EHRM, 07-10-2008, nr. 41138/05
ECLI:NL:XX:2008:BI4795
- Instantie
Europees Hof voor de Rechten van de Mens
- Datum
07-10-2008
- Magistraten
Josep Casadevall, Corneliu Bîrsan, Boštjan M. Zupančič, Egbert Myjer, Ineta Ziemele, Luis López Guerra, Ann Power
- Zaaknummer
41138/05
- LJN
BI4795
- Vakgebied(en)
Internationaal publiekrecht (V)
Internationaal strafrecht (V)
- Brondocumenten en formele relaties
ECLI:NL:XX:2008:BI4795, Uitspraak, Europees Hof voor de Rechten van de Mens, 07‑10‑2008
Uitspraak 07‑10‑2008
Josep Casadevall, Corneliu Bîrsan, Boštjan M. Zupančič, Egbert Myjer, Ineta Ziemele, Luis López Guerra, Ann Power
Partij(en)
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 41138/05
présentée par José MONEDERO ANGORA
contre l'Espagne
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant le 7 octobre 2008 en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,
Corneliu Bîrsan,
Boštjan M. Zupančič,
Egbert Myjer,
Ineta Ziemele,
Luis López Guerra,
Ann Power, juges,
et de Stanley Naismith, greffier adjoint de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 15 novembre 2005,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
En fait
Le requérant, M. José Monedero Angora, est un ressortissant espagnol, né en 1960 et résidant à Alcazar de San Juan. Il est représenté devant la Cour par Me M. Cobo del Rosal, avocat à Madrid.
A. Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le 18 juin 2004, le requérant fut arrêté en Espagne et placé en détention provisoire en exécution d'un mandat d'arrêt européen émis par les autorités judiciaires françaises, en vertu d'un arrêt du Tribunal de Grande Instance de Pau, rendu par contumace le 12 janvier 1993, qui condamna le requérant à une peine de cinq ans de prison pour infraction à la législation sur les stupéfiants.
Le 25 juin 2004, le juge central d'instruction no 4 renvoya le dossier à l'Audiencia Nacional pour décision sur le fond, tout en estimant que le délai légal établi pour la remise du requérant aux autorités françaises n'avait pas été respecté et en appréciant la concurrence d'un motif facultatif pour rejeter la remise du requérant aux autorités françaises, ce dernier, de nationalité espagnole, s'y étant opposé.
Le 15 juillet 2004, le requérant présenta une demande de liberté provisoire, estimant que rien n'indiquait qu'il était l'auteur du délit objet de l'arrêt prononcé en 1993 par les juridictions françaises. Par une décision du 20 juillet 2004, l'Audiencia Nacional rejeta sa demande.
Le 27 juillet 2004, ce même tribunal ordonna toutefois la remise en liberté du requérant, demandant en même temps aux autorités françaises les empreintes digitales de la personne qui avait été détenue en France et à Interpol les empreintes digitales obtenues de la personne réclamée en vue d'extradition.
Par une décision du 22 décembre 2004, l'Audiencia Nacional accorda la remise du requérant aux autorités françaises. Elle nota que la procédure respectait les conditions exigées par la loi 3/2003, du 14 mars, promulguée en Espagne afin d'accomplir les obligations de la décision-cadre du 13 juin 2002 adoptée par le Conseil de l'Union européenne, relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres (JOUE L 190/1, du 18 juillet 2002). La remise du requérant aux autorités françaises était conditionnée à l'exécution en Espagne de la peine qui pourrait être infligée au requérant, l'arrêt de condamnation ayant été prononcé par contumace et étant donc susceptible de recours.
Le 30 décembre 2004, le requérant présenta une demande d'interprétation (aclaración) de la décision suscitée, sollicitant, d'une part s'il avait été identifié et par quel moyen, et d'autre part l'application à son égard de la loi 4/1985 du 21 mars, d'extradition passive et non de la décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002, étant donné que les faits à l'origine de la procédure pénale en France eurent lieu entre février 1991 et janvier 1992. Par une décision du 31 janvier 2005, l'Audiencia Nacional rejeta le recours, estimant qu'il ne rentrait pas dans les cas susceptibles de demande d'interprétation, conformément à l'article 267 de la loi organique portant sur le pouvoir judiciaire. Par erreur, cette décision ne fut pas notifiée au requérant.
Le même jour, l'Audiencia Nacional ordonna la détention du requérant aux fins de sa remise aux autorités françaises. Le recours de súplica présenté contre cette décision fut rejeté en date du 18 février 2005, la mesure ayant été accordée aux fins de la remise du requérant aux autorités françaises, qui pourrait accomplir la peine définitive en Espagne.
Invoquant les articles 24 (droit à un procès équitable) en liaison avec l'article 17 (droit à la liberté), et 25 (principe de légalité) de la Constitution, le requérant saisit le Tribunal constitutionnel d'un recours d'amparo contre les décisions des 22 décembre 2004, 31 janvier et 18 février 2005. Par un arrêt du 18 juillet 2005, notifié le 27 juillet 2005, la haute juridiction rejeta le recours.
