EHRM, 02-02-2010, nr. 32798/06
ECLI:NL:XX:2010:BM6885
- Instantie
Europees Hof voor de Rechten van de Mens
- Datum
02-02-2010
- Magistraten
Peer Lorenzen, Renate Jaeger, Jean-Paul Costa, Rait Maruste, Isabelle Berro-Lefèvre, Mirjana Lazarova Trajkovska, Zdravka Kalaydjieva
- Zaaknummer
32798/06
- LJN
BM6885
- Roepnaam
Monedero/Frankrijk
- Vakgebied(en)
Internationaal publiekrecht (V)
- Brondocumenten en formele relaties
ECLI:NL:XX:2010:BM6885, Uitspraak, Europees Hof voor de Rechten van de Mens, 02‑02‑2010
Uitspraak 02‑02‑2010
Peer Lorenzen, Renate Jaeger, Jean-Paul Costa, Rait Maruste, Isabelle Berro-Lefèvre, Mirjana Lazarova Trajkovska, Zdravka Kalaydjieva
Partij(en)
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 32798/06
présentée par José MONEDERO et autres contre la France
La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant le 2 février 2010 en une chambre composée de :
Peer Lorenzen, président,
Renate Jaeger,
Jean-Paul Costa,
Rait Maruste,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Zdravka Kalaydjieva, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 28 juillet 2006,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
En fait
Les requérants sont deux personnes physiques, M. José Monedero et Mme Rose-Marie Penas, épouse Monedero (‘ les requérants ’), nés respectivement en 1951 et 1956, résidant à Alenia, ainsi qu'une personne morale de droit français, la société à responsabilité limitée SILMO (‘ la société requérante ’) ayant son siège social dans cette commune. Ils sont représentés devant la Cour par Me Fabrice Baboin, avocat à Montpellier. Le gouvernement français (‘ le Gouvernement ’) est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
A. Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
La requérante personne physique (‘ la requérante ’) est la gérante de la société requérante, laquelle exploitait à titre de locataire deux salles, propriétés du requérant, et les louait à son tour à des ‘ associations à but non lucratif ’ qui y organisaient essentiellement des lotos autrement dénommés ‘ rifles ’. Les requérants précisent que cette activité s'est déroulée sans interruption de 1999 à 2005.
Le 19 février 2002, à 20 heures 50, des agents des douanes se présentèrent à l'établissement afin d'y effectuer un contrôle en matière de contributions indirectes et d'exploitation de la licence, sur le fondement de l'article L. 26 du livre des procédures fiscales. Ils y procédèrent au contrôle des boissons fournies par l'établissement et à l'examen des factures.
Selon les requérants, alors qu'aucune infraction n'avait été révélée, il fut procédé à des interrogatoires, notamment de la requérante qui tenait la buvette, et à des constatations par procès-verbal qui auraient été sans rapport avec ledit contrôle.
S'agissant de ces faits, il ressort d'un procès-verbal établi le 3 mai 2002, que les agents procédant au contrôle constatèrent la présence dans les deux salles de nombreuses personnes occupées à jouer au loto, ainsi que l'existence de panneaux lumineux affichant les numéros annoncés par micro par un ‘ nommeur ’.
Les contrôleurs interrogèrent Mme Monedero ainsi que M., président de l'association ‘ Canet en Roussillon basket club ’, tous deux sur les lieux, sur l'organisation de la soirée. Ils furent tous les deux convoqués pour une nouvelle audition, M. Monedero étant également entendu.
Les contrôleurs déduisirent de l'audition de M. que la société requérante gérait une réserve de bons d'achat utilisés d'une rifle à l'autre. Ils en conclurent qu'elle intervenait comme organisateur.
Lors de son audition, la requérante expliqua aux contrôleurs les conditions de location des salles et d'organisation des soirées. Elle précisa notamment que les gains étaient constitués de bons d'achat, que 208 loteries avaient été organisées en 2001, au rythme de quatre par semaine, et que la SARL avait réalisé un bénéfice de 3 048 euros (‘ EUR ’) sur 9 248 EUR de recettes.
