EHRM, 23-03-2010, nr. 36586/08
ECLI:NL:XX:2010:BO4629
- Instantie
Europees Hof voor de Rechten van de Mens
- Datum
23-03-2010
- Magistraten
Françoise Tulkens, Ireneu Cabral Barreto, Vladimiro Zagrebelsky, Danutė Jočienė, Dragoljub Popović, András Sajó, Işıl Karakaş
- Zaaknummer
36586/08
- LJN
BO4629
- Roepnaam
Sommer/Italië
- Vakgebied(en)
Internationaal publiekrecht (V)
- Brondocumenten en formele relaties
ECLI:NL:XX:2010:BO4629, Uitspraak, Europees Hof voor de Rechten van de Mens, 23‑03‑2010
Uitspraak 23‑03‑2010
Françoise Tulkens, Ireneu Cabral Barreto, Vladimiro Zagrebelsky, Danutė Jočienė, Dragoljub Popović, András Sajó, Işıl Karakaş
Partij(en)
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 36586/08
présentée par Gerhard SOMMER
contre l'Italie
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant le 23 mars 2010 en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
Ireneu Cabral Barreto,
Vladimiro Zagrebelsky,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 22 juillet 2008,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
En fait
Le requérant, Gerhard Sommer, est un ressortissant allemand, né en 1921 et résidant à Hambourg. Il est représenté devant la Cour par Me Amati, avocat à La Spezia.
I. Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
En octobre 1939, le requérant entra dans l'armée allemande et servit une unité SS. La mission officielle des SS était de mener des actions contre les Partisans. La politique du haut commandement allemand à l'encontre de la résistance armée en Italie — la ‘ Resistenza ’ — était particulièrement virulente.
A. Le massacre de Sant'Anna di Stazzema
Au début août 1944, Sant'Anna di Stazzema avait été qualifié par le commandement allemand de ‘ zone blanche ’, c'est-à-dire de localité apte à accueillir des réfugiés.
À l'aube du 12 août 1944, quatre compagnies — soit à peu près 300 soldats SS — grimpèrent jusqu'au village de montagne reculé de Sant'Anna di Stazzema. Le village comptait alors près de 400 habitants et abritait plusieurs centaines de réfugiés. Les habitants de Sant'Anna furent rassemblés dans les cours des fermes et sur la place du village. Les soldats SS massacrèrent ceux qui croisaient leur chemin, au moyen de fusils, baïonnettes, grenades ou lance-flammes. Les victimes furent principalement des femmes, des enfants et des vieillards. Les soldats brulèrent les corps et les maisons. Le village entier fut détruit en moins de quatre heures. En un peu plus de trois heures, 560 personnes, dont 116 enfants furent massacrés.
B. L'enquête et le procès contre le requérant
A la fin de la seconde guerre mondiale, les autorités italiennes entamèrent des enquêtes sur les tueries de la population civile italienne accomplies durant la guerre, y inclus le massacre de Sant'Anna di Stazzema.
Le 19 septembre 1992, le tribunal militaire de La Spezia informa le requérant de l'ouverture d'une enquête préliminaire à son encontre, car il était soupçonné d'avoir participé, en tant que commandant d'une unité SS, en complicité avec d'autres membres des SS, au massacre de Sant'Anna di Stazzema.
Le 12 janvier 2004, le juge de l'audience préliminaire renvoya le requérant en jugement devant le tribunal militaire de La Spezia pour complicité pour crimes de violence envers ennemis privés.
Par un arrêt du 22 juin 2005, le tribunal militaire de La Spezia condamna le requérant à la réclusion à perpétuité sur le fondement des articles 13, 185 du code pénal militaire de guerre (ci après ‘ CPMG ’), combinés avec les articles 575 et 577, §§ 3 et 4 et 61 §§ 1 et 4 du code pénal. Par ailleurs, le tribunal observa qu'aucun problème ne se posait sous l'angle de la prescription, car le délit d'homicide, puni d'une peine à perpétuité, est imprescriptible.
