EHRM, 06-12-2007, nr. 14216/03
ECLI:NL:XX:2007:BD0841
- Instantie
Europees Hof voor de Rechten van de Mens
- Datum
06-12-2007
- Magistraten
L. Loucaides, C.L. Rozakis, N. Vajić, A. Kovler, E. Steiner, K. Hajiyev, G. Malinverni
- Zaaknummer
14216/03
- LJN
BD0841
- Vakgebied(en)
Internationaal publiekrecht (V)
Staatsrecht (V)
Goederenrecht (V)
Milieurecht (V)
- Brondocumenten en formele relaties
ECLI:NL:XX:2007:BD0841, Uitspraak, Europees Hof voor de Rechten van de Mens, 06‑12‑2007
Uitspraak 06‑12‑2007
L. Loucaides, C.L. Rozakis, N. Vajić, A. Kovler, E. Steiner, K. Hajiyev, G. Malinverni
Partij(en)
ARRÊT
STRASBOURG
6 décembre 2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire
Z.A.N.T.E. - Marathonisi A.E.
c.
Grèce,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. L. LOUCAIDES, président,
C.L. ROZAKIS,
Mme N. VAJIĆ,
M. A. KOVLER,
Mme E. STEINER,
MM. K. HAJIYEV,
G. MALINVERNI, juges,
et de M. S. NIELSEN, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 novembre 2007,
Rend l'arrêt que voici, adoptéà cette date :
Procédure
1
A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 14216/03) dirigée contre la République hellénique et dont une société anonyme ayant son siège à Athènes, Z.A.N.T.E. — Marathonisi A.E. (‘la requérante’), a saisi la Cour le 23 avril 2003 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (‘la Convention’).
2
La requérante est représentée par Me D. Kondylis, avocat au barreau de Pyrgos. Le gouvernement grec (‘le Gouvernement’) est représenté par les délégués de son agent, M. S. Spyropoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l'Etat, et Mme Z. Chatzipavlou, auditrice auprès du Conseil Juridique de l'Etat.
3
La requérante alléguait en particulier une atteinte à son droit au respect de ses biens.
4
Par une décision du 1er juin 2006, la Cour a déclaré la requête partiellement recevable.
5
Tant la société requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).
En fait
I. Les circonstances de l'espèce
A. La genèse de l'affaire
6
En mars 1972, la société requérante acheta à M.K., héritière unique de son père V.M. et de ses oncles P. et D.M., un îlot d'une superficie de 300 000 m2 environ, connu sous le nom de ‘Marathonisi’, sis au large de la partie sud-est de l'île de Zakynthos.
7
Selon le statut de la société requérante, son activité exclusive était un projet d'exploitation touristique de cet îlot et, en particulier, l'implantation d'un complexe hôtelier.
8
Au moment de l'acquisition, les conditions de construction sur Marathonisi étaient régies par l'article 5 § 1 du décret présidentiel du 23 octobre 1928 ‘sur les conditions de construction de bâtiments dans les régions à l'intérieur ou hors la zone urbaine’. Selon ladite disposition, la construction de bâtiments sur des terrains situés hors de la zone urbaine était permise, à condition que la superficie du terrain excède 4 000 m2 et que le projet immobilier envisagé ne dépasse pas 10 % de la surface du terrain.
9
Le 24 mars 1972, un acte du ministre des Finances approuva le statut de la société requérante qui faisait expressément mention comme objectif exclusif l'exploitation touristique de l'îlot litigieux. Cet acte fut publié au Journal officiel, condition exigée par la législation pertinente. L'acte de publication comportait en outre un ‘rapport d'évaluation’ rédigé par deux hauts fonctionnaires du ministère des Finances. Ce rapport concluait que l'îlot était apte à son exploitation touristique et chiffrait par ailleurs sa valeur vénale à 45 000 000 drachmes (environ 132 062 euros) à l'époque.
10
Sur l'îlot se trouvent deux plages dont l'une, située dans sa partie nord, est fréquentée par des tortues caretta-caretta au moment de leur reproduction. Par l'acte ΓΧ 11/2659/29.9.1980 du Conseil National de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement, cette plage fut reclassée en ‘site protégé’.
