EHRM, 15-10-2009, nr. 50796/07
ECLI:NL:XX:2009:BL5713
- Instantie
Europees Hof voor de Rechten van de Mens
- Datum
15-10-2009
- Magistraten
Nina Vajić, Christos Rozakis, Khanlar Hajiyev, Dean Spielmann, Sverre Erik Jebens, Giorgio Malinverni, George Nicolaou
- Zaaknummer
50796/07
- LJN
BL5713
- Vakgebied(en)
Internationaal publiekrecht (V)
Personen- en familierecht (V)
- Brondocumenten en formele relaties
ECLI:NL:XX:2009:BL5713, Uitspraak, Europees Hof voor de Rechten van de Mens, 15‑10‑2009
Uitspraak 15‑10‑2009
Nina Vajić, Christos Rozakis, Khanlar Hajiyev, Dean Spielmann, Sverre Erik Jebens, Giorgio Malinverni, George Nicolaou
Partij(en)
ARRÊT
STRASBOURG
15 octobre 2009
En l'affaire Tsourlakis c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l'homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Nina Vajić, présidente,
Christos Rozakis,
Khanlar Hajiyev,
Dean Spielmann,
Sverre Erik Jebens,
Giorgio Malinverni,
George Nicolaou, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 septembre 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
Procédure
1.
A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 50796/07) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Konstantinos Tsourlakis (‘ le requérant ’), a saisi la Cour le 8 novembre 2007 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (‘ la Convention ’).
2.
Le requérant est représenté par Me E. Bitsaxis, avocat à Athènes. Le gouvernement grec (‘ le Gouvernement ’) est représenté par les délégués de son agent, M. S. Spyropoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l'Etat, et Mme S. Trekli, auditrice auprès du Conseil juridique de l'Etat.
3.
Le requérant alléguait en particulier une violation du droit au respect de sa vie familiale, garanti par l'article 8 de la Convention.
4.
Le 25 septembre 2008, la présidente de la première section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la Chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
En fait
I. Les circonstances de l'espèce
5.
Le requérant est né en 1956 et réside à Athènes.
6.
Le requérant se maria en 1989 et, la même année, il eut un fils. En août 2000, les époux se séparèrent alors que l'enfant avait onze ans environ. Les 20 septembre et 7 novembre 2000, le requérant et son épouse respectivement saisirent le tribunal de grande instance d'Athènes d'une demande de mesures provisoires tendant à obtenir la garde de l'enfant et le départ du conjoint du domicile conjugal. Le 16 mars 2001, le tribunal ordonna l'éloignement de l'épouse du requérant du domicile conjugal et la cession provisoire de l'usage de celui-ci au requérant, qui en était propriétaire. Il accorda la garde de l'enfant à la mère et fixa le montant des pensions alimentaires devant être versées par le requérant à 147 euros pour la mère et de 294 euros pour l'enfant.
7.
L'épouse du requérant saisit le tribunal de grande instance d'Athènes d'une demande tendant à obtenir la garde définitive de l'enfant, ainsi que la somme de 1 470 euros au titre de la pension alimentaire. Le requérant, de son côté, demanda la garde de l'enfant ou tout au moins à être chargé de l'administration du patrimoine de son fils et de sa représentation dans toute procédure relative à ce patrimoine.
8.
Par un jugement du 21 novembre 2001, le tribunal de grande instance d'Athènes confia la garde de l'enfant exclusivement à la mère. Il accorda au requérant l'usage du domicile conjugal et lui enjoignit de verser à son fils une pension alimentaire de 352,16 euros.
9.
Les 3 juin et 4 septembre 2003, le requérant et son épouse interjetèrent appel contre ce jugement devant la cour d'appel d'Athènes qui, par une décision avant-dire droit du 31 mars 2004 (no 1935/2004), ordonna une enquête sociale concernant les conditions de vie de l'enfant. Cette enquête devait être réalisée par un rapport de la Société pour la protection de l'enfance d'Athènes, qui était chargée d'établir un rapport et de le déposer au tribunal à l'initiative de la partie la plus diligente. Comme le requérant et son épouse ne comparurent pas personnellement devant la cour d'appel, celle-ci reporta l'examen de l'affaire quant au fond afin que les parties comparaissent personnellement pour tenter de régler à l'amiable leur différend, que l'enfant (ayant quinze ans environ à l'époque) comparaisse également pour être entendu, et que le rapport de la Société pour la protection de l'enfance soit déposé par la partie la plus diligente.
