EHRM, 28-08-2012, nr. 71407/10
ECLI:CE:ECHR:2012:0828DEC007140710
- Instantie
Europees Hof voor de Rechten van de Mens
- Datum
28-08-2012
- Magistraten
Danutė Jočienė, Françoise Tulkens, Dragoljub Popović, Isabelle Berro-Lefèvre, András Sajó, Işıl Karakaş, Guido Raimondi
- Zaaknummer
71407/10
- LJN
BY6427
- Roepnaam
Simons/België
- Vakgebied(en)
Internationaal publiekrecht (V)
- Brondocumenten en formele relaties
ECLI:CE:ECHR:2012:0828DEC007140710, Uitspraak, Europees Hof voor de Rechten van de Mens, 28‑08‑2012
Uitspraak 28‑08‑2012
Danutė Jočienė, Françoise Tulkens, Dragoljub Popović, Isabelle Berro-Lefèvre, András Sajó, Işıl Karakaş, Guido Raimondi
Partij(en)
DÉCISION
Carine SIMONS
contre la Belgique
La Cour européenne des droits de l'homme (Deuxième section), siégeant le 28 août 2012 en une chambre composée de :
Danutė Jočienė, présidente,
Françoise Tulkens,
Dragoljub Popović,
Isabelle Berro-Lefèvre,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Guido Raimondi, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 3 décembre 2010,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
En fait
1.
La requérante, Mme Carine Simons, est une ressortissante belge, née en 1967 et résidant à Ougree. Elle est représentée devant la Cour par Mes Marc Neve, Sandra Berbuto et Estelle Berthe, avocats à Liège. Le gouvernement belge (‘ le Gouvernement ’) est représenté par son agent, M. Marc Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.
A. Les circonstances de l'espèce
2.
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
3.
Le 13 mars 2010, la police de Liège fut informée qu'un homme avait été blessé par un coup de couteau. Sur place, la requérante déclara aux agents que la victime était son compagnon et que c'est elle qui l'avait blessé. Les policiers relevèrent des traces de sang conduisant au domicile de la requérante, où ils en découvrirent d'autres ainsi qu'un couteau de cuisine maculé de sang.
4.
La requérante fut arrêtée le même jour à 16 heures. Elle fut entendue par les enquêteurs entre 23 heures 59 et 2 heures 32 en qualité de ‘ suspecte ’. Elle n'était pas assistée d'un avocat et — indique-t-elle — ne fut pas préalablement informée de son droit de se taire, mais ses droits relatifs à la ‘ loi Franchimont ’ du 12 mars 1998 lui furent lus avant l'audition. Elle fut ainsi informée que ses déclarations pouvaient être utilisées comme preuve en justice, qu'elle pouvait demander que toutes les questions qui lui seraient posées ainsi que ses réponses soient actées dans les termes utilisés et qu'il soit procédé à un acte d'information complémentaire ou à une audition, qu'elle pouvait utiliser les documents en sa possession, sans que cela puisse entraîner le report de l'interrogatoire, et qu'elle pouvait, lors de celui-ci ou ultérieurement, exiger que ces documents soient joints au dossier ou déposés au greffe. La requérante reconnut être l'auteur des coups de couteau et, répondant à des questions des enquêteurs, fit une description détaillée des faits, précisant notamment qu'ils s'étaient déroulés à l'occasion d'une dispute dont elle décrivit le contexte et les circonstances.
5.
Le lendemain, de 11 heures 08 à 11 heures 34, la requérante fut entendue par une juge d'instruction. Elle n'était pas assistée d'un avocat et — indique-t-elle — ne fut pas informée de son droit de se taire. Elle confirma les déclarations qu'elle avait faites à la police. La juge d'instruction l'informa ensuite de son inculpation pour tentative d'homicide avec intention de donner la mort et de son ‘ droit de choisir un avocat ’, et décerna à son encontre un mandat d'arrêt ainsi motivé :
‘ (…) les faits sont de nature à entraîner un emprisonnement correctionnel principal d'un an ou une peine plus grave ; (…) le maximum de la peine dépasse 15 ans de réclusion ; (…) les éléments matériels du dossier, les constatations des verbalisants, les déclarations des témoins, les déclarations et aveux de l'inculpée constituent des indices sérieux de sa culpabilité ; (…) l'extrême gravité des faits qui met en péril la sécurité publique et porte atteinte à l'intégrité physique des personnes nécessite qu'un mandat d'arrêt soit décerné à l'encontre de l'inculpée ; (…). ’
6.