11
Le 6 mai 1981, l'Organisme Hellénique du Tourisme (EOT), à la demande de la société requérante et en vertu du décret no 1199/1972, considéra que l'îlot, d'une superficie de 300 000 m2, était apte à son exploitation touristique, compte tenu notamment de la possibilité d'y faire construire un complexe hôtelier de 1 500 lits. Ledit certificat prévoyait, entre autres, que les conditions spécifiques de construction sur l'îlot litigieux feraient l'objet d'un décret présidentiel spécial.
B. L'adoption des mesures restrictives sur la construction de l'îlot
12
Le 13 avril 1984, par décret présidentiel, le droit de construire sur l'îlot fut limitéà l'édification de sept habitations, d'une superficie maximale de 60 m2 chacune.
13
Le 31 décembre 1986, par acte du ministre de l'Environnement et de l'Aménagement du Territoire, le droit de construire sur l'îlot fut réduit à l'édification d'une seule habitation d'une superficie totale de 200 m2. Cette décision ministérielle fut confirmée par la suite par un décret présidentiel, publié le 5 juillet 1990.
14
Entre-temps, le 1er février 1988, le ministre de l'Agriculture avait reconnu l'île de Marathonisi en tant qu'‘espace forestier privé’. Il ressort du dossier qu'à ce jour l'île de Marathonisi n'a pas fait l'objet d'une classification en tant que domaine forestier ou non, selon la procédure prévue par la législation pertinente, à savoir la loi no 998/1979 sur la protection des forêts et des espaces forestiers (voir ci dessous, paragraphe 39).
15
Le 18 décembre 1991, un permis de construire d'une habitation d'une superficie de 200 m2sur l'îlot en cause fut délivréà la requérante par le bureau d'urbanisme de la région de Zakynthos. Le 19 mai 1995, le Conseil d'Etat annula ledit permis suite à un recours en annulation déposé par des organisations pour la protection de l'environnement.
16
Le 22 décembre 1999, un décret présidentiel détermina une superficie incluant la plage ‘Laganas’ sur l'île de Zakynthos et d'autres îlots voisins, y compris celui appartenant à la requérante, de ‘Parc National de Zakynthos’, dans le but de protéger de manière effective l'espèce de tortue ‘caretta-caretta’. Une personne morale de droit privé mise sous tutelle du ministre de l'Environnement et de l'Aménagement du territoire fut aussi créée, l' ‘Organisme Parc National de Zakynthos’, ayant la compétence de gérer l'usage du parc national. En vertu de ce décret présidentiel, toute construction au sein du Parc National de Zakynthos fut interdite. Seule la possibilité de visiter l'îlot ‘Marathonisi’était permise, uniquement pendant la matinée et ce, conformément à l'avis de l'Organisme gérant le Parc National de Zakynthos.
C. Les démarches judiciaires entreprises par la requérante
1. Devant le Conseil d'Etat
17
Le 4 juin 1984, la requérante saisit le Conseil d'Etat d'un recours en annulation contre le décret présidentiel délivré le 13 avril 1984. Par la suite, les 30 avril 1987 et 27 août 1990, la requérante saisit le Conseil d'Etat de deux autres recours en annulation contre la décision ministérielle du 31 décembre 1986 et du décret présidentiel du 5 juillet 1990.
18
Le 7 mars 1986, le Conseil d'Etat rejeta le premier recours exercé par la requérante (arrêt no695/1986). Il ressort du dossier que les deux autres affaires furent rayées du rôle en 1994.
2. L'action en indemnisation devant les juridictions civiles
19
Le 16 mars 1993, la requérante saisit le tribunal de grande instance d'Athènes d'une action contre l'Etat grec tendant au versement de 2 596 770 000 drachmes (environ 7 620 748 euros) au titre de dommages-intérêts. Elle invoquait un manque à gagner consécutif à l'impossibilité d'exploiter le complexe hôtelier envisagé.
20
Le 22 février 1996, l'action fut rejetée pour cause de prescription (décision no 2494/1996). Le 2 avril 1996, la requérante interjeta appel de cette décision.
21
Le 14 juillet 1996, la cour d'appel d'Athènes confirma la décision attaquée. Le 12 janvier 1996, la requérante se pourvut en cassation.