Le 20 mars 2002, un contrôleur des douanes adressa à la requérante une ‘ demande d'information ’, dans laquelle il sollicitait la communication du montant du produit des recettes générées par les ‘ rifles ’. Le 31 mars 2002, elle communiqua le chiffre de 1 211 343,27 EUR, ce qui correspondait au total des recettes des associations organisatrices, précisant que les justificatifs comptables étaient entre les mains de ces dernières.
Le procès-verbal du 3 mai 2002 retint les infractions suivantes : défaut de déclaration d'ouverture d'une maison de jeux ; défaut de déclaration de recettes et défaut de paiement de l'impôt sur les spectacles de 4ème catégorie ; défaut de tenue de la comptabilité annexe, principalement du registre récapitulatif du produit brut des jeux.
Par un soit transmis du 3 juillet 2003, le procureur de la République saisit la gendarmerie pour enquête. Des constatations furent opérées, des joueurs et présidents d'associations, utilisateurs des salles furent entendus.
A l'issue de leur audition par les gendarmes le 18 novembre 2003, le requérant et la requérante furent présentés au parquet. Des poursuites pour ‘ particip[ation] à la tenue d'une maison de jeux de hasard où le public est librement admis ’ leur furent signifiées, et ils furent cités à comparaître devant le tribunal correctionnel de Perpignan le 5 janvier 2004 ; ils furent ultérieurement également cités pour subornation de témoins. La société requérante fut quant à elle citée le 27 novembre 2003.
Le 14 juin 2004, après trois reports, l'audience eut lieu. Le 7 juillet 2004, le tribunal rendit son jugement. Après avoir détaillé les éléments de faits sur lesquels reposent le constat qu'il y avait en l'espèce participation à la ‘ tenue d'une maison de jeux de hasard où le public est librement admis ’ au sens du premier alinéa de l'article 1er de la loi du 12 juillet 1983 interdisant certains appareils de jeux, le tribunal souligna dans son jugement que, s'il pouvait être considéré que les associations ne se déchargeaient pas intégralement de l'organisation des rifles sur les époux Monedero, ceux-ci devaient à tout le moins être considérés comme coorganisateurs, intéressés aux bénéfices. Il releva par ailleurs que si les prévenus entendaient contester les déclarations de certains témoins, ils auraient pu les citer à l'audience. Il retint en outre que l'infraction de subornation de témoins retenue à l'encontre des requérants était constituée en ce qui concernait deux témoins.
Partant, le tribunal condamna le requérant et la requérante à six mois d'emprisonnement avec sursis pour les infractions susmentionnées. Par ailleurs, sur l'action douanière, il reconnut la requérante et la société requérante coupables de ‘ défaut de déclaration d'ouverture de maison de jeux ’, ‘ défaut de déclaration de recettes et défaut de paiement de l'impôt ’, et ‘ défaut de tenue de comptabilité générale et annexe ’. Faisant droit aux demandes de l'administration des douanes, il les condamna solidairement au paiement de trois amendes de 200 EUR chacune, des droits fraudés (soit 770 183,29 EUR) et de trois ‘ pénalités proportionnelles ’ de 770 183,29 EUR chacune (soit 2 310 549,90 EUR), ainsi qu'à la ‘ confiscation des recettes de jeu échappées fictivement saisies ’ et au paiement de leur valeur (soit 1 211 343,27 EUR). En outre, il prononça ‘ la confiscation du matériel et des marchandises saisis, au paiement de la somme de 12 341,94 EUR ’. Le montant total de ces condamnations s'éleva à 4 305 018,30 EUR.
Par un arrêt du 20 janvier 2005, la cour d'appel de Montpellier confirma le jugement sur l'action publique, retenant en particulier le rôle moteur des époux Monedero dans la promotion et l'organisation des soirées dont ils tiraient des bénéfices substantiels et réguliers, proportionnels au nombre des participants. Elle confirma aussi que le délit de subornation de témoin, dont la matérialité n'était pas contestée, était également constitué.