La requérante comparut assistée de son avocat le 18 mars 2010 devant la chambre du conseil du tribunal de première instance de Liège, laquelle jugea le mandat d'arrêt régulier et proprement signifié et ordonna son maintien en détention préventive pour une durée d'un mois.
Le 14 avril 2010, après une nouvelle comparution de la requérante, la chambre du conseil ordonna le renouvellement de cette mesure. Elle fit de même le 12 mai 2010.
7.
La requérante saisit la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Liège de l'ordonnance du 12 mai 2010. Se référant aux arrêts Salduz c. Turquie [GC] (no 36391/02, CEDH 2008-…, 27 novembre 2008) et Dayanan c. Turquie (no 7377/03, CEDH 2009-…, 13 octobre 2009) et à la décision Bouglame c. Belgique (no 16147/08, 2 mars 2010), son conseil plaida que la circonstance que la requérante n'avait bénéficié de l'assistance d'un avocat ni lors de son audition ni lors de son interrogatoire caractérisait une violation du droit à un procès équitable consacré par l'article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention ainsi que de l'article 5 § 1 de la Convention, aux termes duquel une privation de liberté ne peut être opérée que ‘ selon les voies légales ’. Il requit en conséquence que les procès-verbaux de l'audition et de l'interrogatoire soient retirés du dossier et que la requérante soit mise en liberté.
8.
Dans son réquisitoire du 3 juin 2010, le procureur général près la Cour d'appel de Liège invita la chambre des mises en accusation à écarter cette argumentation. Il soulignait en particulier ce qui suit :
‘ (…) dans un arrêt du 5 mai 2010 (P.10.0257.F/1) (…), la Cour de cassation a relevé l'ensemble des garanties légales fournies par ailleurs à l'inculpé pour assurer le respect de ses droits de défense dès l'engagement de l'action publique pour affirmer que l'on ne peut conclure de manière automatique à une impossibilité définitive de juger équitablement la personne à qui l'assistance d'un avocat a manqué au cours des premières vingt-quatre heures de privation de liberté ;
(…) à plusieurs reprises, la Cour de cassation a rappelé que ni l'article 5 § 1 ni les articles 6 § 1 et 6 § 3 de la Convention (…) tels qu'interprétés par la Cour (…) n'obligent les juridictions d'instruction à donner sur le champ mainlevée du mandat d'arrêt pour ce seul motif (Cass. 29 décembre 2009, P.09.1826.F/1, Cass. 13 janvier 2010, P.09.1908.F/1 et Cass. 12 mai 201. P.10.0772.F/1) ;
(…) dans un arrêt du 31 mars 2010, confirmant sa jurisprudence (…) la Cour de cassation a d'ailleurs souligné que les articles 28quinquies et 57 § 1er du code d'instruction criminelle relatifs au secret de l'information et de l'instruction font obstacle à la présence de l'avocat à ce stade (P.10.0501.F/1) ;
(…) à aucun stade de la procédure l'inculpée n'a demandé à être assistée d'un avocat (…) ;
(…) pour le surplus, la décision [Bouglame c. Belgique] (…) résume l'enseignement de l'arrêt Salduz mais constate que la requête est irrecevable, la procédure devant être envisagée globalement (…) ’.
9.
Par un arrêt du 3 juin 2010, la chambre des mises en accusation donna raison au procureur général sur ce point, retenant ‘ que le réquisitoire (…) répond[ait] parfaitement aux arguments formés en termes de conclusions quant à la non-assistance de l'avocat lors des auditions de l'inculpée ’. Elle ordonna néanmoins la mise en liberté de la requérante au motif que la sécurité publique n'exigeait plus son maintien en détention.
10.
D'après les informations fournies par les parties, l'instruction est toujours en cours et l'affaire n'est pas en état d'être soumise au juge du fond.
B. Le droit interne pertinent
11.