Selon les jugements de condamnation ‘ l'implication du requérant dans les crimes dont il était accusé se fondait sur des preuves solides’. Ainsi, le tribunal établit que le requérant exerçait les fonctions de commandant de la 7ème compagnie du 2e bataillon du 35e régiment, dans la 16e division SS.
Selon les jugements de condamnation, cela était démontré par de nombreuses preuves : une enquête conduite par une commission des États-Unis les jours qui ont suivi le massacre portant sur les témoignages de prisonniers allemands ; six rapports provenant des archives américaines (War Office de Washington) obtenus par une commission rogatoire et relatant les témoignages de prisonniers de guerre allemands qui affirmaient que le requérant était le commandant de la division ainsi que la documentation acquise auprès de la Deutsche Dienststelle et de la Bundesarchiv de Berlin. Le tribunal se basa, en outre, sur les témoignages de C., co-accusé du requérant qui avait été interrogé sur commission rogatoire le 21 juillet 2003 et le 15 décembre 2003 selon la procédure prévue par la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959, et de B., interrogé sur commission rogatoire le 24 novembre 2003.
Le requérant interjeta appel de ce jugement en se plaignant, notamment de l'illégitimité de l'utilisation des déclarations de C. et B. auditionnés sur commission rogatoire. Il faisait valoir que la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 n'aurait pas été applicable en l'espèce et que l'avocat du requérant était absent lors de l'interrogatoire. Le requérant contestait également la qualification juridique des faits litigieux, en soutenant l'applicabilité des articles 174 et 175 CPMG, qui prévoyaient des peines moins lourdes que celles découlant de l'article 185 CPMG.
Par un arrêt du 21 novembre 2006, la cour militaire d'appel de Rome rejeta le recours du requérant et confirma le jugement de première instance. S'agissant de l'utilisation des témoignages obtenus sur commission rogatoire, la cour d'appel confirma, d'une part, l'applicabilité, en l'espèce, de la Convention européenne d'entraide judiciaire et, d'autre part, elle observa que conformément à ladite Convention, les avocats du requérant avaient été mis en mesure de représenter le requérant lors de l'interrogatoire de C. et d'exercer les droits reconnus par la loi italienne. En outre, la cour d'appel confirma que les faits litigieux tombaient sous le coup de l'article 185 CPMG.
Le requérant se pourvut en cassation, réitérant, pour l'essentiel, les exceptions soulevées dans son appel. Le co-accusé du requérant R. se plaignit aussi de la non-application du décret du Président de la République (D.P.R.) no 332 du 4 juin 1966, prévoyant que le bénéfice de l'amnistie pour les crimes à finalité politique commis contre le mouvement de libération ne pouvait être accordé qu'aux seuls citoyens italiens.
Par un arrêt du 8 novembre 2007, déposé au greffe le 25 janvier 2008, la Cour de cassation, estimant que la cour d'appel avait motivé de façon logique et correcte tous les points controversés, débouta le requérant de son pourvoi. En particulier, la Cour de cassation confirma que les témoignages avaient été recueillis sur commission rogatoire selon la procédure prévue par la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959, et souligna que
‘ les avocats des accusés ont été avisés de l'interrogatoire des témoins de la part de l'autorité étrangère ; de cette manière, la défense a été mise en mesure d'assister au déroulement de la procédure d'instruction et d'exercer les droits de la défense’ ;
S'agissant du grief portant sur la non application du D.P.R. no 332 de 1966, la Cour de cassation précisa que l'amnistie en question
‘ s'applique uniquement aux citoyens de l'État italien et non aux citoyens étrangers, compte tenu du fait que la mesure de clémence avait pour but la pacification nationale entre citoyens italiens par rapport aux événements de guerre suivis par la chute du régime fasciste et par la naissance de la République sociale italienne […]. Partant, l'absence du status de la citoyenneté italienne interdit l'application de la mesure de clémence en faveur des accusés à la lumière de la disposition législative […], dont la constitutionnalité (legittimità costituzionale) avait été remise en cause par des arguments non pertinents et en tout cas manifestement mal fondés, vu que le choix du législateur de limiter l'amnistie aux citoyens italiens ne peut être considéré comme dénué de justification raisonnable ’.