La cour d'appel confirma en outre le jugement sur l'action douanière, sauf quant au montant des pénalités proportionnelles. Statuant à nouveau sur ce dernier point et jugeant qu'il existait des circonstances atténuantes justifiant l'application de l'article 1800 du code général des impôts, elle condamna la requérante et la société requérante à trois pénalités proportionnelles de 256 727,76 EUR. Le montant total des condamnations prononcées contre elles fut ainsi ramené à 2 764 651,80 EUR
Les requérants se pourvurent en cassation, invoquant notamment une violation des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1. A cet égard, ils soutenaient que ‘ la loi fiscale qui permet de poursuivre des faits d'ouverture sans déclaration d'une maison de jeux de hasard sous trois incriminations différentes prévoyant des sanctions cumulables et s'ajoutant à la condamnation au paiement des droits fraudés, et au paiement de la valeur des recettes saisies fictivement, ainsi que du matériel et marchandises saisis, aboutit à une atteinte disproportionnée au droit de toute personne au respect de ses biens ’.
Par un arrêt du 22 février 2006, la Cour de cassation (chambre criminelle) rejeta cependant le pourvoi au motif notamment que ‘ les sanctions prévues à l'article 1791 du code général des impôts, qui peuvent être modérées en application de l'article 1800 du même code, ne sont pas contraires à l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention ’.
B. Le droit interne et communautaire pertinent
1. Droit interne
L'article 1er de la loi du 12 juillet 1983 interdisant certains appareils de jeux, tel qu'applicable au moment des faits, se lit comme suit :
‘ Le fait de participer, y compris en tant que banquier, à la tenue d'une maison de jeux de hasard où le public est librement admis, même lorsque cette admission est subordonnée à la présentation d'un affilié, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.’
L'article 6 de la loi portant prohibition des loteries du 21 mai 1836 (modifiée) est ainsi libellé :
‘ [La prohibition ne concerne pas les] lotos traditionnels, également appelés ‘ poules au gibier ’, ‘ rifles ’ ou ‘ quines ’, lorsqu'ils sont organisés dans un cercle restreint et uniquement dans un but social, culturel, scientifique, éducatif, sportif ou d'animation sociale et se caractérisent par des mises de faible valeur, inférieures à 20 euros. Ces lots ne peuvent, en aucun cas, consister en sommes d'argent ni être remboursés. Ils peuvent néanmoins consister dans la remise de bons d'achat non remboursables. ’
L'article 1559 du code général des impôts est ainsi rédigé :
‘ Les spectacles, jeux et divertissements de toute nature sont soumis à un impôt dans les formes et selon les modalités déterminées par les articles 1560 à 1566.
Toutefois, l'impôt ne s'applique plus qu'aux réunions sportives d'une part, aux cercles et maisons de jeux, d'autre part. ’
Les dispositions des articles 1560, 1563 et 1565 du même code précisent de manière détaillée les modalités de calcul du tarif d'imposition des spectacles, les bases de cet impôt et les modalités de la déclaration administrative obligatoire que doit faire l'organisateur du spectacle ou de la représentation.
Les articles 124, 147, 149, 152 et 154 de l'annexe IV du code général des impôts définissent précisément les indications que doit contenir la déclaration administrative, ainsi que les éléments précis à prendre en compte pour le calcul de la base d'imposition dans le cas des cercles et maisons de jeux, tout en précisant leurs obligations comptables.
Les articles 1791, 1797, 1800 et 1804 B du code général des impôts sont rédigés comme suit :
Article 1791
- ‘ I.