Dans l'affaire Bouglame précitée, dans laquelle le requérant se plaignait d'avoir été empêché d'avoir un contact avec son conseil avant d'être interrogé par le juge d'instruction, la Cour a constaté que le refus opposé à cet égard à l'intéressé était ‘ motivé par l'état de la législation en vigueur, à savoir l'article 16 § 2 de la loi du 20 juillet 1990 [relative à la détention préventive] qui ne prévoit pas l'assistance d'un avocat au cours de l'interrogatoire par le juge d'instruction ou avant celui-ci ’.
12.
Les articles 16 et 20 de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive disposent notamment :
Article 16
- ‘ § 1.
En cas d'absolue nécessité pour la sécurité publique seulement, et si le fait est de nature à entraîner pour l'inculpé un emprisonnement correctionnel principal d'un an ou une peine plus grave, le juge d'instruction peut décerner un mandat d'arrêt. (…)
- § 2.
Sauf si l'inculpé est fugitif ou latitant, le juge d'instruction doit, avant de décerner un mandat d'arrêt, interroger l'inculpé [sur les faits qui sont à la base de l'inculpation et qui peuvent donner lieu à la délivrance d'un mandat d'arrêt] et entendre ses observations. A défaut de cet interrogatoire, l'inculpé est mis en liberté.
Il doit également informer l'inculpé de la possibilité qu'un mandat d'arrêt soit décerné à son encontre, et l'entendre en ses observations à ce sujet. A défaut de respect de ces conditions, l'inculpé est mis en liberté. (…) ’
Article 20
- ‘ § 1.
Immédiatement après la première audition, l'inculpé peut communiquer librement avec son avocat. (…) ’.
13.
La Cour de cassation a à plusieurs reprises été conduite à examiner — dans le cadre du contentieux de la détention provisoire comme dans des cas de saisine en cassation d'arrêts d'appel au fond — le moyen tiré d'une violation de l'article 6 § 1 ou § 3c) résultant du fait que le suspect n'avait pas bénéficié de l'assistance d'un avocat durant sa garde à vue et pendant son audition par la police ou par le juge d'instruction.
Elle a longtemps considéré que, si le droit belge ne prévoyait pas l'assistance d'un avocat aux côtés du suspect dès qu'il est privé de liberté, cela ne donnait pas automatiquement lieu à une violation du droit à un procès équitable. Selon elle, cette restriction devait être appréciée au regard de l'ensemble des garanties légales fournies par ailleurs à l'inculpé pour assurer le respect de ses droits de défense dès l'engagement de l'action publique : les formalités imposés pour l'audition du suspect par l'article 47bis du code de l'instruction criminelle ; la brièveté du délai constitutionnel de garde à vue (24 heures) ; la remise immédiate à l'inculpé, au moment de la signification du mandat d'arrêt, de toutes les pièces visées aux articles 16 § 7 et 18 § 2 de la loi du 20 juillet 1990 ; le droit de l'inculpé de communiquer sur-le-champ avec son avocat conformément à l'article 20 §§ 1 et 5 de cette loi ; l'accès au dossier avant la comparution devant la juridiction d'instruction tel qu'il est organisé par l'article 21 § 3 de cette loi ; la présence du conseil de l'inculpé lors de l'interrogatoire récapitulatif prévu à l'article 22 alinéa 3 de cette loi ; les droits visés notamment aux articles 61ter, 61quater, 61quinquies, 136 et 235bis du code de l'instruction criminelle. Elle considérait que cet ensemble de garanties empêchait que l'absence d'un conseil au cours des premières vingt-quatre heures de privation de liberté puisse compromettre définitivement tout traitement équitable de la cause (voir, par exemple, les arrêts des 5 mai et 22 juin 2010, P.10.0257.F/1 et P.10.0872.N/1).
Toutefois, par un arrêt du 15 décembre 2010 (P.10.0744.F/1), la Cour de cassation a cassé, pour violation de l'article 6 de la Convention, une décision du juge du fond retenant des déclarations auto-accusatrices faites à la police au cours d'une garde à vue sans que l'intéressé ait eu l'occasion de bénéficier de l'assistance d'un avocat. Elle a notamment souligné ce qui suit :
‘ (…) Le droit à un procès équitable, consacré par l'article 6 § 1 de la Convention (…), implique que la personne arrêtée ou mise à la disposition de la justice bénéficie de l'assistance effective d'un avocat au cours de l'audition de police effectuée dans les vingt-quatre heures de sa privation de liberté, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l'espèce, qu'il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit.