II. Le droit et la pratique internes pertinents
Les articles pertinents du code pénal militaire de guerre (CPMG), entré en vigueur le 20 février 1941, se lisent comme suit :
Article 13. CPMG
‘ Les dispositions du titre IV, livre III de ce code concernant les délits contre les lois et les usages de guerre sont applicables également aux militaires et à toute personne appartenant aux forces armées ennemies, lorsque ces délits sont commis contre l'État italien ou contre un citoyen italien, ou encore contre un État allié (…) ’
Article 185. CPMG
‘ Le militaire qui, sans nécessité ou sans justification valable, pour des causes liées à la guerre, use de violence envers des ennemis privés qui ne sont pas parties aux opérations de guerre, est puni d'un emprisonnement pouvant aller jusqu'à deux ans.
Si l'acte de violence consiste en un homicide, fût-ce seulement tenté ou intentionnel, ou dans une lésion personnelle grave ou très grave, les peines prévues par le code pénal s'appliquent. Toutefois, la peine de détention temporaire peut être augmentée ’.
Article 174. CPMG
‘ Le commandant d'une force militaire qui, pour nuire à l'ennemi, ordonne ou autorise l'utilisation d'un moyen ou d'un dispositif de guerre interdit par la loi ou par les conventions internationales, ou de toute manière contraire à l'honneur militaire, est puni d'au moins cinq ans de réclusion, à moins que le fait soit qualifié de délit par une disposition législative particulière.
Si ce fait donne lieu à un massacre, la réclusion ne sera pas inférieure à dix ans. ’
Article 175. CPMG
‘ Les peines établies par l'article précédent s'appliquent aussi à tous ceux qui, afin de nuire à l'ennemi, utilisent des moyens interdits par la loi ou les traités internationaux, ou, en tout cas, contraires à l'honneur militaire. Toutefois, la peine peut être diminuée. ’
Les articles pertinents du code pénal, entré en vigueur le 19 octobre 1930, se lisent ainsi :
Article 61. Circonstances aggravantes
‘ Constituent des circonstances aggravantes les faits suivants :
- 1)
avoir agi pour des motifs abjects ;
(…)
- 4)
avoir exercé des sévices, ou avoir agi avec cruauté envers les personnes. ’
Article 575. Homicide
‘ Selon cette disposition, le délit d'homicide est puni d'une peine non inférieure à vingt et un ans. ’
Article 577. Autres circonstances aggravantes. Réclusion à perpétuité
‘ Le délit prévu à l'article 575 est puni de la réclusion criminelle à perpétuité quand il est commis :
(…)
- 3)
avec préméditation
- 4)
avec des circonstances aggravantes prévues à l'article 61 no 1 et 4 du code pénal. ’
Le Décret du Président de la République (D.P.R.) no 332 du 4 juin 1966 portant amnistie est ainsi rédigé :
Article 2, paragraphe premier
‘ L'amnistie est accordée pour les crimes commis :
- a)
entre le 25 juillet 1943 et le 2 juin 1946 par les membres du mouvement de la résistance ou par quiconque coopérait avec ledit mouvement, si lesdits crimes ont été commis dans une finalité politique (…)
- b)
entre le 25 juillet 1943 et le 2 juin 1946, (…) par les (…) citoyens qui se sont opposés au mouvement de libération, si lesdits crimes ont été commis dans une finalité politique (…) ’.
La jurisprudence a, de façon uniforme, estimé qu'à la lumière de l'article 157 du code pénal en vigueur avant 2005, seuls les délits punis de la peine à perpétuité doivent être considérés imprescriptibles.