Concernant les griefs relatifs à la décision du 22 décembre 2004, la haute juridiction rejeta le recours pour tardiveté, les erreurs dans la notification de la décision du 31 janvier 2005 qui rejeta la demande d'interprétation formée contre ladite décision n'ayant aucune incidence, un tel recours étant manifestement non-pertinent.
Concernant les décisions des 31 janvier et 18 février 2005, relatives à la détention du requérant en vue de sa remise aux autorités françaises, la haute juridiction nota que le recours d'amparo ne présentait aucun grief portant sur ces décisions, le requérant se limitant à attaquer, d'une part, l'application par l'Audiencia Nacional de la loi 3/2003 portant sur le mandat d'arrêt européen au lieu de la législation extraditionnelle que le requérant estimait plus adéquate pour son cas et, d'autre part, la procédure pénale suivie en France à l'origine du mandat d'arrêt européen, qui porterait sur un délit qui, selon le requérant, aurait été prescrit. Elle rappela qu'il ne lui incombait pas de reconstruire les motifs du recours invoqués par les requérants.
Le requérant demanda alors que la décision du 31 janvier lui fût notifiée, ce qui fut fait en date du 7 septembre 2005. Le 14 septembre 2005, il saisit alors à nouveau le Tribunal Constitutionnel d'un recours d'amparo qui, par une décision du 29 septembre 2005, le rejeta, insistant sur le caractère non-pertinent de la demande d'interprétation constitutive d'un allongement artificiel de la procédure.
B. Le droit interne pertinent
Loi organique portant sur le pouvoir judiciaire, Article 267
‘ 1. Les tribunaux ne peuvent pas modifier les décisions prononcées une fois signées ; ils peuvent toutefois interpréter des concepts obscurs et rectifier des erreurs matérielles (…). ’
Loi 3/2003, du 14 mars, portant sur le mandat d'arrêt européen Exposé des motifs (extraits)
‘ (…) La présente loi a pour objet d'accomplir les obligations que la décision-cadre établit pour les États membres, qui consistent à substituer des procédures d'extradition par une nouvelle procédure de remise [aux autorités de l'État réclamant] des personnes suspectes d'un délit ou de celles qui tentent d'échapper à l'action de la justice après avoir été condamnées par une décision définitive. (…)
L'application du principe de reconnaissance mutuel détermine que, une fois reçu le mandat européen par l'autorité compétente pour son exécution, cette dernière a lieu de façon pratiquement automatique, sans que l'autorité judiciaire devant exécuter l'ordre n'effectue un nouvel examen de la demande pour vérifier sa conformité avec la législation interne. Ainsi, les motifs pour lesquels l'autorité judiciaire peut refuser l'exécution [dudit mandat] sont fixés par la loi et sa nature permet une appréciation objective par l'autorité judiciaire. Disparaissent donc les motifs habituels de refus dans les procédures extraditionnelles tels que ceux relatifs à la non-remise des nationaux ou à la considération de certains délits comme des délits politiques.
Le caractère profondément innovateur de cette procédure s'accentue si l'on considère qu'il s'applique par rapport à une vaste liste de catégories délictuelles établies par la décision-cadre, et dont l'existence de double incrimination ne peut plus être contrôlée. De cette façon, lorsque l'autorité judiciaire reçoit un mandat européen d'arrêt pour l'un des types délictuels établis dans la liste, et pourvu qu'il dépasse un seuil donné de peine, elle devra procéder à l'exécution, indépendamment du fait que sa législation pénale inclue ou non un tel délit. (…) ’
Griefs
1.
Invoquant l'article 5 de la Convention, le requérant se plaint d'avoir été privé de sa liberté pendant le déroulement de la procédure de remise aux autorités françaises en vertu du mandat d'arrêt européen délivré à son encontre.
2.
Invoquant les articles 6 et 7 de la Convention, le requérant se plaint d'une atteinte au principe de la présomption d'innocence et à son droit à un procès équitable par un tribunal indépendant et impartial dans un délai raisonnable en relation avec les principes de légalité et de réciprocité. Il estime que la loi 3/2002 du 14 mars portant sur le mandat d'arrêt européen n'était pas applicable au cas d'espèce, et que la procédure aurait dû respecter la loi 4/1985 du 21 mars portant sur l'extradition passive. Il insiste par ailleurs sur l'impossibilité de se défendre, occasionnée par l'erreur dans la notification de la décision du 31 janvier 2005, rejetant sa demande en interprétation de la décision du 22 décembre 2004 et sur le dépassement des délais fixés par la loi 3/2003 dans le déroulement de la procédure, sans aucune justification.
3.