En tant qu'il n'autorise cet accès à l'avocat qu'après la première audition par le juge d'instruction, l'article 20 § 1er de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive doit être tenu pour contraire à l'article 6 de la Convention.
L'équité d'un procès pénal s'apprécie par rapport à l'ensemble de la procédure, en recherchant si les droits de la défense ont été respectés, en examinant si la personne poursuivie a eu la possibilité de contester l'authenticité des preuves et de s'opposer à leur utilisation, en vérifiant si les circonstances dans lesquelles les éléments à charge ont été obtenus jettent le doute sur leur crédibilité ou leur exactitude, et en évaluant l'influence de l'élément de preuve obtenu irrégulièrement sur l'issue de l'action publique. (…) ’
14.
La Cour de cassation considère par ailleurs que les articles 5 § 1, 6 § 1 et 5 § 3 c) de la Convention n'obligent pas les juridictions d'instruction à donner sur-le-champ mainlevée du mandat d'arrêt au seul motif qu'avant sa comparution devant le magistrat instructeur, l'inculpé avait été entendu par la police et y avait consenti un aveu sans que l'accès à un avocat lui ait été ménagé dès le premier interrogatoire (voir, par exemple, les arrêts des 29 décembre 2009, 13 janvier 2010 et 23 juin 2010, P.09.1826.F/1, P.09.1908.F/1 et P.10.1009.F/1).
15.
Le droit interne a été réformé par la loi du 13 août 2011 modifiant le code d'instruction criminelle et la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive afin de conférer des droits, dont celui de consulter un avocat et d'être assistée par lui, à toute personne auditionnée et à toute personne privée de liberté.
L'article 2 de cette loi prévoit qu'avant la première audition d'une personne à propos d'infractions susceptibles de lui être imputées, ‘ elle a le droit (…) de se concerter confidentiellement avec un avocat de son choix ou avec un avocat qui lui est désigné, pour autant que les faits qui peuvent lui être imputés concernent une infraction dont la sanction peut donner lieu à la délivrance d'un mandat d'arrêt, à l'exception des délits visés à l'article 138, 6o, 6obis et 6oter ’.
Son article 4 ajoute un article 2 bis à la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive, aux termes duquel :
- ‘ § 1.
Quiconque est privé de sa liberté conformément aux articles 1er ou 2, ou en exécution d'un mandat d'amener visé à l'article 3, a le droit, dès ce moment et préalablement au premier interrogatoire suivant par les services de police ou, à défaut, par le procureur du Roi ou le juge d'instruction, de se concerter confidentiellement avec un avocat de son choix. S'il n'a pas choisi d'avocat ou si celui-ci est empêché, contact est pris avec la permanence organisée par l'Ordre des barreaux francophones et germanophone, et l'Orde van Vlaamse balies ou, à défaut, par le bâtonnier de l'Ordre ou son délégué. (…)
- § 2.
La personne concernée a le droit à être assistée de son avocat lors des auditions qui ont lieu dans le délai visé aux articles 1er, 1O, 2, 12 ou 15bis. (…) ’.
Griefs
16.
Invoquant les articles 5 § 1 et 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention, combinés ou pris isolément, la requérante se plaint du fait qu'en raison de l'insuffisance du droit belge, elle n'était assistée par un avocat ni lors de sa garde à vue et de son audition par la police, ni lors de son premier interrogatoire par le juge d'instruction, et n'a pas été informée de son droit de se taire.
En droit
17.
La requérante se plaint du fait qu'en raison de l'insuffisance du droit belge, elle n'était assistée par un avocat ni lors de sa garde à vue et de son audition par la police, ni lors de son premier interrogatoire par le juge d'instruction, et n'a pas été informée de son droit de se taire. Elle voit là une violation des articles 5 § 1 et 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention, combinés ou pris isolément, aux termes desquels :
Article 5 § 1
- ‘ 1.
Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (…)
- c)
s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci ; (…) ’.
Article 6 §§ 1 et 3 c)
- ‘ 1.
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (…) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (…)
- 3.
Tout accusé a droit notamment à : (…)
- c)
se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent ; (…) ’.
18.