Sous réserve des dispositions spéciales prévues aux articles ci-après, toute infraction aux dispositions du titre III de la première partie du livre Ier, et des lois régissant les contributions indirectes, ainsi que des décrets et arrêtés pris pour leur exécution, toute manœuvre ayant pour but ou pour résultat de frauder ou de compromettre les droits, taxes, redevances, soultes et autres impositions établies par ces dispositions sont punies d'une amende de 15 euros à 750 euros, d'une pénalité dont le montant est compris entre une et trois fois celui des droits, taxes, redevances, soultes ou autres impositions fraudés ou compromis, sans préjudice de la confiscation des objets, produits ou marchandises saisis en contravention.
(…) ’
Article 1797
‘ En ce qui concerne les infractions commises en matière d'impôts sur les cercles et maisons de jeux, si les droits fraudés ou compromis ne peuvent être déterminés avec précision, le tribunal fixe la pénalité de une à trois fois les droits d'après les éléments d'information qui peuvent lui être fournis par l'administration, avec un minimum de 75 euros.
Sont tenues solidairement des condamnations toutes personnes dirigeant, administrant ou exploitant le cercle ou la maison de jeux à un titre quelconque comme aussi toutes celles qui ont participé à la fraude ou l'ont sciemment favorisée. ’
Article 1800
‘ En matière de contributions indirectes et par application de l'article 463 du code pénal, si les circonstances paraissent atténuantes, les tribunaux sont autorisés à modérer le montant des amendes et à libérer le contrevenant de la confiscation, sauf pour les objets prohibés, par le paiement d'une somme que le tribunal arbitre.
Le minimum des condamnations encourues est fixé au tiers de la somme servant de base au calcul de la pénalité proportionnelle.
Les tribunaux ne peuvent dispenser le redevable du paiement des sommes fraudées ou indûment obtenues.
Les circonstances atténuantes cessent d'être applicables, en cas de récidive, dans le délai d'un an. ’
Article 1804 B
‘ En sus des pénalités fiscales prévues au I de l'article 1791 et aux articles 1791 ter à 1804 A, le tribunal ordonne le paiement des sommes fraudées ou indûment obtenues à raison de l'infraction. ’
2. Droit communautaire
La Cour de justice des Communautés européennes a encadré de la manière suivante les restrictions, en matière de jeux de hasard et d'argent, au regard du principe de libre prestation des services, garantie par l'actuel article 49 du Traité CE, dans l'arrêt Schindler du 24 mars 1994 (C-275/92) :
‘ 60.
(…) il n'est pas possible de faire abstraction, tout d'abord, des considérations d'ordre moral, religieux ou culturel qui entourent les loteries comme les autres jeux d'argent dans tous les Etats membres. Celles-ci tendent, de manière générale, à limiter voire à interdire la pratique des jeux d'argent et à éviter qu'ils ne soient une source de profit individuel. Il convient, ensuite, de relever que, compte tenu de l'importance des sommes qu'elles permettent de collecter et des gains qu'elles peuvent offrir aux joueurs, surtout lorsqu' elles sont organisées à grande échelle, les loteries comportent des risques élevés de délit et de fraude. Elles constituent, en outre, une incitation à la dépense qui peut avoir des conséquences individuelles et sociales dommageables. Enfin, sans que ce motif puisse, en lui-même, être regardé comme une justification objective, il n'est pas indifférent de relever que les loteries peuvent participer, de manière significative, au financement d'activités désintéressées ou d'intérêt général telles que les œuvres sociales, les œuvres caritatives, le sport ou la culture.
61.
Ces particularités justifient que les autorités nationales disposent d' un pouvoir d' appréciation suffisant pour déterminer les exigences que comportent la protection des joueurs et, plus généralement, compte tenu des particularités socioculturelles de chaque État membre, la protection de l'ordre social, tant en ce qui concerne les modalités d' organisation des loteries, le volume de leurs enjeux, que l' affectation des profits qu' elles dégagent. Dans ces conditions, il leur revient d'apprécier non seulement s'il est nécessaire de restreindre les activités des loteries, mais aussi de les interdire, sous réserve que ces restrictions ne soient pas discriminatoires. ’
Dans ses conclusions (point 40) dans l'affaire Liga portuguesa de Futebol Profissional (C-42/07), qui a donné lieu à un arrêt rendu le 8 septembre 2009, l'avocat général résume l'état du droit dans les Etats membres de l'Union européenne en matière de fiscalité des jeux de hasard et d'argent :
‘ (…) le traitement fiscal des jeux de hasard et d'argent diverge beaucoup d'un Etat membre à l'autre, puisque, dans quelques Etats membres, les profits générés par l'exploitation de ces jeux doivent être affectés, dans des proportions variables, à des causes d'intérêt général. De même, la part des gains distribués aux joueurs varie sensiblement. ’
Griefs
1.
Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent du ‘ non-respect du principe d'égalité des armes et de loyauté de la preuve ’, d'une violation du ‘ droit d'être entendu par un tribunal apte à décider ’ et, enfin d'une violation du ‘ droit à ce que le juge puisse moduler la sanction ’ en fonction des éléments de la cause et de la personnalité des accusés.
2.
Ils dénoncent en outre une atteinte à l'article 1 du Protocole no 1 résultant du caractère disproportionné entre, d'une part le montant total des condamnations prononcées contre la requérante et la société requérante (2 764 651,80 EUR) et d'autre part la valeur de leurs patrimoines cumulés.
En droit
1.
Les requérants soutiennent que la procédure ayant conduit à leur condamnation méconnaîtrait leur droit à un procès équitable. Ils invoquent l'article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent ainsi :
Article 6 § 1
‘ Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal (…), qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ’
Compte tenu de l'ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle était compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n'a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles.
Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2.
Les requérants contestent le montant des condamnations prononcées à leur encontre, dénonçant une atteinte au droit au respect de leurs biens tel que prévu par l'article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
Article 1 du Protocole no 1
‘ Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. ’
1. Thèse des parties
Le Gouvernement reconnaît tout d'abord que la condamnation des requérants pour des infractions en matière de contributions indirectes constitue une ingérence dans le droit au respect de leurs biens. Il estime que cette ingérence entre dans les prévisions du § 2 de l'article 1 comme assurant le paiement des impositions fiscales.
Il souligne la légalité de cette ingérence au regard des dispositions du code général des impôts et de la jurisprudence interne. Il rappelle à cet égard la particularité des règles régissant les sanctions en matière de contributions indirectes. Il fait valoir que ces règles impliquent le paiement intégral des sommes fraudées (article 1804 B du code général des impôts) et que le principe de non-cumul des peines ne s'appliquent pas aux amendes et pénalités fiscales. Il ajoute que les pénalités proportionnelles sont encourues dès lors que l'infraction commise a eu pour effet de frauder ou de compromettre les droits. Il précise enfin que la confiscation des produits saisis est automatique, quelle que soient les modalités de la saisie, fût-elle fictive.
Il considère que l'ingérence litigieuse répond à l'objectif légitime d'encadrement des jeux de hasard. Il précise que les prélèvements fiscaux en cause s'inscrivent dans le cadre d'une politique publique visant notamment à assurer une croissance équilibrée du secteur tout en procurant des recettes aux collectivités publiques, particulièrement dans le domaine social. Dans cette optique, tout organisateur, légal ou occulte, de jeux de hasard ou d'argent, est soumis à l'impôt. Cette logique conduit à des sanctions dont le caractère dissuasif répond, selon le Gouvernement, à la nécessité d'encadrer strictement un secteur dont l'ampleur économique et sociale s'accompagne de dangers pour l'ordre public comme pour la santé des joueurs.