III. Le droit international pertinent
La Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 :
Article 1 § 1
‘ Les Parties contractantes s'engagent à s'accorder mutuellement, selon les dispositions de la présente convention, l' entraide judiciaire la plus large possible dans toute procédure visant des infractions dont la répression est, au moment où l'entraide est demandée, de la compétence des autorités judiciaires de la Partie requérante. ’
Article 2
‘ L'entraide judiciaire pourra être refusée :
- a)
si la demande se rapporte à des infractions considérées par la partie requise soit comme des infractions connexes à des infractions politiques, soit comme des infractions fiscales;
(…) ’
Article 3 § 1
‘ La partie requise fera exécuter, dans les formes prévues par sa législation, les commissions rogatoires relatives à une affaire pénale qui lui seront adressées par les autorités judiciaires de la Partie requérante et qui ont pour objet d'accomplir des actes d'instruction ou de communiquer des pièces à conviction, des dossiers ou des documents. ’
Article 4 § 1
‘ Si la Partie requérante le demande expressément, la Partie requise l'informera de la date et du lieu d'exécution de la commission rogatoire. Les autorités et personnes en cause pourront assister à cette exécution si la Partie requise y consent. ’
Griefs
Invoquant l'article 6 de la Convention, le requérant se plaint du retard dans l'ouverture du procès pénal à son encontre.
Invoquant l'article 6 § 3 d) de la Convention, le requérant se plaint de n'avoir pas eu la possibilité, soixante ans après la commission des faits, de recueillir et d'obtenir des preuves à décharge et de ne pas avoir eu la possibilité d'interroger le seul témoin à charge.
Invoquant l'article 7 § 1 de la Convention, le requérant se plaint d'avoir été condamné à une peine plus lourde que celle prévue à l'époque de la commission des faits.
Invoquant les articles 7 et 14 de la Convention et 1 du Protocole no 12, le requérant se plaint de ce que le D.P.R. no 332 de 1966, tel qu'interprété par les juridictions internes, crée une différence de traitement injustifiée fondée sur la nationalité.
En droit
1.
Le requérant se plaint du retard dans l'ouverture du procès pénal à son encontre, retard de l'ordre de cinquante ans après le déroulement des faits, qui constituerait une violation de l'article 6 § 1 de la Convention lequel, en ses parties pertinentes, est ainsi libellé :
‘ Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (…) dans un délai raisonnable, par un tribunal (…) qui décidera (…) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle’.
Le requérant affirme que les enquêtes sur le massacre de Sant'Anna di Stazzema, commencées en 1947, furent inexplicablement suspendues pendant cinquante ans. Le retard dans l'ouverture du procès serait exclusivement imputable à l'État. Il soutient ne s'être jamais soustrait aux enquêtes et de n'avoir pas davantage caché son passé ou modifié son identité.
La Cour note d'emblée que sa compétence ratione temporis a débuté avec la prise d'effet, le 1er août 1973, du droit de recours individuel par l'Italie. En conséquence, elle n'a pas compétence pour connaître des griefs qui comportent des allégations de violation fondées sur des faits survenus avant cette date. De surcroît, la Cour constate que le requérant se plaint exclusivement de la période qui précède l'ouverture de la procédure à son encontre.