Selon la Cour, prise sous l'angle de l'article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention, la requête est en tout état de cause prématurée. Elle constate en effet que la procédure interne est pendante au stade de l'instruction. Or, d'une part, la conformité d'un procès aux principes fixés à l'article 6 de la Convention doit en principe être examinée sur la base de l'ensemble du procès (voir, parmi d'autres, Mitterrand c. France (déc.), no 39344/04, 7 novembre 2006). D'autre part, un ‘ accusé ’ ne peut se dire victime d'une violation de son droit à un procès équitable en l'absence de déclaration de culpabilité et de condamnation (voir, par exemple, Bouglame c. Belgique (déc.), no 16147/08, 2 mars 2010).
La Cour déduit de ce qui précède que, prise sous l'angle de l'article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention, la requête doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
19.
Il reste à examiner la question du respect de l'article 5 § 1 de la Convention.
20.
A cet égard, le Gouvernement invite la Cour à déclarer la requête irrecevable pour défaut d'épuisement des voies de recours internes. Il précise qu'il ne reproche pas à la requérante de ne pas s'être pourvue en cassation contre l'arrêt de la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Liège du 3 juin 2010, mais d'avoir attendu l'ordonnance du 12 mai 2010 pour saisir cette juridiction de ses moyens tirés de la Convention. Il indique qu'elle aurait pu, dès le 14 mars 2010, demander sur ce fondement la mainlevée du mandat d'arrêt délivré contre elle à cette date ; elle aurait pu également le faire lorsqu'elle a comparu assistée de son avocat les 18 mars, 14 avril et 12 mai 2010 devant la chambre du conseil du tribunal de première instance de Liège, aux fin d'examen de la régularité du mandat d'arrêt puis de son renouvellement, ainsi que dans le cadre d'un appel contre les ordonnances des 18 mars et 14 avril 2010. Le Gouvernement ajoute que la requérante avait de plus la possibilité de saisir les juridictions interne d'une action en réparation du dommage qu'elle prétend avoir subi sur le fondement de l'article 27 de la loi du 13 mars 1973 relative à l'indemnité en cas de détention préventive, qui ouvre un droit à réparation à toute personne qui a été privée de liberté dans des conditions contraires à l'article 5 de la Convention, ou dans le cadre d'une action en responsabilité de l'Etat pour faute du pouvoir législatif.
A titre subsidiaire, le Gouvernement soutient que la requête est manifestement mal fondée. Il souligne que la détention subie par la requérante correspond à l'hypothèse envisagée par l'article 5 § 1 c), et soutient que rien ne permet de considérer qu'elle n'était pas conforme aux ‘ voies légales ’, au sens de cette disposition. Sur ce dernier point, il indique que, comme l'ont constaté les juridictions internes, la requérante a été détenue dans le respect des règles relatives à la détention préventive, lesquelles sont ‘ claires et prévisibles dans leurs effets ’, de telle sorte que le principe de sécurité juridique est préservé. Il ajoute que la requérante a bénéficié de ‘ garanties procédurales et substantielles ’ tout au long de sa détention, qui l'ont protégée contre tout risque de privation arbitraire de liberté : dès son audition par la police, le 13 mars 2010, elle a été informée, conformément à l'article 47 bis du code d'instruction criminelle, du fait que ses déclarations pouvaient être utilisées comme preuve de justice, qu'elle pouvait demander que toutes les questions et ses réponses soient actées dans les termes utilisés ou qu'il soit procédé à tel acte d'information complémentaire ou à une audition, qu'elle pouvait utiliser les documents en sa possession et exiger qu'ils soient joints au dossier ou déposés au greffe ; elle a reçu copie du procès-verbal de son audition ; elle a été entendue par un juge d'instruction indépendant et impartial dès le 14 mars 2010, qui l'a informée de ses droits dont celui de ‘ choisir un avocat ’ pour la suite de la procédure ; elle a ensuite, les 18 mars, 14 avril et 12 mai, assistée de son avocat, comparu devant la chambre du conseil du tribunal de première instance de Liège afin qu'il statue sur son maintien en détention, et avait la possibilité d'interjeter appel des décisions prises. Le Gouvernement fait en outre valoir que la requérante ne prétend pas avoir subi des pressions lors de la première phase de sa détention destinées à la faire avouer, qu'elle avait elle-même spontanément reconnu les faits avant son audition initiale, qu'elle n'a demandé l'assistance d'un avocat ni à ce moment ni lors de son premier interrogatoire par le juge d'instruction et qu'elle n'a pas rétracté ses aveux.