10.
Le 9 juin 2004, le requérant invita la Société pour la protection de l'enfance à procéder à l'enquête demandée par la cour d'appel.
11.
Dans ses observations déposées la veille de l'audience devant la cour d'appel, le requérant précisait ce qui suit :
‘ (…) me conformant au dispositif de la décision no 1935/2004 de votre cour (…) j'étais le seul à faire diligence (…) par une requête à la Société pour la protection de l'enfance (…) pour la réalisation rapide de l'enquête sociale sur les conditions de vie de notre enfant (…) dont le rapport sera soumis à votre cour à l'audience du 25 novembre 2004 (…). ’
12.
Le requérant déposa aussi ses éléments de preuve énumérés sur onze pages.
13.
A l'audience du 25 novembre 2004, le requérant et son épouse comparurent personnellement. Ils exclurent toute possibilité de règlement amiable et déclarèrent qu'ils ne souhaitaient pas que leur enfant comparaisse devant la cour d'appel. Le rapport de la Société pour la protection de l'enfance fut déposé au cours de cette audience.
14.
A la suite de l'audience, le requérant déposa, le 30 novembre 2004, des observations complémentaires réfutant les allégations de son épouse.
15.
Par un arrêt du 19 mai 2005, la cour d'appel confia, de manière définitive, la garde de l'enfant à la mère. La cour d'appel releva que l'épouse du requérant, en dépit du litige avec celui-ci, et afin de faciliter la communication de l'enfant avec son père, avait loué un appartement à proximité de l'ancien domicile conjugal. La mère s'occupait personnellement de son fils, prenant soin de lui avec beaucoup d'amour et d'affection et lui assurant un environnement calme et de bonnes conditions pour son développement et son éducation. Elle permettait la communication entre l'enfant et son père et organisait à volonté des visites tant au domicile du père qu'à son propre domicile. Le fait que le requérant avait un diplôme universitaire, contrairement à la mère qui ne possédait que le baccalauréat, ne pouvait constituer un critère décisif pour confier la garde de l'enfant au père. Le père pouvait aider son fils lors de l'exercice de son droit de visite. Tout en reconnaissant que le père faisait preuve d'une grande affection à l'égard de son fils, la cour d'appel estima que l'intérêt de l'enfant imposait de ne pas l'éloigner de sa mère, compte tenu notamment du fait que rien de répréhensible ne pouvait être reproché à celle-ci.
16.
Le requérant ne se pourvut pas en cassation contre cet arrêt.
17.
A la suite de cet arrêt, le requérant tenta d'obtenir une copie du rapport de la Société figurant au dossier tenu à la cour d'appel. Toutefois, il s'avéra que le dossier ne contenait pas ce document.
18.
Le 9 mars 2006, le requérant s'adressa directement à la Société et lui demanda la copie du rapport.
19.
Le 5 avril 2006, la Société l'informa qu'elle ne pouvait pas satisfaire sa demande du fait que le rapport était confidentiel et établi à la seule attention de la cour d'appel.
20.
Le requérant saisit alors le médiateur de la République. Celui-ci, interprétant les dispositions législatives pertinentes et notamment les articles 5 de la loi no 378 et 16 du décret présidentiel 49/79 (paragraphes 24–25 ci-dessous), informa le requérant que le rapport de la Société pour la protection de l'enfance n'était pas couvert par la confidentialité que requièrent ces dispositions pour des rapports similaires établis dans le cadre des procédures pénales. Le médiateur l'informa également que la Société pour la protection de l'enfance se considérait obligée de communiquer son rapport uniquement à l'autorité qui en avait ordonné l'établissement et ne pouvait en donner des copies aux parties qu'avec l'accord du procureur près le tribunal correctionnel. Par conséquent, cette Société ne pouvait pas communiquer au requérant une copie du rapport, car celui-ci n'avait pas formulé sa demande par l'intermédiaire du procureur compétent.