22
Le 16 juin 1998, la Cour de cassation rejeta son pourvoi (arrêt no 1046/1998).
3. Les actions en indemnisation devant les juridictions administratives
23
La requérante saisit les juridictions administratives de deux séries d'actions en indemnisation.
a. La première procédure
24
Le 16 décembre 1993, elle saisit le tribunal administratif d'Athènes d'une action tendant au versement d'une somme de 2 395 470 000 drachmes (environ 7 029 992 euros) au titre des dommages-intérêts pour manque à gagner pour la période comprise entre 1987 et 1993, en raison de l'impossibilité d'exploitation touristique de son îlot, suite à l'arrêté ministériel du 31 décembre 1986 et au décret présidentiel du 5 juillet 1990.
25
Le 30 juin 1999, le tribunal administratif d'Athènes rejeta l'action. Il jugea, en application de la jurisprudence du Conseil d'Etat en la matière, que l'îlot de la requérante se situait hors de la zone urbaine et, par conséquent, était destiné de par sa nature à l'exploitation exclusivement agricole (décision no 6310/1999).
26
Le 21 septembre 1999, la requérante interjeta appel de cette décision.
27
Par une décision avant dire droit, la cour administrative d'appel rejeta les prétentions de la requérante pour autant qu'elles se fondaient sur l'article 105 de la loi d'accompagnement du code civil et ordonna des preuves quant au droit àêtre indemnisé sur la base de l'article 22 § 1 de la loi no 1650/1986. Dans ses observations déposées le 6 octobre 2000, la requérante spécifia qu'elle n'avait pas formulé une demande d'indemnisation sur le fondement de l'article 22 § 1 de la loi no1650/1986 mais exclusivement sur la base de l'article 105 de loi d'accompagnement du code civil qui crée une responsabilité extracontractuelle de l'Etat telle qu'elle résulte d'actes ou omissions illégaux.
28
Le 13 novembre 2000, la cour administrative d'appel d'Athènes, confirma la décision attaquée (décision no 4627/2000).
29
Le 21 novembre 2000, la requérante se pourvut en cassation. Elle souleva, entre autres, que les actes administratifs incriminés auraient comme conséquence la dépréciation totale de sa propriété sans le versement d'aucune indemnité. Elle soutint, en outre, que les actes réduisant la superficie à construire sur l'îlot litigieux n'avaient pas respecté le principe de proportionnalité quant à l'atteinte au droit au respect de ses biens, tel que garanti par l'article 17 de la Constitution grecque et l'article 1 du Protocole no 1.
30
Le 1er novembre 2002, le Conseil d'Etat débouta la requérante. Il jugea que l'interdiction de construire frappant l'îlot litigieux n'était pas contraire aux articles 17 de la Constitution et 1 du Protocole no 1, au motif que celle-ci était dictée par l'intérêt public et que l'îlot litigieux se situait hors de la zone urbaine et faisait par conséquent partie des terrains destinés exclusivement de par leur nature à un usage agricole, avicole, sylvicole ou de divertissement du public (arrêt no 3135/2002).
b. La seconde procédure
31
Entre-temps, le 30 décembre 1998, la requérante avait saisi à nouveau le tribunal administratif d'Athènes d'une action tendant au versement d'une somme de 2 128 600 000 drachmes (environ 6 246 808 euros) au titre de dommages pour manque à gagner pour la période entre 1994 et 1998, en raison de l'interdiction d'exploitation touristique de son terrain, suite à l'arrêté ministériel du 31 décembre 1986 et au décret présidentiel du 5 juillet 1990. La société requérante déposa, à l'appui de sa demande, cent-vingt-quatre permis de construire qui auraient été accordés aux propriétaires de terrains voisins sur l'île de Zakynthos, sis également hors de la zone urbaine.
32
A une date non précisée, le tribunal administratif d'Athènes rejeta l'action comme irrecevable (décision no 6230/2001).
33
Le 23 octobre 2001, la requérante interjeta appel de cette décision.