21.
S'agissant de l'épuisement des voies de recours internes, la requérante réplique que l'on ne saurait lui reprocher de ne pas s'être pourvue en cassation contre l'arrêt de la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Liège du 3 juin 2010 : d'une part, parce que cet arrêt ordonnait sa mise en liberté provisoire et qu'il ressort de l'article 31 de la loi sur la détention préventive que seuls peuvent faire l'objet d'un pourvoi les arrêts maintenant la détention préventive ; d'autre part, parce qu'il se serait de toute façon heurté à la constante jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle l'impossibilité d'être assisté par un avocat au cours de la garde à vue et de l'interrogatoire par le juge d'instruction qui suit celle-ci n'est pas contraire aux articles 5 et 6 de la Convention. Quant aux recours en responsabilité évoqués par le Gouvernement, ils ne seraient pas envisageables au stade de l'instruction, la responsabilité de magistrats ne pouvant être mise en cause par ce biais avant la clôture définitive de l'action publique.
Sur le fond, la requérante rappelle qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour que les mots ‘ selon les voies légales ’, au sens de l'article 5 § 1 de la Convention, renvoient au droit interne et exigent qu'il soit conforme à la Convention, y compris aux principes énoncés ou impliqués par elle. Selon la requérante, cela inclut les principes jurisprudentiels relatifs au droit à un procès équitable, dont celui résultant des arrêts Salduz (précité), Dayanan (précité) et Brusco c. France (no 7466/07, 14 octobre 2010) et de la décision Bouglame (précitée), selon lequel un ‘ accusé ’ doit pouvoir bénéficier de l'assistance d'un avocat dès le début de sa privation de liberté. Elle rappelle tout particulièrement à cet égard que la Cour a jugé dans la décision Bouglame précitée que le fait que, comme en Belgique, le refus d'accès à un avocat, dans ce contexte est la conséquence de l'application sur une base systématique de dispositions légales, suffit pour conclure à un manquement aux exigences de l'article 6. La requérante invite en conséquence la Cour à conclure à la violation de l'article 5 § 1.
22.
La Cour rappelle tout d'abord que l'épuisement des voies de recours internes au sens de l'article 35 § 1 de la Convention n'implique l'utilisation des voies de droit que pour autant qu'elles sont efficaces ou suffisantes, c'est-à-dire susceptibles de remédier à la situation dénoncée. Ainsi, en principe, s'agissant de griefs tirés de l'article 5 § 1 de la Convention, seuls les recours visant à obtenir la cessation de la privation de liberté dont l'irrégularité au regard de cette disposition est alléguée sont à utiliser à cette fin. En corollaire, lorsque la privation de liberté n'a pas pris fin, ne constitue pas une voie de recours interne à épuiser s'agissant d'un tel grief, une action dont l'objet est la réparation du dommage résultant de la privation de liberté litigieuse (voir, notamment, De Donder et De Clippel c. Belgique, no 8595/06, § 100, 6 décembre 2006 et Włoch c. Pologne (déc.), no 27785/95, 30 mars 2000). Le Gouvernement ne peut donc valablement reprocher à la requérante de ne pas avoir usé de ce type de recours.
23.
La Cour rappelle ensuite que la finalité de l'article 35 § 1 est de ménager aux Etats contractants l'occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que la Cour n'en soit saisie (voir, parmi de nombreux autres, Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, § 15, CEDH 2002-VIII, et Slimani c. France, no 57671/00, § 38, CEDH 2004-IX). Ce qui importe aux fins de cette disposition, c'est que les requérants aient donné cette opportunité aux juridictions internes en usant d'une voie de recours appropriée.