Quant aux évènements survenus après le 1er août 1973 et avant le 19 septembre 1992, date à laquelle le requérant fut informé de l'ouverture d'une enquête préliminaire à son encontre, la Cour rappelle que sa tâche consiste d'abord à déterminer si l'article 6 de la Convention s'applique en l'espèce. Cet article n'entre en jeu que lorsqu'une ‘ accusation en matière pénale ’ est dirigée contre une personne déterminée (arrêts Neumeister c. Autriche du 27 juin 1968, série A no 8, p. 43, § 23, et AGOSI c. Royaume-Uni du 24 octobre 1986, série A no 108, p. 22, § 65), c'est-à-dire après que celle-ci a reçu une ‘ notification officielle, émanant de l'autorité compétente, du reproche d'avoir accompli une infraction pénale ’ (arrêt Deweer c. Belgique du 27 février 1980, série A no 35, p. 24, § 46) ou qu'elle a fait l'objet de ‘ mesures impliquant un tel reproche et entraînant, elles aussi, des ‘ répercussions importantes sur la situation ’ du suspect ’ (arrêt Foti et autres c. Italie du 10 décembre 1982, série A no 56, p. 18, § 52). Les garanties de procédure édictées à l'article 6 ne trouvent en principe pas à s'appliquer aux diverses mesures préliminaires qui peuvent être prises dans le cadre d'une enquête pénale avant que ne soit portée une ‘ accusation en matière pénale ’, telles que l'arrestation ou l'audition d'un suspect (arrêts Fayed c. Royaume-Uni du 21 septembre 1994, série A no 294-B, pp. 47–48, § 61, et Saunders c. Royaume-Uni du 17 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, p. 2064, § 67).
En l'espèce, il est vrai que déjà, en 1947, des enquêtes sur les tueries de Sant'Anna avaient été entamées par les autorités italiennes. Toutefois, il ressort du dossier qu'elles n'avaient pas, à l'époque, abouti à un acte d'accusation à l'égard du requérant au sens de la jurisprudence de la Cour. Ce n'est qu'à partir du 19 septembre 1992, date à laquelle le requérant fut informé de l'ouverture d'une enquête préliminaire à son encontre, qu'il a ressenti les effets des investigations et que l'enquête a eu des répercussions importantes sur sa situation (voir, mutatis mutandis, Pysson c. Belgique (déc.), no 38543/03). A la lumière de ce qui précède, et compte tenu de ce que le grief du requérant porte exclusivement sur la période qui précède l'ouverture de la procédure à son encontre, la Cour arrive à la conclusion que l'article 6 ne trouve pas à s'appliquer sous son aspect pénal pour la période précédant le 19 septembre 1992. Il s'ensuit que ce grief est incompatible ratione temporis pour la période qui précède le 1er août 1973, et ratione materiae pour la période ultérieure, et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2.
Le requérant se plaint de l'iniquité de la procédure pénale contre lui du fait qu'il n'a pas pu interroger C., seul témoin à charge, et à cause de l'impossibilité, soixante ans après le déroulement des faits litigieux, de recueillir et d'obtenir des preuves à décharge. Il allègue la violation de l'article 6 § 3 d) de la Convention. Les parties pertinentes de l'article 6 sont ainsi libellées :
- ‘ 1.
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, par un tribunal (…) qui décidera (…) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (…).
- ‘ 3.
Tout accusé a droit notamment à :
(…)
- d)
interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; ’.
- a)
Dans la mesure où le grief du requérant porte sur l'impossibilité d'interroger le témoin C. lors de son procès, la Cour rappelle que la recevabilité des preuves relève au premier chef des règles du droit interne et qu'en principe, il revient aux juridictions nationales d'apprécier les éléments recueillis par elles. La mission confiée à la Cour par la Convention ne consiste pas à se prononcer sur le point de savoir si des dépositions de témoins ont été à bon droit admises comme preuves, mais à rechercher si la procédure considérée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable (arrêt García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, CEDH 1999-I, § 28). En particulier, les éléments de preuve doivent en principe être produits devant l'accusé en audience publique, en vue d'un débat contradictoire. Ce principe ne va pas sans exceptions, mais on ne saurait les accepter que sous réserve des droits de la défense ; en règle générale, les paragraphes 1 et 3 d) de l'article 6 commandent d'accorder à l'accusé une occasion adéquate et suffisante de contester un témoignage à charge et d'en interroger l'auteur, au moment de la déposition ou plus tard (arrêts Van Mechelen et autres c. Pays-Bas du 23 avril 1997, Recueil 1997-III, p. 711, § 51, et Lüdi c. Suisse du 15 juin 1992, série A no 238, p. 21, § 49). En outre, les droits de la défense sont restreints de manière incompatible avec les garanties de l'article 6 lorsqu'une condamnation se fonde, uniquement ou dans une mesure déterminante, sur les dépositions d'un témoin que ni au stade de l'instruction ni pendant les débats l'accusé n'a eu la possibilité d'interroger ou faire interroger (arrêts A.M. c. Italie, no 37019/97, CEDH 1999-IX, § 25 ; Saïdi c. France du 20 septembre 1993, série A no 261-C, pp. 56–57, §§ 43–44).