21.
Le 27 septembre 2007, le requérant invita le procureur près le tribunal correctionnel à appuyer sa demande. Il soulignait que le refus de donner à l'une des parties à la procédure ce type de document, dans un délai raisonnable, était contraire à la Convention. Il invoquait l'arrêt de la Cour dans l'affaire Kosmopoulou c. Grèce (no 60457/00, 5 février 2004).
22.
Le jour même, le procureur rejeta la demande du requérant en indiquant que celle-ci concernait les données personnelles d'un mineur et que le requérant n'avait pas un intérêt légitime à prendre connaissance de telles informations. Les motifs du rejet se limitaient à ces deux phrases manuscrites sur le texte même de la demande.
II. Le droit et la pratique internes pertinents
23.
Les articles pertinents du code de procédure civile disposent :
Article 450 § 1
‘ Chaque partie doit déposer les documents qu'elle a utilisés ou invoqués aux débats. ’
Article 451
‘ Le dépôt de ces documents peut être demandé par une action incidente, si l'obligation de déposer incombe à un tiers, ou dans les observations des parties à la procédure, si l'obligation incombe à l'une d'elles (…). ’
Article 452 § 3
‘ Les articles 450 et 451 s'appliquent même lorsque le document est entre les mains d'une autorité publique (…), sauf s'il s'agit d'un document confidentiel concernant la sécurité et les relations internationales de l'Etat. ’
24.
L'article 5 de la loi no 378 du 8 juillet 1976, créant le service des surveillants de mineurs auprès des tribunaux d'enfants, dispose :
‘ Les rapports des surveillants de mineurs et tout autre élément dont ils ont eu connaissance pendant l'exercice de leurs fonctions, sont confidentiels et ne sont rapportés qu'au juge pour enfant et à ceux qui sont chargés de l'autorité parentale (…). ’
25.
Les articles pertinents du décret présidentiel no 49/79 du 24 janvier 1979, relatif au fonctionnement du service des surveillants de mineurs, sont ainsi libellés :
Article 8 — enquêtes sociales
‘ Les surveillants de mineurs réalisent, sur invitation du juge pour enfants, du procureur ou du ministre de la Justice, des enquêtes sociales concernant les mineurs contre lesquels une procédure pénale est pendante (…). L'enquête sociale consiste en la collecte d'éléments sur les conditions de vie de mineurs, de leur comportement et de leur personnalité (…). ’
Article 16 — responsabilité disciplinaire des surveillants
‘ (…) Le non-respect par le surveillant du caractère confidentiel du rapport et le manque du comportement requis (…) lors de l'exécution de leurs fonctions, constituent des infractions disciplinaires. (…) ’
En droit
I. Sur la violation alléguée de l'article 6 de la Convention
26.
Le requérant allègue que l'impossibilité de prendre connaissance du rapport de la Société pour la protection de l'enfance a entraîné une violation de son droit à un procès équitable. Il invoque l'article 6 de la Convention, dont la partie pertinente dispose :
‘ Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal (…), qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) ’
27.
A titre principal, le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. D'une part, le requérant aurait pu demander à la cour d'appel, dans ses observations et conformément aux articles 450 à 452 du code de procédure civile, de prendre connaissance du rapport de la Société pour la protection de l'enfance. D'autre part, si le requérant avait estimé que ce rapport avait joué un rôle fondamental dans la décision le privant de la garde de l'enfant, il aurait pu se pourvoir en cassation au motif qu'il n'avait pu prendre connaissance et commenter un élément de preuve capital.
28.
Le requérant soutient qu'un pourvoi en cassation n'aurait pas constitué un recours efficace, car il aurait fallu compter trois ans de procédure devant la Cour de cassation, plus un an de procédure devant la cour d'appel en cas d'issue favorable au requérant. L'affaire aurait par ailleurs été renvoyée devant la cour d'appel. Il souligne que même s'il avait introduit un pourvoi en cassation, son examen n'aurait pas été fait équitablement compte tenu du fait qu'il n'avait toujours pas eu accès au rapport.