Le Gouvernement fait cependant valoir que le cadre ainsi défini ménage un ‘ juste équilibre ’ entre la lutte contre les jeux occultes, le financement des collectivités publiques et les droits fondamentaux des personnes. Il précise qu'en l'espèce cet équilibre a été ménagé dans les sanctions prononcées, compte tenu tout d'abord du pouvoir de modulation des juges par le jeu des circonstances atténuantes. Il ajoute que l'évaluation des recettes constituant la base des prélèvements proportionnels correspond à une somme déclarée par la requérante, dont le montant n'a pas été contesté. Il fait encore valoir que les sanctions prises ont tendu à réprimer un comportement des requérants qu'il qualifie de frauduleux, soulignant son caractère extrêmement lucratif, ainsi que la pression exercée par les requérants sur certains témoins. Dès lors, tout en admettant le montant important des condamnations, il conclut que les requérants n'ont pas subi de charge intolérable.
Les requérants contestent le montant de condamnations (2 764 654,80 euros) qu'ils qualifient de confiscatoires. Ils critiquent tout d'abord l'évaluation de l'assiette des condamnations, estimant que le chiffre communiqué par la requérante à l'administration des douanes (1 211 343,11 euros) correspond aux recettes de l'ensemble des associations organisatrices, les sommes touchées par la société requérante s'élevant seulement à 108 492,22 euros sur la période en cause d'octobre 2000 à septembre 2002. Ils réfutent en outre le caractère lucratif de leur entreprise, exposant n'avoir perçu que 34 095 euros au titre des revenus fonciers et des dividendes de la société. Ils ajoutent que ces sommes ont été déclarées à l'administration fiscale et soumises à l'impôt.
Les requérants précisent enfin qu'au regard de leur patrimoine, qu'ils évaluent à 800 000 euros, constitué de biens acquis selon eux avant la période litigieuse, les sommes réclamées au titre d'une seule année conduiraient à compromettre irrémédiablement leur situation sociale.
2. Appréciation de la Cour
a) Rappel des principes
La Cour considère, en vertu d'une jurisprudence constante, que l'imposition fiscale est en principe une ingérence dans le droit garanti par le premier alinéa de l'article 1 du Protocole no 1 (Buffalo S.r.l. en liquidation c. Italie, no 38746/97, § 32, 3 juillet 2003).
Toute atteinte au droit au respect des biens, y compris celle résultant d'une mesure tendant à assurer le paiement des impôts, doit ménager un ‘ juste équilibre ’ entre les exigences de l'intérêt général de la collectivité et les impératifs de la protection des droits fondamentaux des individus (voir, parmi beaucoup d'autres, Gasus Dosier und Fördertechnik GmbH c. Pays-Bas, 23 février 1995, § 62, série A no306-B).
Il est certes admis qu'un Etat contractant, quand il élabore et met en œuvre une politique en matière fiscale, jouit d'une large marge d'appréciation, et la Cour respecte l'appréciation portée par le législateur en de pareilles matières, sauf si elle est dépourvue de base raisonnable (voir, notamment, Dukmedjian c. France, no 60495/00, § 54, 31 janvier 2006). Pourtant, même en tenant compte de cette marge d'appréciation, l'obligation financière née du paiement d'une amende peut léser la garantie consacrée par la disposition précitée, si elle impose à la personne en cause une charge excessive ou porte fondamentalement atteinte à sa situation financière (Mamidakis c. Grèce, no 35533/04, § 45, 11 janvier 2007, et Valico S.r.l. c. Italie (déc.), no 70074/01, CEDH 2006-III).
b) Application au cas d'espèce
La Cour note tout d'abord que les amendes prononcées, ainsi que les pénalités et la condamnation au paiement des droits fraudés, relèvent d'une ingérence dans le droit garanti par le premier alinéa de l'article 1 du Protocole no 1, car elles privent le requérant d'un élément de propriété, à savoir les sommes dont il doit s'acquitter. Cette ingérence se justifie conformément au second alinéa de cet article, qui prévoit expressément une exception pour ce qui est du paiement d'impôts, d'autres contributions ou d'amendes (voir Mamidakis, précité, § 44). Il en est de même de la mesure de confiscation qui poursuit le même objectif (voir, mutatis mutandis, Phillips c. Royaume-Uni, no 41087/98, § 51, CEDH 2001-VII).