34
Le 31 mai 2002, la cour administrative d'appel d'Athènes infirma la décision attaquée et rejeta l'action après l'avoir examinée sur le fond. Ladite juridiction jugea que l'îlot litigieux se situait hors de la zone urbaine et qu'il était destiné exclusivement de par sa nature à un usage agricole. Par conséquent, la requérante n'avait subi aucun dommage pour manque à gagner, à partir du moment où elle pouvait toujours exploiter son terrain à des fins agricoles (arrêt no 2735/2002). Une copie de cet arrêt lui fut notifiée le 6 mars 2003.
35
La requérante ne se pourvut pas en cassation. Elle affirme qu'un tel recours n'aurait pas été effectif, le contenu de sa deuxième action étant essentiellement le même que celui de la première.
D. L'évolution de l'affaire
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Le 10 décembre 2003, le Comité des pétitions du Parlement de l'Union Européenne, saisi par deux individus propriétaires de terrains situés au sein du Parc national de Zakynthos, publia un rapport établi à la suite d'une mission d'enquête sur le niveau de protection de la tortue ‘caretta-caretta’ dans ledit parc. Selon le rapport ‘la visite a eu lieu en dehors de la saison touristique, mais un certain nombre de photographies démontre à quel point l'îlot est quotidiennement envahi par des touristes. Ces excursions sont organisées par des opérateurs de voyages en vertu de licences délivrées par le Parc national de Zakynthos, qui se voit de plus verser une contribution de la part des opérateurs de voyages. (…) Les touristes apportent des parasols qu'ils plantent dans le sable, mettant ainsi en danger les tortues. La plage est très polluée. Il n'y a pas de sanitaires. Le nombre des visiteurs augmente année par année. (…)’.
II. Le droit et la pratique internes pertinents
A. La Constitution
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Les articles pertinents de la Constitution disposent :
Article 17
‘1. La propriété est placée sous la protection de l'Etat. Les droits qui en dérivent ne peuvent toutefois s'exercer au détriment de l'intérêt général.
2. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, dûment prouvée, dans les cas et suivant la procédure déterminés par la loi et toujours moyennant une indemnité préalable complète. Celle-ci doit correspondre à la valeur que possède la propriété expropriée le jour de l'audience sur l'affaire concernant la fixation provisoire de l'indemnité par le tribunal. Dans le cas d'une demande visant à la fixation immédiate de l'indemnité définitive, est prise en considération la valeur que la propriété expropriée possède au jour de l'audience du tribunal sur cette demande.
(…)’
Article 24 § 1
‘La protection de l'environnement naturel et culturel constitue une obligation de l'Etat et un droit de chacun. L'Etat est tenu de prendre des mesures spéciales, préventives ou répressives, dans le but de sa conservation.
La loi règle les modalités de la protection des forêts et des espaces boisés en général. (…) La modification de l'affectation des forêts et des espaces boisés domaniaux est interdite, sauf si leur exploitation agricole l'emporte du point de vue de l'économie nationale ou si tout autre usage devient nécessaire en vue de l'intérêt public.’
B. La loi no 1650/1986 sur la protection de l'environnement
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L'article 22 de la loi no 1650/1986 dispose :
‘1. L'Etat peut, suite à la demande des intéressés et dans la mesure du possible, accepter soit l'échange de propriétés privées avec des propriétés de l'Etat soit la concession de l'usage de terrains publics avoisinants pour une exploitation similaire soit l'allocation d'une indemnité forfaitaire ou périodique, l'usage actuel du terrain privéétant pris en compte, si les conditions, restrictions et interdictions [pesant sur un terrain] sont exceptionnellement graves et elles ont pour conséquence l'entrave excessive des droits découlant de la propriété (…).
4. Un décret présidentiel, rendu sur proposition des ministres des Finances, de l'Agriculture ainsi que de l'Environnement et de l'Aménagement du territoire, fixe les conditions, les justificatifs nécessaires, la procédure et les autres termes pour le versement d'allocations compensatoires (…)’
C. La loi no 998/1979 sur la protection des forêts et des espaces forestiers
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Les articles pertinents de la loi no 998/1979 disposent :
Article 10 § 3
‘Un comité de règlement des différends forestiers compétent pour connaître des litiges relatifs au classement de tout ou partie d'une zone en espace forestier ou à la délimitation de celle-ci est établi au siège de chaque préfecture.’