29.
Dans son arrêt du 16 septembre 1996 en l'affaire Akdivar et autres c. Turquie (Recueil des arrêts et décisions 1996-IV), la Cour a souligné qu'elle doit appliquer la règle de l'épuisement des voies de recours internes en tenant dûment compte du contexte: le mécanisme de sauvegarde des droits de l'homme que les Parties contractantes sont convenues d'instaurer. Elle a ainsi reconnu que cette règle doit s'appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif et qu'elle n'exige pas seulement la saisine des juridictions nationales compétentes et l'exercice de recours destinés à combattre une décision déjà rendue: elle oblige aussi, en principe, à soulever devant ces mêmes juridictions, au moins en substance et dans les formes et délais prescrits par le droit interne, les griefs que l'on entend formuler par la suite à Strasbourg.
30.
La Cour note qu'en l'espèce, le requérant ne s'est plaint, ni dans ses observations initiales, ni dans ses observations complémentaires devant la cour d'appel, qu'il n'avait pas eu accès au rapport de la Société pour la protection de l'enfance ou que ce manque d'accès avait porté atteinte à l'un de ses droits procéduraux. Il n'a pas non plus saisi la Cour de cassation pour se plaindre d'une atteinte à son droit à un procès équitable. Le requérant n'a pas donné aux juridictions grecques l'occasion que l'article 35 de la Convention a pour finalité de ménager en principe à un Etat contractant : celle d'examiner, c'est-à-dire de prévenir ou redresser la violation au regard de la Convention qui est alléguée contre cet Etat (voir, entre autres, les arrêts Guzzardi c. Italie du 6 novembre 1980, série A no 39, § 72, et Cardot c. France du 19 mars 1991, série A no 200, § 36)
31.
La Cour relève, de surcroît, que le requérant a introduit sa requête à la Cour le 8 novembre 2007, donc plus de six mois après l'arrêt définitif de la cour d'appel, rendu le 19 mai 2005.
32.
Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
II. Sur la violation alléguée de l'article 8 de la Convention
33.
Le requérant se plaint aussi d'une violation de son droit au respect de sa vie familiale, en raison de l'impossibilité de prendre connaissance du rapport établi par la Société pour la protection de l'enfance, alors qu'il avait notamment servi à la cour d'appel pour se prononcer de manière définitive sur le droit de garde de l'enfant du requérant. Il allègue une violation de l'article 8 de la Convention, aux termes duquel :
- ‘ 1.
Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
- 2.
Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ’
34.
Le Gouvernement soutient que non seulement il n'y a pas eu en l'espèce une ingérence des autorités entraînant la coupure du lien entre le requérant et son fils, mais il est clair que les autorités ont agi rapidement et efficacement afin que ce lien évolue normalement, compte tenu du changement provoqué par la séparation des parents. Le contact du père et de son fils est entier, satisfaisant et sans obstacle. Le requérant a été chargé d'administrer le patrimoine de son fils, comme il l'avait lui-même demandé. Le fait que les tribunaux aient jugé la question de la garde d'une manière différente de celle souhaitée par le requérant ne peut pas fonder une violation de l'article 8.
35.
Quant à l'impossibilité pour le requérant de prendre connaissance du rapport de la Société pour la protection de l'enfance, le Gouvernement souligne que ce rapport a été demandé et soumis au dernier stade de la procédure et n'a pas pesé dans le jugement de la cour d'appel quant à l'attribution de la garde. La garde de l'enfant avait déjà été attribuée à la mère tant dans le cadre des mesures provisoires ordonnées par le tribunal de première instance que par le jugement du 21 novembre 2001.
36.
Le requérant évoque la similitude de son affaire avec l'affaire Kosmopoulou précitée et souligne que le comportement des autorités a été encore plus arbitraire dans son cas car il a été privé de tout accès au rapport de la Société pour la protection de l'enfance sur la base duquel la cour d'appel a confié la garde de son enfant à la mère. Le rapport a été soumis à la cour d'appel le jour même des débats et il n'y avait donc aucun délai pour en demander copie. Ainsi, le rapport n'était accessible ni avant, ni pendant les débats. Il ne l'a pas non plus été après les débats car il a été retiré du dossier.