En l'espèce, le témoin C. a été interrogé par commission rogatoire selon la procédure prévue par la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959. Il ressort du dossier que l'avocat du requérant a été mis en mesure de participer à l'audition du témoin et d'exercer les droits de la défense, au sens des dispositions de la Convention du 1959 et du droit interne.
En tout état de cause, la Cour relève que les déclarations de C. ne constituaient point le seul élément de preuve sur lequel les juges du fond ont appuyé la condamnation du requérant. S'y ajoutaient, en effet, les témoignages de différents prisonniers de guerre recueillis par les autorités américaines, le témoignage de B. ainsi que la documentation acquise auprès du War Office de Washington, de la Deutsche Dienststelle et de la Bundesarchiv de Berlin.
Dans ces conditions, la Cour ne saurait conclure que l'impossibilité d'interroger le témoin C. lors de son procès aurait porté atteinte aux droits de la défense au point d'enfreindre les paragraphes 1 et 3 d) de l'article 6 de la Convention.
Il s'ensuit que cette partie du grief doit être rejetée comme manifestement mal fondée, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
- b)
Dans la mesure où le grief du requérant porte sur l'impossibilité de trouver des preuves à décharge soixante ans après le déroulement des faits, la Cour estime que ce grief est étroitement lié à la question de l'imprescriptibilité des crimes d'une particulière gravité, punis de réclusion à perpetuité.
La Cour a eu l'occasion de rappeler maintes fois la fonction de garantie que remplit le mécanisme de la prescription. Selon sa jurisprudence ‘ les délais de prescription ont plusieurs finalités importantes, à savoir garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions, mettre les défendeurs potentiels à l'abri de plaintes tardives peut-être difficiles à contrer, et empêcher l'injustice qui pourrait se produire si les tribunaux étaient appelés à se prononcer sur des événements survenus loin dans le passé à partir d'éléments de preuve auxquels on ne pourrait plus ajouter foi et qui seraient incomplets en raison du temps écoulé ’ (Stubbings et autres c. Royaume-Uni, 22 octobre 1996, § 51, Recueil 1996-IV).
En même temps, la Cour souligne l'importance des obligations découlant des articles 2 et 3 de la Convention, qui impliquent le devoir d'adopter des dispositions en matière pénale qui sanctionnent effectivement les graves atteintes aux droits y reconnus et de les appliquer en pratique au travers d'une enquête et de poursuites effectives (Osman c. Royaume-Uni, 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII ; M.C. c. Bulgarie, no 39272/98, CEDH 2003-XII).
La Cour rappelle enfin qu'elle a plusieurs fois connu d'affaires relatives à des crimes contre l'humanité, imprescriptibles au regard du droit international, et que, dans ces affaires, elle n'a jamais considéré que cette imprescriptibilité était contraire à la Convention (Papon c. France (no 2) (déc.), no 54210/00, CEDH 2001-XII (extraits); Touvier c. France, no 29420/95).
La Cour ne saurait donc considérer comme contraire à l'article 6 une limitation des droits de la défense découlant de difficultés qui ne vont pas au-delà de celles que comporte inévitablement une poursuite qui, par l'effet du mécanisme de l'imprescriptibilité, a pu être menée plusieurs dizaines d'années après la commission des faits.
De plus, la Cour observe que les éléments à charge ont été présentés et discutés contradictoirement devant les juges du fond et que le requérant, en personne ou par l'intermédiaire de ses avocats, a pu faire valoir tous les arguments qu'il a estimé utiles à la défense de ses intérêts et présenter les moyens de preuve en sa faveur. En particulier, il a pu effectivement donner sa propre version des faits (voir, mutatis mutandis, Papon c. France (no 2) (déc.), no 54210/00, CEDH 2001-XII (extraits).
Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
3.
Le requérant se plaint de ce que les tribunaux internes lui auraient infligé une peine plus lourde que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise, contrairement aux exigences de l'article 7 § 1 de la Convention, qui dispose :
‘ Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise ’.
La Cour constate que le requérant a été condamné en vertu des articles 13 et 185 du code pénal militaire de guerre combinés avec les articles 575 et 577, §§ 3 et 4 et 61 §§ 1 et 4 du code pénal, applicables au moment des faits, ce qui n'est pas contesté par le requérant.
Ainsi, le grief porte, en substance, sur la qualification juridique des faits retenue par les tribunaux internes.
Si, aux termes de l'article 19 de la Convention, la Cour a pour tâche d'assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les États contractants, il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention. De plus, il incombe au premier chef aux autorités nationales, et singulièrement aux cours et tribunaux, d'interpréter et d'appliquer le droit interne (voir, parmi beaucoup d'autres, K.-H.W. c. Allemagne [GC], no 37201/97, § 44, CEDH 2001-II (extraits).
Il n'appartient pas à la Cour de se prononcer sur la responsabilité pénale individuelle du requérant, cette appréciation incombant en premier lieu aux juridictions internes, mais d'examiner sous l'angle de l'article 7 § 1 de la Convention si, au moment où elle a été commise, l'action du requérant constituait une infraction définie avec suffisamment d'accessibilité et de prévisibilité par le droit interne (K.-H.W. c. Allemagne [GC], précité, § 46).
A la lumière des principes établis en matière par la Cour, rien n'amène à conclure que loi litigieuse manquait de clarté ou de prévisibilité ou que les juridictions nationales auraient donné une interprétation arbitraire des articles pertinents du code pénal militaire de guerre, qui étaient en vigueur à l'époque où les infractions reprochées à l'intéressé ont été commises.
Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
4.
Le requérant se plaint de ce que l'application de l'amnistie aux seuls citoyens italiens constitue une discrimination fondée sur la nationalité, au sens des articles 14 combiné avec l'article 7 de la Convention et l'article 1 du Protocole no 12. l'article 14 est ainsi libellé :
‘ La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (…) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. ’
Le Protocole no 12 se lit ainsi :
- ‘ 1.
La jouissance de tout droit prévu par la loi doit être assurée, sans discrimination aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.
- 2.
Nul ne peut faire l'objet d'une discrimination de la part d'une autorité publique quelle qu'elle soit fondée notamment sur les motifs mentionnés au paragraphe 1 ’.
Quant au grief tiré de l'article 14 combiné avec l'article 7 de la Convention, la Cour note que le requérant n'a pas soulevé ce grief devant la Cour de cassation. Il ressort du dossier que ce grief a été soulevé uniquement par R., coaccusé du requérant. Même à supposer que le requérant ait épuisé les voies de recours internes, la Cour note que le D.P.R no 332 de 1966, tel qu'interprété par les juridictions internes, crée une distinction de traitement fondée sur la nationalité. En l'espèce, sans se pencher sur l'opportunité et la nécessité de prévoir une amnistie pour certains crimes d'une particulière gravité, la Cour estime que le choix de limiter l'amnistie aux seuls citoyens italiens se fonde sur des justifications objectives et raisonnables, à savoir la pacification nationale entre citoyens italiens dans le contexte extraordinaire de l'après-guerre. Par conséquent elle estime que ce grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
S'agissant du grief tiré de la violation de l'article 1 du Protocole no 12, la Cour rappelle que l'Italie n'a pas encore ratifié ce Protocole. Il s'ensuit que cette partie du grief doit être rejetée aux termes de l'article 35 §§ 3 et 4, étant incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Françoise Elens-Passos
Greffière adjointe
Françoise Tulkens
Présidente