Article 14
‘1. En l'absence de cadastre forestier, le classement de tout ou partie d'une zone en espace forestier et la délimitation de celle-ci (…) sont réalisés par l'office des forêts compétent, ex officio ou à la demande de toute personne y ayant un intérêt légitime.
2. (…) Le classement est notifiéà la personne physique ou morale ou au service public auteur de la demande (…)
3. Le préfet ou toute autre personne y ayant un intérêt légitime peut contester le classement susmentionné, dans un délai de deux mois à compter de la date de la notification (…) devant le comité viséà l'article 10 § 3 (…) Le comité de règlement des différends et la commission d'appel (…) se prononcent sur la contestation par une décision motivée dans un délai de trois mois à compter du jour où elle est portée devant eux (…)’
Article 41
‘1. La décision de classement d'un terrain en zone à reboiser est prise par le préfet compétent. Cette décision doit comporter une délimitation précise de la zone concernée et être accompagnée d'un plan (…)
3. (…) la décision préfectorale visée au premier paragraphe du présent article est prise sur recommandation de l'inspecteur des forêts compétent.’
D. La loi d'accompagnement (ΕισαγωγικόςΝόμος) du code civil
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L'article 105 de la loi d'accompagnement du code civil se lit comme suit :
‘L'Etat est tenu de réparer le dommage causé par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l'exercice de la puissance publique, sauf si l'acte ou l'omission a eu lieu en méconnaissance d'une disposition destinée à servir l'intérêt public. La personne fautive est solidairement responsable avec l'Etat, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres.’
Cette disposition établit le concept d'acte dommageable spécial de droit public, créant une responsabilité extracontractuelle de l'Etat. Cette responsabilité résulte d'actes ou omissions illégaux. Les actes concernés peuvent être, non seulement des actes juridiques, mais également des actes matériels de l'administration, y compris des actes non exécutoires en principe (Kyriakopoulos, Commentaire du code civil, article 105 de la loi d'accompagnement du code civil, no 23; Filios, Droit des contrats, partie spéciale, volume 6, responsabilité délictueuse 1977, par. 48 B 112 ; E. Spiliotopoulos, Droit administratif, troisième édition, par. 217; arrêt no535/1971 de la Cour de cassation; Nomiko Vima, 19e année, p. 1414; arrêt no492/1967 de la Cour de cassation ; Nomiko Vima, 16e année, p. 75). La recevabilité de l'action en réparation est soumise à une condition : la nature illégale de l'acte ou de l'omission.
E. Le décret présidentiel du 23 octobre 1928 ‘sur les conditions de construction de bâtiments dans les régions à l'intérieur ou hors le plan de la ville’
41
L'article 5 § 1 dudit décret présidentiel dispose :
‘La construction hors les zones [urbaines] est permise uniquement sur des terrains d'une superficie de 4 000 m2 au minimum et à la condition que l'immeuble à bâtir n'occupe pas plus de 10 % de la surface totale du terrain (…)’
F. Le Traité instituant la Communauté Européenne
42
Les articles pertinents du Traité instituant la Communauté Européenne disposent :
Article 21
‘Tout citoyen de l'Union a le droit de pétition devant le Parlement européen conformément aux dispositions de l'article 194.
Tout citoyen de l'Union peut s'adresser au médiateur institué conformément aux dispositions de l'article 195.
Tout citoyen de l'Union peut écrire à toute institution ou organe visé au présent article ou à l'article 7 dans l'une des langues visées à l'article 314 et recevoir une réponse rédigée dans la même langue.’
Article 194
‘Tout citoyen de l'Union, ainsi que toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statutaire dans un État membre, a le droit de présenter, à titre individuel ou en association avec d'autres citoyens ou personnes, une pétition au Parlement européen sur un sujet relevant des domaines d'activité de la Communauté et qui le ou la concerne directement.’
En droit
I. Sur la violation alléguée de l'Article 1 du Protocole no 1
43
La société requérante se plaint des décisions judiciaires rejetant ses demandes d'indemnisation au seul motif que l'îlot est, de par sa nature, destinéà une exploitation uniquement agricole. Elle invoque l'article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
‘Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes.’