37.
La Cour relève que le grief du requérant sous l'angle de l'article 8 comporte deux branches. La première concerne l'utilisation du rapport de la Société pour la protection de l'enfance dans le cadre de la procédure devant la cour d'appel. Sur ce terrain là, la Cour rappelle que le grief du requérant se confond avec celui tiré de l'article 6 de la Convention et que la Cour a jugé irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes. La seconde branche du grief a trait à l'impossibilité pour le requérant d'avoir accès à ce rapport postérieurement à l'arrêt de la cour d'appel du 19 mai 2005. Or, un tel grief concerne l'exercice par le requérant de son droit à un accès effectif à des informations concernant tant sa vie privé que sa vie familiale au sens de l'article 8.
38.
La Cour souhaite d'emblée distinguer l'affaire Kosmopoulou de la présente affaire. Dans la première, la question essentielle qu'elle devait trancher était celle de savoir si les autorités avaient pris les mesures nécessaires pour permettre à la requérante de maintenir, après son divorce, une vie familiale avec sa fille, alors que les juridictions avaient provisoirement suspendu le droit de visite de la requérante. En revanche, en l'espèce, il était impossible pour le requérant d'avoir accès à un rapport soumis dans le cadre d'une procédure d'attribution de la garde d'un enfant suite à la séparation de ses parents.
39.
La Cour relève que la cour d'appel avait estimé nécessaire d'ordonner une enquête sociale quant aux conditions de vie de l'enfant et de se fonder sur un rapport qui devait être établi par la Société pour la protection de l'enfance. Le requérant affirme aussi, sans être contesté par le Gouvernement, qu'il a pu participer activement à l'établissement de ce rapport.
40.
A l'issue de la procédure devant la cour d'appel, le requérant a saisi tant la Société pour la protection de l'enfance que le procureur compétent pour tenter d'obtenir la copie du rapport. La première l'a informé qu'elle ne pouvait pas satisfaire sa demande car le rapport serait confidentiel et établi à la seule attention de la cour d'appel. Le second, par deux phrases manuscrites sur le texte même de la demande, a rejeté celle-ci au motif que le requérant n'avait pas un intérêt légitime à prendre connaissance d'informations concernant les données personnelles d'un mineur.
41.
La Cour rappelle qu'aux engagements plutôt négatifs contenus dans l'article 8 de la Convention peuvent s'ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée. Pour savoir s'il existe une telle obligation, il convient de prendre en compte le juste équilibre à ménager entre l'intérêt général et les intérêts antagoniques de l'individu concerné, les objectifs visés au paragraphe 2 de l'article 8 jouant un certain rôle (Gaskin c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 42, série A no 160). La Cour rappelle aussi qu'il pèse sur les autorités une obligation positive d'offrir au requérant une ‘ procédure effective et accessible ’ lui permettant d'avoir accès à ‘ l'ensemble des informations pertinentes et appropriées ’ (Roche c. Royaume-Uni [GC], no 32555/96, § 162, ECHR 2005-X).
42.
La Cour note que la législation nationale concernant l'utilisation du rapport établi suite à une enquête sociale n'est pas d'une grande limpidité. Les articles pertinents du code civil n'y font aucune référence. L'article 5 de la loi no 378 et les articles 8 et 16 du décret présidentiel no 49/79 (paragraphes 24–25 ci-dessus) ne prévoient ni délai pour le dépôt du rapport au tribunal, ni possibilité pour les parties à la procédure d'en prendre connaissance et de le commenter si elles le souhaitent. De plus, en l'espèce, la seule information pertinente qui ait été fournie au requérant provenait du médiateur, qui a interprété la législation pertinente et rapporté partiellement des informations transmises à celui-ci par la Société de la protection de l'enfance elle-même. Ainsi, le médiateur soulignait que selon le sens grammatical des dispositions susmentionnées, un tel rapport n'était considéré comme confidentiel que dans le cadre des procédures pénales et non civiles comme celle qui concernait le requérant.
43.
