation a rejeté le pourvoi pour d'autres motifs, elle n'a jamais contesté la qualité pour agir des requérants susmentionnés.
45.
Au vu de ce qui précède, la Cour ne voit aucune raison de s'écarter de ce qui a été décidé par les juridictions nationales, qui n'ont jamais contesté la qualité pour agir des requérants susmentionnés. Il convient donc de rejeter cette exception soulevée par le Gouvernement.
b) Sur l'exception de non-épuisement des voies de recours internes
46.
Le Gouvernement soutient que les requérants n'ont pas valablement épuisé les voies de recours internes, puisqu'ils ne se sont pas pourvus en cassation conformément aux règles du droit procédural. En particulier, le Gouvernement note que les requérants n'avaient pas relaté dans leur pourvoi les faits de la cause tels qu'ils avaient été accueillis par la juridiction inférieure, ce qui a entraîné le rejet de leur moyen de cassation, relatif à l'indemnité spéciale, comme vague. De cette façon, ils n'auraient donc pas donné l'occasion à la Cour de cassation de remédier à la situation litigieuse.
47.
Les requérants contestent cette thèse et renvoient à leurs arguments relatifs à la prétendue violation de leur droit d'accès à un tribunal.
48.
La Cour rappelle que le fondement de la règle de l'épuisement des voies de recours internes, énoncée à l' article 35 § 1 de la Convention, consiste en ce qu'avant de saisir la Cour, le requérant doit avoir donné à l'Etat responsable la faculté de remédier aux violations alléguées par des moyens internes, en utilisant les ressources judiciaires offertes par la législation nationale, pourvu qu'elles se révèlent efficaces et suffisantes (voir, entre autres, Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 37, CEDH 1999–I).
49.
En l'occurrence, la Cour a conclu qu'en rejetant les moyens de cassation des requérants pour une raison de forme, la Cour de cassation avait porté une entrave excessive à leur droit d'accès à un tribunal (voir paragraphe 35 ci-dessus). Compte tenu des motifs qu'elle a retenus pour arriver à cette conclusion (voir paragraphes 30–34 ci-dessus), force est à la Cour de rejeter l'exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement.
c) Sur l'exception d'irrecevabilité pour incompatibilité ratione materiae
50.
Le Gouvernement allègue que les requérants n'étaient pas titulaires d'un “ bien ” au sens de l'article 1 du Protocole no 1. Il argue que les requérants se plaignent en substance du manque à gagner en raison du fait que les terrains expropriés seraient dépourvus dorénavant d'un accès direct à la nouvelle route nationale. Or, le Gouvernement soutient que les requérants n'ont jamais eu l'espérance légitime que l'accès à la route nationale et les avantages dont ils bénéficiaient se prolongeraient à l'infini. La perte de ces avantages résulte d'un acte administratif légal prévoyant la construction d'une nouvelle route nationale. Pour le Gouvernement, les conséquences de l'élargissement de la route nationale en cause pour les entreprises des requérants seraient identiques si l'Etat avait décidé de condamner l'usage de cette route nationale et d'en faire construire une autre dans un autre site.
51.
Les requérants contestent cette thèse.
52.
La Cour note que l'objet du présent grief ne porte pas sur le manque à gagner consécutif à la cessation des activités commerciales sur certains des terrains en cause. Par le biais de leur demande devant les juridictions helléniques de se voir verser une “ indemnité spéciale ”, les requérants ont sollicité leur indemnisation pour la dévalorisation du restant de leurs terrains, en raison de l'élargissement de la route nationale et de l'absence d'accès direct à celle-ci. En d'autres termes, les requérants ne se plaignent pas en l'espèce du refus de l'Etat de leur verser une “ créance ”, intérêt patrimonial qui, selon l'article 1 du Protocole no 1, doit être suffisamment établi pour être exigible (voir notamment Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, 9 décembre 1994, § 59, série A no 301-B). Leur grief a trait aux limitations prétendument apportées à la jouissance d'un “ bien existant ”, à savoir l'exploitation du restant des terrains expropriés, ce qui aurait affecté la valeur vénale de ceux-ci. Sur ce point, la Cour note que les parties conviennent que les requérants restent toujours propriétaires de la partie non expropriée de leurs terrains. En conséquence, leur grief se rapporte à un “ bien ” au sens de l'article 1 du Protocole no 1 (voir, Sampsonidis et autres c. Grèce, précité, § 50). Il convient donc de rejeter l'exception d'irrecevabilité pour incompatibilité ratione materiae soulevée par le Gouvernement.
53.
La Cour constate par ailleurs que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
2. Sur le fond
54.
Le Gouvernement affirme que l'absence d'accès direct à la route nationale n'est pas une conséquence de l'expropriation mais de la modification légale, de la part de l'Etat, du réseau routier, dictée par des raisons objectives et par la nécessité de servir l'intérêt général. De surcroît, le Gouvernement note que les requérants ont toujours accès à la route secondaire et, par conséquent, le restant de leurs propriétés n'est pas coupé de la route nationale. En outre, le Gouvernement relève que la cour d'appel de Thessalonique a versé une indemnisation entière aux requérants pour les parties expropriées de leurs terrains.
55.
Les requérants rétorquent que la nature de l'ouvrage à construire doit être prise en compte dans le calcul de l'indemnité globale en raison de l'expropriation. Ils estiment que tant l'acte d'expropriation que sa finalité, à savoir la construction d'un ouvrage d'utilité publique, sont toujours étroitement liés. De surcroît, les requérants allèguent que même la route secondaire sur laquelle donne dorénavant le restant de leurs terrains n'est pas utilisable en raison du fait que l'ensemble des tronçons à construire n'est pas encore achevé. Pour les requérants, il va de soi que personne ne peut pour le moment emprunter la route secondaire, puisqu'après avoir parcouru une certaine distance, le véhicule tomberait sur une impasse.