A. Arguments des parties
1. La société requérante
44
La société requérante affirme que le caractère privé de l'îlot n'a jamais été contesté par l'administration. De plus, elle soutient que le Gouvernement soulève pour la première fois devant la Cour l'argument tiré du caractère forestier de l'îlot en cause. La requérante note qu'en vérité, l'îlot Marathonisi n'a jamais été classé en tant que domaine forestier selon la procédure prévue par la loi no 998/1979. Bien au contraire, la requérante affirme que les autorités compétentes avaient à plusieurs reprises reconnu le potentiel d'exploitation touristique de l'îlot en cause. Enfin, la requérante relève qu'au moment où elle a acquis l'îlot litigieux, le Conseil d'Etat n'avait pas encore établi sa jurisprudence sur la ‘destination’ des terrains hors de la zone urbaine. De toute façon, la requérante conteste la pertinence de ce critère, dans la mesure où celui-ci passe outre le fait que le terrain était constructible au moment de son acquisition. Sur ce point, la requérante allègue qu'elle a déposé auprès de l'administration et des juridictions internes plus de cent vingt permis de construire qui auraient été accordés aux propriétaires de terrains voisins, sis également hors de la zone urbaine. Pour la requérante, cet élément prouve l'inadéquation du principe appliqué par le Conseil d'Etat, dans la mesure où la destination de ces terrains n'était pas exclusivement l'agriculture.
2. Le Gouvernement
45
Le Gouvernement plaide, tout d'abord, l'irrecevabilité de ce grief, au motif que la requérante n'a pas saisi les juridictions administratives d'une action en indemnisation fondée sur l'article 22 § 1 de la loi no 1650/1986.
46
Sur le fond, le Gouvernement argue qu'en l'occurrence il n'y a pas eu d'ingérence dans le droit des requérants au respect de leurs biens. Pour le Gouvernement, l'îlot en cause avait la qualité de domaine forestier et, partant, son exploitation touristique serait en tout état de cause impossible. Pour le Gouvernement, seul le déclassement préalable de l'îlot en tant qu'espace forestier aurait permis à la requérante d'y faire construire un complexe hôtelier. En dernier lieu, le Gouvernement soutient que la requérante était ou aurait dûêtre informée de la jurisprudence constante du Conseil d'Etat, établie au début des années 90, selon laquelle tout terrain se situant hors de la zone urbaine ne peut être destiné qu'à des fins exclusivement agricoles.
B. Appréciation de la Cour
1. Sur l'exception préliminaire
47
La Cour rappelle qu'elle a déjà rejeté l'exception soulevée par le Gouvernement dans sa décision sur la recevabilité de la requête du 1er juin 2006. Elle n'estime pas nécessaire de procéder une seconde fois à son examen.
Il échet donc de rejeter l'exception dont il s'agit.
2. Sur le fond
48
La Cour note d'emblée que le Gouvernement excipe le caractère forestier du domaine en cause pour affirmer que son exploitation était en tout état de cause impossible. Sur ce point, la Cour note que, dans le contexte de la présente affaire, les juridictions internes ne se sont pas prononcées sur le caractère forestier ou non de la propriété litigieuse. En effet, l'objet de la procédure interne était le droit de la société requérante de se voir indemnisée pour le blocage successif de l'exploitation de l'îlot en cause. La Cour constate à cet égard que, par son arrêt no3135/2002, le Conseil d'Etat n'a pas débouté la requérante sur la base du caractère forestier de sa propriété. En revanche, la haute juridiction administrative a jugé que l'îlot litigieux se situait hors de la zone urbaine et que les terrains tombant dans cette catégorie sont destinés exclusivement de par leur nature à un usage agricole, avicole, forestier ou de divertissement du public. Par conséquent, la Cour considère que le caractère forestier du domaine litigieux n'est pas une question à examiner dans le cadre de la présente affaire. En tout état de cause, il n'appartient pas à la Cour de se prononcer sur pareil point d'ordre technique (Papastavrou et autres c. Grèce, no46372/99, § 36, CEDH 2003-IV).