La Cour considère que les informations contenues dans ce rapport étaient pertinentes pour le requérant et pour sa relation avec son fils. Si la cour d'appel a estimé que l'intérêt de l'enfant imposait de ne pas l'éloigner de la mère, elle a reconnu que le requérant faisait preuve d'une grande affection envers lui, ce qui est d'ailleurs démontré par ses efforts persistants d'obtenir la garde de l'enfant. La communication du rapport lui aurait donc permis de prendre connaissance d'éventuels points négatifs contenus dans celui-ci et qui ont pu influencer la décision des juges et, le cas échéant, les prendre en compte pour l'avenir en vue d'améliorer sa relation avec son fils. Il apparaît que le requérant avait aussi participé à l'élaboration du rapport et il était donc légitime qu'il puisse connaître la manière dont les informations qu'il avait fournies étaient analysées et prises en compte par la Société de la protection de l'enfance.
44.
Aux yeux de la Cour, le refus en substance non-motivé des autorités à consentir à la divulgation du rapport après la fin de la procédure devant la cour d'appel s'analyse en une méconnaissance de l'obligation positive d'assurer le respect effectif du droit du requérant à sa vie privée et familiale. A cet égard, la Cour rappelle qu'il appartient aux autorités de démontrer qu'il existe des raisons impérieuses justifiant la non-divulgation à l'intéressé d'un rapport contenant des informations personnelles le concernant directement (K.H et autres c. Slovaquie, no 32881/04, § 48, 28 avril 2008). Or, en l'espèce, ni les autorités compétentes, ni le Gouvernement n'avancent de telles raisons et le rapport litigieux contenait, par la force des choses, des informations de cette nature.
45.
Il y a donc eu violation de l'article 8 de la Convention.
III. Sur l'application de l'article 41 de la Convention
46.
Aux termes de l'article 41 de la Convention,
‘ Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. ’
A. Dommage
47.
Le requérant réclame une somme pour le dommage moral mais il ne la chiffre pas. Il prétend que l'impossibilité d'accéder au contenu du rapport l'a empêché de revendiquer efficacement en justice l'attribution de la garde de son enfant, ce qui a eu comme conséquence de réduire au minimum les contacts entre eux. La violation de l'article 8 lui a causé une déception intense concernant l'efficacité et la transparence des décisions de la justice grecque et lui a donné le sentiment d'être un citoyen de seconde catégorie.
48.
Le Gouvernement estime qu'il n'y a pas de lien de causalité entre la violation alléguée et le fait que les contacts entre le requérant et son fils se soient considérablement réduits.
49.
La Cour estime que le requérant a subi un tort moral certain. Statuant en équité, comme le veut l'article 41 de la Convention, elle lui accorde 5 000 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt (voir, mutatis mutandis, Kosmopoulou c. Grèce précité, §§ 52 et 54).
B. Frais et dépens
50.
Le requérant réclame 7 000 euros (EUR) pour les honoraires d'avocat devant les juridictions nationales et 10 000 EUR pour ceux qu'il a dû verser pour la procédure devant la Cour.
51.
Le Gouvernement trouve ces sommes exagérées et souligne que le requérant ne soumet aucun justificatif.
52.
La Cour note que le requérant ne produit aucune facture en ce qui concerne les frais engagés devant les juridictions saisies. Il y a donc lieu de rejeter cette partie de leurs prétentions. En ce qui concerne les frais exposés pour les besoins de la représentation du requérant devant elle, la Cour observe que les prétentions de ce dernier ne sont ni détaillées ni accompagnées des justificatifs nécessaires. Il convient donc d'écarter sa demande sur ce point également.
C. Intérêts moratoires
53.
La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
Par ces motifs, la cour, à l'unanimité,
- 1.
Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l'article 8 de la Convention, en ce qui concerne le refus des autorités de lui divulguer le rapport d'enquête sociale concernant les conditions de vie de son fils, et irrecevable pour le surplus ;
- 2.
Dit qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention ;
- 3.
Dit,
- a)
que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 5 000 EUR (cinq mille euros), pour le dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
- b)
qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
- 4.
Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 octobre 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
André Wampach
Greffier adjoint
Nina Vajić
Présidente