56.
La Cour relève qu'en l'espèce, il n'y a pas eu expropriation des parties des terrains dont les requérants allèguent la dépréciation. Il est cependant clair que l'élargissement d'une route nationale entraînant l'absence d'accès direct à celle-ci des parties non expropriées des terrains en cause, apporte une limitation à la libre disposition de leur droit d'usage, limitation qui constitue une ingérence dans la jouissance des droits que les requérants tirent de leur qualité de propriétaires. Dès lors, suivant sa jurisprudence en la matière (voir, notamment, James et autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, § 37, série A no 98), la Cour estime que le second alinéa de l'article 1 du Protocole no 1 joue en l'espèce. Elle examinera donc le grief sous cet angle.
57.
Selon une jurisprudence bien établie, le second alinéa de l'article 1 du Protocole no 1 doit se lire à la lumière du principe consacré par la première phrase de l'article. En conséquence, une ingérence doit ménager un “ juste équilibre ” entre les impératifs de l'intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu. La recherche de pareil équilibre se reflète dans la structure de l'article 1 du Protocole no 1 tout entier et, par conséquent, dans celui du second alinéa ; il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. En contrôlant le respect de cette exigence, la Cour reconnaît à l'Etat une grande marge d'appréciation tant pour choisir les modalités de mise en œuvre que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans l'intérêt général, par le souci d'atteindre l'objectif de la loi en cause (Chassagnou et autres c. France [GC], nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, § 75, CEDH 1999—III). De plus, en ce qui concerne des domaines tels que l'aménagement du territoire, la Cour respecte l'appréciation portée à cet égard par le législateur, sauf si elle est manifestement dépourvue de base raisonnable (voir, mutatis mutandis, Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 49, CEDH 1999—V).
58.
La Cour note qu'il est incontestable, dans la présente affaire, que la nature de l'ouvrage a directement contribué à une dépréciation des parties non expropriées. En effet, la réalisation de l'ouvrage public a entraîné la perte pour les parties en cause de l'avantage d'un accès direct à la route nationale. De ce fait, s'agissant des terrains sur lesquels les requérants avaient fait construire des immeubles utilisés à des fins commerciales, ceux-ci ont subi une baisse de leur valeur en raison de la perte de clientèle des entreprises et de la chute inhérente des profits. La Cour note sur ce point que la cour d'appel de Thessalonique a explicitement refusé d'indemniser les requérants pour la perte de clientèle et la baisse de leurs revenus, après avoir admis que l'indemnité pour la partie non expropriée de la propriété ne saurait prendre en compte la nature de l'ouvrage à réaliser sur la partie expropriée. Par conséquent, il est indéniable que pour les requérants l'exploitation de cette partie des parcelles se trouvait sérieusement compromise en raison de l'élargissement de la route nationale (voir en ce sens, Ouzounoglou c. Grèce, no 32730/03, § 30, 24 novembre 2005, et Athanasiou et autres c. Grèce, no 2531/02, § 25, 9 février 2006).
59.
Au vu de ce qui précède, la Cour considère qu'en refusant toute indemnisation aux requérants pour la dépréciation de la partie non expropriée de leurs terrains en raison de la nature de l'ouvrage, les juridictions internes ont rompu le juste équilibre devant régner entre la sauvegarde des droits individuels et les exigences de l'intérêt général. A cet égard, la Cour prend note du revirement de la jurisprudence en la matière de la Cour de cassation dans une affaire similaire (voir paragraphe 21 ci-dessus).
Partant, il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.
III. Sur l'application de l'Article 41 de la Convention
60.
Aux termes de l'article 41 de la Convention,
‘ Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. ’
61.
Les requérants réclament au titre du dommage matériel une somme correspondant à 100 % de la valeur des parties non expropriées des terrains en cause. Ils ajoutent que la Cour devrait prendre comme base pour le calcul de cette somme, les montants unitaires définitifs du mètre carré pour les indemnités d'expropriation fixés pour chaque terrain par l'arrêt no 1924/2002 de la cour d'appel de Thessalonique. Lesdits montants sont repris dans leurs observations devant la Cour.
62.
Le Gouvernement soutient qu'il n'existe pas de lien de causalité entre la somme réclamée au titre du préjudice matériel et la violation alléguée. A titre alternatif, le Gouvernement estime que la somme allouée à ce titre ne saurait dépasser 20 000 EUR.
63.
La Cour estime que la question de l'application de l'article 41 ne se trouve pas en état, de sorte qu'il échet de la réserver en tenant compte de l'éventualité d'un accord entre l'Etat défendeur et les intéressés (article 75 § 1 du règlement).
Par ces motifs, la cour, à l'unanimité,
- 1.
Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés du droit d'accès à un tribunal et du refus des juridictions internes d'allouer aux requérants une indemnité spéciale pour les parties non expropriées des terrains en cause et irrecevable pour le surplus ;
- 2.
Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
- 3.
Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner séparément au fond le grief tiré de l'article 13 quant au droit d'accès à un tribunal ;
- 4.
Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 de la Convention ;
- 5.
Dit que la question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouve pas en état ; en conséquence,
- a)
la réserve en entier ;
- b)
invite le Gouvernement et les requérants à lui soumettre par écrit, dans les six mois, leurs observations sur la question et, en particulier, à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;
- c)
réserve la procédure ultérieure et délègue au président de la chambre le soin de la fixer au besoin.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 avril 2009 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Greffier
Nina Vajić Présidente