49
En l'occurrence, la Cour ne peut pas accepter la position du Gouvernement qu'il n'y a pas eu ingérence dans le droit de la société requérante de disposer librement de ses biens. A cet égard, la Cour note qu'en mars 1972, lorsque la société requérante a acquis l'îlot en cause, le droit interne pertinent prévoyait que la construction de bâtiments sur des terrains situés hors de la zone urbaine était permise, à condition que la superficie du terrain excède les 4 000 m2 et que le bâtiment à construire ne dépasse pas 10 % de la surface du terrain. Par la suite, l'exploitation de l'îlot en cause fut bloquée progressivement par divers actes administratifs adoptés entre 1984 et 1999. En particulier, le décret présidentiel du 13 avril 1984, a initialement limité le droit de construire sur l'îlot à l'édification de sept habitations, d'une superficie maximale de 60 m2 chacune et le décret présidentiel du 22 décembre 1999 a, en dernier lieu, interdit toute construction sur l'îlot. Suite à la conclusion consécutive des procédures administratives engagées en 1993 et 1998, procédures cruciales pour l'appréciation de la proportionnalité des mesures incriminés, la Cour se doit d'examiner si l'ingérence dans le droit de la société requérante au respect de ses biens était justifiée sous l'angle de l'article 1 du Protocole no 1 (voir Housing Association of War Disabled et Victims of War of Attica et autres c. Grèce, no 35859/02, § 36, 13 juillet 2006).
50
La Cour juge naturel que, dans un domaine aussi complexe et difficile que l'aménagement du territoire, les Etats contractants jouissent d'une grande marge d'appréciation pour mener leur politique urbanistique (Elia S.r.l. c. Italie, no 37710/97, § 48, CEDH 2001-IX). Elle tient pour établi que l'ingérence dans le droit de la société requérante au respect de ses biens répondait aux exigences de l'intérêt général. Elle ne saurait renoncer pour autant à son pouvoir de contrôle. Il lui appartient ainsi de vérifier que l'équilibre voulu a été préservé de manière compatible avec le droit de la requérante au respect de ses biens (voir Saliba c. Malte, no 4251/02, § 45, 8 novembre 2005 et Housing Association of War Disabled et Victims of War of Attica et autres c. Grèce, précité, § 37).
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En l'occurrence, la Cour note que la question de la légalité des restrictions progressivement imposées à la propriété litigieuse, a été examinée à deux reprises par les juridictions administratives. En particulier, tant le Conseil d'Etat que la cour administrative d'appel d'Athènes ont considéré, en vertu des arrêts nos 3135/2002 et 2735/2002 respectivement, que l'interdiction totale de construire sur l'îlot litigieux ne portait pas atteinte au droit à la protection des biens, car la propriété en cause se situait hors de la zone urbaine. Selon la haute juridiction administrative, tout site hors de la zone urbaine est destiné de par sa nature à un usage exclusivement agricole, avicole, sylvicole ou de divertissement du public. En d'autres termes, les juridictions internes ont considéré qu'il était impossible que l'interdiction de construire sur le terrain litigieux portât atteinte au droit à la protection de la propriété du moment que ledit terrain était, de toute manière et en raison de sa nature, inconstructible.
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La Cour considère que le motif retenu par les juridictions internes pour rejeter les demandes d'indemnisation de la société requérante se distingue par sa rigueur particulière : en effet, assimiler tout terrain qui se trouve hors de la zone urbaine à un terrain destinéà un usage agricole, avicole, sylvicole ou de divertissement du public introduit une présomption irréfragable qui méconnaît les particularités de chaque terrain non inclus dans la zone urbaine. En particulier, la référence à la ‘destination’ d'un terrain, terme per se vague et indéfini, ne permet pas au juge interne de tenir compte du droit qui, éventuellement, régissait in concreto son exploitation avant l'imposition de la restriction incriminée. Dans les cas où la législation pertinente ne prévoit que son exploitation agricole, la ‘destination’ du terrain n'est, en effet, que l'agriculture. Or, dans les cas où le droit pertinent prévoit expressément la constructibilité d'un terrain, le juge interne ne saurait méconnaître cet élément en faisant simplement appel à la ‘destination’ de tout terrain se situant hors de la zone urbaine.