La Cour observe que les manquements sanctionnés entrent dans les prévisions des dispositions légales qui régissent très précisément le régime des jeux de hasard et définissent de manière détaillée les modalités d'impositions de ces activités et les sanctions dont elles sont assorties.
La Cour relève de surcroît, à l'instar de la Cour de justice des Communautés européennes (paragraphe 24 ci-dessus), que la législation interne poursuit des buts d'intérêt général qui commandent l'encadrement et le traitement fiscal des jeux de hasard. Le cadre juridique ainsi défini concilie les impératifs d'ordre et de santé publics et le financement d'activités relevant de la collectivité.
Reste à rechercher si les autorités ont en l'espèce ménagé un rapport de proportionnalité entre les moyens employés et le but recherché, en faisant application des règles ci-dessus rappelées.
La Cour observe à cet égard que si une sanction ne doit pas imposer à celui auquel elle s'applique une charge excessive ou porter fondamentalement atteinte à sa situation financière, c'est au regard du manquement commis, et non du patrimoine comme allégué par les requérants, que son caractère disproportionné doit être établi (Grifhorst c. France, no 28336/02, §§ 102 et 105, 26 février 2009). Ainsi, dans l'affaire Mamidakis ayant donnée lieu à l'arrêt précité, le choix de la sanction lui-même posait-il problème au regard des circonstances de cette espèce. La Cour s'attache donc d'abord, dans ce type d'affaires, au comportement du requérant (Grifhorst, précité, § 93).
S'agissant de la présente affaire, la Cour observe que les requérants ont été condamnés pour s'être livrés à un montage illicite visant à générer des profits en contournant les règles légales encadrant tant l'organisation que la fiscalité des jeux de hasard. Les juridictions internes ont estimé que le comportement des requérants était à cet égard exclusif de toute bonne foi, dès lors, notamment, qu'ils ont pris une part déterminante dans l'organisation et la surveillance du déroulement des parties, dont ils tiraient des revenus calculés sur la base des recettes réalisées. La Cour relève d'ailleurs que le contrôle effectué n'a pas dissuadé les requérants de poursuivre leur activité durant plusieurs années, et de se livrer à des manœuvres visant à faire échec à la procédure engagée, notamment des subornations de témoins pour lesquelles ils ont été condamnés.
La Cour constate également que les sanctions litigieuses ont en réalité un caractère modulable. D'une part, elle note que les requérants ont été condamnés pénalement à six mois d'emprisonnement avec sursis au titre de plusieurs infractions, alors même que l'une d'entre elles, la participation à la tenue d'une maison de jeux de hasard où le public est librement admis, était à elle seule punissable de deux ans d'emprisonnement. D'autre part et surtout, il en est de même sur l'action douanière, au titre de laquelle les requérants, s'ils ont dû s'acquitter de l'intégralité des droits fraudés, ont bénéficié du pouvoir de modération du juge tiré de l'article 1800 du code général des impôts, puisque, s'agissant de la pénalité proportionnelle, leur condamnation a été largement réduite par la cour d'appel, qui a tenu compte de l'existence de circonstances atténuantes.
Les sanctions infligées aux requérants, pour importantes qu'elles soient, s'inscrivent manifestement dans la large marge d'appréciation dont les autorités nationales disposent en matière de politique fiscale, d'autant plus qu'elles concernent l'encadrement des jeux de hasard, qui poursuit des buts d'intérêt général, notamment la nécessité de lutter contre le blanchiment d'argent. De surcroît, les requérants devaient savoir, à l'aide de conseils éclairés, qu'ils couraient un risque réel d'être poursuivis, compte tenu de la réglementation qui régit de manière détaillée le domaine considéré.
Au vu de ces éléments et dans les circonstances particulières de l'espèce, la Cour arrive à la conclusion que les sanctions imposées aux requérants n'étaient pas disproportionnées au regard des manquements commis (voir, mutatis mutandis, Grifhorst, précité, §§ 102 et 105).
Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Claudia Westerdiek
Greffière
Peer Lorenzen
Président