Invoquant l'article 13 de la Convention, le requérant se plaint, d'une part, que malgré son refus à être remis aux autorités françaises, la loi 3/2003 ne prévoit pas de recours contre la décision de remise adoptée par l'Audiencia Nacional et, d'autre part, que son recours d'amparo a été déclaré irrecevable pour tardiveté, ce qui l'a aussi privé d'efficacité.
En droit
1.
Le requérant invoque l'article 5 de la Convention, en raison de sa privation de liberté pendant le déroulement de la procédure de remise aux autorités françaises.
Article 5
‘ 1.
Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
(…)
- f)
s'il s'agit de l'arrestation ou de la détention régulières d'une personne (…) contre laquelle une procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours. (…) ’
La Cour relève que le requérant se limite à manifester son désaccord avec sa privation de liberté, mais n'étaye pas les raisons pour lesquelles ladite privation de liberté aurait été irrégulière, se bornant à attaquer la procédure d'arrêt et de remise aux autorités françaises entamée à son encontre et la procédure pénale à la base d'une telle procédure. Elle note par ailleurs que le Tribunal Constitutionnel a constaté qu'aucun grief étayé dans le cadre de son recours d'amparo ne portait sur sa privation de liberté. Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé, conformément à l'article 35 § 3 de la Convention.
2.
Le requérant se plaint d'une atteinte à son droit à un procès équitable par un tribunal indépendant et impartial dans un délai raisonnable en relation avec les principes de légalité et de réciprocité, et d'une atteinte au principe de la présomption d'innocence. Il invoque les articles 6 et 7 de la Convention qui, dans leurs parties pertinentes, sont libellées comme suit :
Article 6
- ‘ 1.
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (…).
- 2.
Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. (…) ’
Article 7
- ‘ 1.
Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. (…) ’
Concernant les griefs du requérant tirés de l'article 6 de la Convention, la Cour rappelle tout d'abord que le droit de ne pas être extradé ne figure pas, comme tel, au nombre des droits et libertés reconnus dans la Convention et ses protocoles additionnels (no 12543/86, (déc.), 2 décembre 1986, DR 51). Par ailleurs, la procédure d'extradition ne porte pas contestation sur les droits et obligations de caractère civil du requérant, ni sur le bien-fondé d'une accusation en matière pénale dirigée contre lui au sens de l'article 6 de la Convention (cf. Peñafiel Salgado c. Espagne (déc.), no 65964/01, 16 avril 2002).
Au vu des extraits de l'exposition des motifs de la loi 3/2003 reproduits dans la partie ‘ Droit interne pertinent’, la Cour constate que la procédure du mandat d'arrêt européen remplace la procédure traditionnelle d'extradition entre les États membres de l'Union européenne et poursuit le même but, à savoir la remise d'une personne suspecte d'un délit ou qui tente d'échapper à l'action de la justice après avoir été condamnée par une décision définitive, aux autorités de l'État réclamant. L'exécution du mandat d'arrêt européen est par ailleurs pratiquement automatique, l'autorité judiciaire ne procédant pas à un nouvel examen du mandat pour vérifier sa conformité avec sa propre législation interne, et ne refusant l'exécution d'un tel mandat que par des motifs fixés par la loi.
A la lumière de la jurisprudence de la Cour, une telle procédure ne porte donc pas sur le bien-fondé d'une accusation en matière pénale. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l'article 35 § 3. Elle doit donc être rejetée en application de l'article 35 § 4.
En ce qui concerne le grief tiré de l'article 7 de la Convention, la Cour note que cette disposition n'est pas applicable en l'espèce, la remise du requérant aux autorités françaises n'étant pas une peine infligée au requérant pour la commission d'un délit, mais une procédure qui permettra d'exécuter un jugement rendu en France.
Cette partie de la requête est, par conséquent, incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l'article 35 § 3 et doit être rejetée en application de l'article 35 § 4.
3.
Invoquant l'article 13 de la Convention, le requérant se plaint, d'une part, que malgré son refus à être remis aux autorités françaises, la loi 3/2003 ne prévoit pas de recours contre la décision de remise adoptée par l'Audiencia Nacional et, d'autre part, que son recours d'amparo a été déclaré irrecevable pour tardiveté, ce qui l'a aussi privé d'efficacité.
La Cour rappelle que l'efficacité d'un recours ne dépend pas de la certitude d'un résultat favorable (voir, parmi d'autres, Aparicio Benito c. Espagne (déc.), no 36150/03, 4 mai 2004). En tout état de cause, elle observe que bien que la loi 3/2003 ne prévoit pas de recours ordinaire contre la décision de remise aux autorités réclamantes, le requérant a bénéficié d'un recours d'amparo pour attaquer les prétendues violations de ses droits fondamentaux qui auraient pour cause la décision en cause. Le fait qu'il l'ait formé tardivement ne saurait constituer en soi une violation de la disposition qu'il invoque. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée, conformément à l'article 35 § 3 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Stanley Naismith Greffier adjoint
Josep Casadevall Président