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Dans le cas d'espèce, il ressort du dossier que la destination de l'îlot litigieux n'était pas uniquement l'exploitation agricole. En particulier, l'interdiction progressive de toute construction sur l'îlot a tiré son origine d'une réglementation dérogatoire aux dispositions de droit commun sur les conditions de construction des terrains sis hors de la zone urbaine. Il échet sur ce point de relever une certaine contradiction dans le comportement des autorités internes afin d'assurer la protection de la faune dans le cas d'espèce. En effet, si l'îlot en cause avait étéab initio inconstructible en raison de sa destination d'exploitation agricole, comme il est suggéré par les arrêts des juridictions administratives, il n'aurait pas été nécessaire que les autorités internes imposent à la société requérante son inconstructibilité. Or, dans le cas d'espèce, l'interdiction de construire a été l'aboutissement d'une série de restrictions limitant progressivement ledit droit initialement reconnu par le droit interne.
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En dernier lieu, la Cour note que le rapport daté du 10 décembre 2003 établi par le Comité des pétitions du Parlement européen, relève l'existence d'activités sur l'îlot, non compatibles avec les motifs pour lesquels la propriété de la société requérante a été frappée par des restrictions particulièrement sévères quant à son exploitation. Le rapport affirme ainsi que Marathonisi est quotidiennement envahi par des touristes, que sa plage est très polluée et qu'il n'y a pas de sanitaires. La Cour note sur ce point que, selon le décret présidentiel du 22 décembre 1999, l' ‘Organisme du Parc National de Zakynthos’, personne morale de droit privé mise sous tutelle du ministre de l'Environnement et de l'Aménagement, est l'organe responsable de gérer l'usage dudit Parc. Or, de l'avis de la Cour, lorsque l'Etat impose des restrictions importantes dans l'exploitation d'une propriété privée dans le but de garantir la protection effective de l'environnement, il lui incombe au moins de ne pas tolérer des activités susceptibles de saper l'accomplissement de cet objectif. Dans le cas contraire, le but de la restriction peut devenir caduc et la charge initialement imposée à l'intéressé s'avère ainsi plus difficilement tolérable par lui-même, élément qui doit être pris en compte lors de l'appréciation de sa proportionnalité par rapport au but poursuivi. En l'occurrence, il serait déraisonnable que l'Etat exige de la requérante de se conformer aux restrictions sévères à la jouissance de sa propriété dans le but de préserver la tortue ‘caretta-caretta’, quand l'autorité compétente omet en même temps de prendre les mesures nécessaires face à des activités qui mettent en danger la matérialisation du but précité.
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Au vu de ce qui précède, la Cour considère que, dans le cas d'espèce, le critère employé par les juridictions administratives lors de l'examen des demandes d'indemnisation de la société requérante pour le blocage total de sa propriété ainsi que le comportement subséquent des autorités internes ont rompu le juste équilibre devant régner, en matière de réglementation de l'usage des biens, entre l'intérêt public et l'intérêt privé.
Partant, il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.
II. Sur l'application de l'Article 41 de la Convention
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Aux termes de l'article 41 de la Convention,
‘Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable.’
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La société requérante réclame la somme de 21 001 350 euros au titre du dommage matériel. Au titre du dommage moral, elle sollicite la somme de 10 000 euros. Elle demande enfin la somme de 24 273,02 euros au titre des frais et dépens.
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Le Gouvernement estime que les prétentions de la requérante sont infondées et excessives. Il soutient que, si et dans la mesure où la Cour devait constater une violation de l'article 1 du Protocole no 1, elle devrait donner aux parties la possibilité de présenter des observations complémentaires sur la question de la satisfaction équitable.
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La Cour estime que la question de l'application de l'article 41 ne se trouve pas en état. En conséquence, elle la réserve et fixera la procédure ultérieure compte tenu de la possibilité que le Gouvernement et les requérants parviennent à un accord (article 75 § 1 du règlement).
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
- 1.
Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 de la Convention ;
- 2.
Dit que la question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouve pas en état ; en conséquence,
- a)
la réserve en entier ;
- b)
invite le Gouvernement et la requérante à lui soumettre par écrit, dans les six mois, leurs observations sur la question et, en particulier, à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;
- c)
réserve la procédure ultérieure et délègue au président de la chambre le soin de la fixer au besoin.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 décembre 2007 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren NIELSEN
Greffier
Loukis LOUCAIDES
Président