En l'espèce, la requérante a saisi la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Liège en appel de l'ordonnance du 12 mai 2010 qui maintenait son placement en détention préventive. Se référant aux arrêts Salduz et Dayanan précités ainsi qu'à la décision Bouglame précitée, son conseil a fait valoir que la circonstance qu'elle n'avait bénéficié de l'assistance d'un avocat ni lors de son audition ni lors de son premier interrogatoire par le juge d'instruction caractérisait une violation du droit à un procès équitable consacré par l'article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention ainsi que de l'article 5 § 1 de la Convention, et a requis sur ce fondement la mise en liberté de sa cliente (paragraphe 7 ci-dessus). Ce faisant, il a mis la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Liège en mesure de se prononcer sur le grief dont la Cour est à présent saisie et, si elle avait constaté une violation de l'article 5 § 1 la Convention, de redresser celle-ci en ordonnant la libération de la requérante. La chambre des mises en accusation a au demeurant procédé à un examen de ce grief, qu'elle a rejeté en renvoyant aux motifs développés par l'avocat général (paragraphes 8–9 ci-dessus). La circonstance que la requérante a attendu jusqu'au 12 mai 2010 pour user de cette voie n'est pas déterminante s'agissant d'une allégation de violation de l'article 5 § 1 de la Convention.
24.
Au vu de ce qui précède et prenant acte du fait que le Gouvernement ne reproche pas à la requérante de ne pas s'être pourvue en cassation contre l'arrêt de la chambre des mises en accusation du 3 juin 2010, ainsi que des explications de l'intéressée à cet égard, la Cour conclut au rejet de l'exception préliminaire de non-épuisement des voies de recours internes.
25.
Cela étant, la Cour constate que la requérante n'a eu la possibilité d'être assistée d'un avocat ni durant la garde à vue dont elle a fait l'objet et son audition par la police, ni durant son premier interrogatoire par le juge d'instruction. Comme la Cour l'a constaté dans la décision Bouglame précitée, cela résulte de ‘ l'état de la législation en vigueur, à savoir l'article 16 § 2 de la loi du 20 juillet 1990 [relative à la détention préventive] qui ne prévoit pas l'assistance d'un avocat au cours de l'interrogatoire par le juge d'instruction [qui suit la garde à vue] ou avant celui-ci ’.
26.
La Cour rappelle ensuite qu'aux termes de l'article 5 § 1, nul ne peut être privé de sa liberté que dans les cas qu'il énumère et ‘ selon les voies légales ’.
27.
S'agissant du premier point, la Cour relève que la privation de liberté dont il est question en l'espèce relève indubitablement de l'article 5 § 1 c) de la Convention, qui prévoit notamment la détention d'un individu en vue de le conduire devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction. Cela n'a d'ailleurs pas prêté à controverse entre les parties.
28.
Quant aux mots ‘ selon les voies légales ’, la Cour rappelle qu'ils se réfèrent pour l'essentiel à la législation nationale : ils consacrent l'obligation de suivre la procédure fixée par celle-ci (arrêt Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 45, Série A no 33) tout comme d'en observer les normes de fond (arrêt Erkalo c. Pays-Bas, 2 septembre 1998, § 52, Recueil des arrêts et décisions, 1998-VI). Il faut en outre que le droit interne se conforme lui-même à la Convention, y compris aux ‘ principes généraux énoncés ou impliqués par elle ’ (arrêt Winterwerp, mêmes références).
La thèse de la requérante consiste ainsi à dire qu'en ce qu'il ne permet pas aux personnes privées de liberté de bénéficier de l'assistance d'un avocat lors de leur garde à vue et au cours de leur interrogatoire consécutif par le juge d'instruction, le droit belge ignore un de ces principes, de sorte que la condition de respect des ‘ voies légales ’ posée par l'article 5 § 1 n'est pas remplie.
29.
La question qui se pose à la Cour en l'espèce est donc celle de savoir si la Convention implique un ‘ principe général ’ selon lequel toute personne privée de liberté doit avoir la possibilité d'être assisté d'un avocat dès le début de sa détention.
30.
La Cour rappelle à cet égard que dans l'arrêt Salduz précité, elle a jugé que, pour qu'il demeure suffisamment ‘ concret et effectif ’, le droit à un procès équitable consacré par l'article 6 § 1 implique ‘ en règle générale ’ que l'accès à un avocat soit consenti ‘ dès le premier interrogatoire ’ par la police, ‘ sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l'espèce, qu'il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit ’. Elle a précisé que même dans un tel cas, le refus de l'accès à un avocat ne devait pas indûment préjudicier aux droits découlant de l'article 6, et qu' ‘ il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d'un interrogatoire de police subi sans assistance possible d'un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation ’ (§ 55). Elle a conclu à une violation de l'article 6 §§ 1 et 3 c) nonobstant le fait que le requérant avait par la suite bénéficié de l'assistance d'un avocat et d'une procédure contradictoire, après avoir notamment relevé que la restriction au droit d'accès à un avocat dont il était question relevait de l'application systématique de dispositions légales (§§ 56 et 61).
Dans l'arrêt Dayanan précité (§§ 31–33), la Cour a confirmé que ‘ l'équité d'une procédure pénale requiert d'une manière générale, aux fins de l'article 6 de la Convention, que le suspect jouisse de la possibilité de se faire assister par un avocat dès le moment de son placement en garde à vue ou en détention provisoire ’, et indépendamment des interrogatoires qu'il subit. Elle a souligné à cet égard que ‘ l'équité de la procédure requiert que l'accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d'interventions qui sont propres au conseil ’, indiquant que ‘ la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l'accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l'accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l'avocat doit librement exercer ’. Elle a jugé que le fait que le requérant n'avait pas bénéficié de l'assistance d'un conseil lors de sa garde à vue parce que la loi y faisait obstacle de manière systématique suffisait pour conclure à un manquement aux exigences de l'article 6 de la Convention, alors même que le requérant avait gardé le silence au cours de sa garde à vue (voir aussi la décision Bouglame précitée, et les arrêts Boz c. Turquie, no 2039/04, § 35, 9 février 2010 et Fidanci c. Turquie, no 17730/07, §§ 37–38, 12 janvier 2008). Dans l'arrêt Brusco précité (§§ 45 et 54), la Cour a ajouté que le droit de la personne placée en garde à vue d'être assisté d'un avocat dès le début de cette mesure ainsi que pendant les interrogatoires vaut a fortiori lorsqu'elle n'a pas été informée par les autorités de son droit de se taire.
31.
De cette jurisprudence résulte incontestablement le principe suivant : d'une part, un ‘ accusé ’, au sens de l'article 6 de la Convention, a le droit de bénéficier de l'assistance d'un avocat dès le début de sa garde à vue ou de sa détention provisoire et, le cas échéant, lors de ses interrogatoires par la police et le juge d'instruction ; d'autre part, si une restriction à ce droit peut dans certaines circonstances se trouver justifiée et être compatible avec les exigences de cette disposition (voir, pour un exemple, Hovanesian c. Bulgarie, no 31814/03, 21 décembre 2010), le fait que son exercice est impossible en raison d'une règle de droit interne systématique est inconciliable avec le droit à un procès équitable.
32.
La Cour observe toutefois qu'il s'agit là d'un principe propre au droit à un procès équitable, qui trouve son fondement spécifique dans le troisième paragraphe de l'article 6 de la Convention, lequel envisage en particulier le droit de tout ‘ accusé ’ d'avoir l'assistance d'un défenseur de son choix. Il ne s'agit pas d'un ‘ principe général ’ impliqué par la Convention, les principes de cette nature étant par définition transversaux.
La Cour rappelle au surplus que les principes généraux impliqués par la Convention auxquelles renvoie la jurisprudence relative à l'article 5 § 1 sont le principe de la prééminence du droit (Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie [GC], no 48787/99, § 461, CEDH 2004-VII) et, lié au précédent, celui de la sécurité juridique (voir, parmi d'autres, Baranowski c. Pologne, no 28358/95, § 52, CEDH 2000-III), le principe de proportionnalité (voir, par exemple, Enhorn c. Suède, no 56529/00, § 36, CEDH 2005-I) et le principe de protection contre l'arbitraire (la protection contre l'arbitraire étant de plus le but de l'article 5 ; voir, notamment, Erkalo précité, § 52).
33.
Ainsi, si l'impossibilité légale pour un ‘ accusé ’ privé de liberté d'être assisté par un avocat dès le début de sa détention affecte l'équité de la procédure pénale dont il est l'objet, on ne peut déduire de cette seule circonstance que sa détention est contraire à l'article 5 § 1 de la Convention en ce qu'elle ne répondrait pas à l'exigence de légalité inhérente à cette disposition.
34.
Il résulte de ce qui précède que, prise sous l'angle de l'article 5 § 1 de la Convention, la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à la majorité,
Déclare la requête irrecevable.
Françoise Elens-Passos
Greffière adjointe
Danutė Jočienė
Présidente