EHRM, 19-10-2006, nr. 62094/00
ECLI:NL:XX:2006:AZ8328
- Instantie
Europees Hof voor de Rechten van de Mens
- Datum
19-10-2006
- Magistraten
C.L. Rozakis, L. Loucaides, F. Tulkens, N. Vajic, A. Kovler, V. Zagrebelsky, E. Steiner
- Zaaknummer
62094/00
- LJN
AZ8328
- Vakgebied(en)
Internationaal publiekrecht / Mensenrechten
Internationaal publiekrecht (V)
Strafprocesrecht (V)
- Brondocumenten en formele relaties
ECLI:NL:XX:2006:AZ8328, Uitspraak, Europees Hof voor de Rechten van de Mens, 19‑10‑2006
Uitspraak 19‑10‑2006
C.L. Rozakis, L. Loucaides, F. Tulkens, N. Vajic, A. Kovler, V. Zagrebelsky, E. Steiner
Partij(en)
ARRÊT
STRASBOURG
19 octobre 2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire
Majadallah
c.
Italie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. C.L. ROZAKIS, président,
L. LOUCAIDES,
Mmes F. TULKENS,
N. VAJIC,
MM. A. KOVLER,
V. ZAGREBELSKY,
Mme E. STEINER, juges,
et de M. S. NIELSEN, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 septembre 2006,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
Procédure
1
A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 62094/00) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant marocain, M. Mohamed Majadallah (‘le requérant’), a saisi la Cour le 4 avril 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (‘la Convention’).
2
Le requérant est représenté par Me G. Cardillo, avocat à Florence. Le gouvernement italien (‘le Gouvernement’) est représenté par son agent, M. I. M. Braguglia, et par son coagent, M. F. Crisafulli.
3
Le requérant alléguait en particulier qu'une procédure pénale menée contre lui n'avait pas été équitable, étant donné qu'il n'avait pas eu la possibilité d'interroger ou faire interroger des témoins à charge.
4
La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.
5
Par une décision du 19 mai 2005, la chambre a déclaré la requête recevable.
6
Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement).
7
Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section ainsi remaniée (article 52 § 1).
En fait
I. Les circonstances de l'espèce
8
Le requérant est né en 1954 et réside à Florence.
9
Le 21 août 1995, il fut impliqué dans une bagarre dans un bar à Florence. Blessé, il fut transporté aux urgences de l'hôpital de la même ville. Selon les déclarations recueillies par les policiers qui étaient intervenus sur les lieux, la bagarre aurait été déclenchée sur la terrasse du bar à cause des avances et des attouchements du requérant à la serveuse, qui avaient provoqué l'intervention du videur et entraîné les blessures de ce dernier et du requérant.
10
Le 23 août 1995, le requérant fut interrogé par le juge des investigations préliminaires de Florence pour répondre des délits d'attentat à la pudeur avec violence, actes obscènes en lieu public, lésions corporelles et état d'ébriété.
Le requérant apprit à cette occasion que la serveuse et le videur du bar, X (ressortissante suédoise) et Y (ressortissant coréen), avaient déposé plainte à son encontre en s'adressant aux policiers qui étaient intervenus sur les lieux suite à l'appel du propriétaire du bar.
11
Le 6 novembre 1995, le requérant déposa plainte à l'encontre de X et Y pour agression. Il déclara avoir fait l'objet d'une agression injustifiée de la part de X et Y dès son entrée dans le bar et affirma avoir été transporté à l'hôpital en état d'inconscience. Le requérant affirme n'avoir jamais reçu de nouvelles concernant la suite de sa plainte de la part des autorités compétentes.
12
Le requérant fut renvoyé en jugement devant le tribunal de Florence et l'audience fut fixée au 8 janvier 1998. X et Y, ressortissants étrangers, étaient entre-temps devenus introuvables. Le propriétaire du bar, bien que régulièrement cité à comparaître par le ministère public en tant que témoin à charge, ne se présenta pas à l'audience.
13
Pendant les débats, le tribunal entendit l'un des agents de police qui étaient intervenus sur les lieux. Le policier affirma être arrivé sur les lieux au moment où le requérant, X et Y étaient en train de se quereller verbalement. Par la suite, le requérant, qui, d'après le policier, aurait été conscient et en évident état d'ébriété, fut transporté à l'hôpital, et X et Y exprimèrent leur volonté de déposer plainte à son encontre pour les attouchements et les lésions corporelles subies. Le policier affirma en outre avoir recueilli les déclarations du propriétaire du bar, lequel avait indiqué être sorti du bar et avoir vu le requérant en train de gifler le videur. En revanche, il n'avait pas assisté au déclenchement de la bagarre.
14
Au cours de l'audience, le conseil du requérant renonça à interroger le propriétaire du bar, car il ressortait de la déclaration du policier que celui-ci n'avait pas assisté aux faits. Le ministère public, qui avait dans un premier moment demandé au tribunal d'ordonner le transfert forcé du propriétaire du bar à l'audience en tant que témoin à charge, renonça à son tour à obtenir sa présence.
15
Le tribunal, s'appuyant sur l'article 512 du code de procédure pénale, autorisa la lecture des déclarations faites par X et Y à la police à l'époque des faits. Il affirma que les deux plaignants étaient probablement rentrés chez eux et estima que l'impossibilité d'obtenir leur présence aux débats publics n'était pas prévisible ab initio.
16
Par un jugement du même jour, déposé au greffe le 22 janvier 1998, le tribunal condamna le requérant à un an et quatre mois d'emprisonnement avec sursis. Le tribunal affirma que le témoignage du policier confirmait les déclarations faites par X et Y immédiatement après les faits, déclarations que le tribunal estima crédibles.
17
Le 6 avril 1998, le requérant interjeta appel devant la cour d'appel de Florence. Il contesta la description des faits faite par X et Y et excipa que les déclarations de ceux-ci avaient été rendues au mépris du principe du contradictoire.
18
Par un arrêt du 18 février 1998, la cour d'appel de Florence confirma le jugement de première instance. Elle affirma que les déclarations de X et Y, confirmées par le témoignage du policier ainsi que par les déclarations du propriétaire du bar faites à l'époque des faits étaient crédibles et constituaient la preuve de la responsabilité du requérant. La cour d'appel fit valoir par ailleurs que le requérant avait renoncé à interroger le propriétaire du bar.
19
Le 26 mars 1999, le requérant se pourvut en cassation. Il contesta le fait de ne pas avoir eu la possibilité d'interroger ses deux accusateurs et ajouta que le juge pour les investigations préliminaires aurait dû prévoir la disparition de X et Y et les entendre au cours d'une audience ad hoc avec les représentants des parties (‘incidente probatorio’).
20
Par un arrêt du 10 décembre 1999, la Cour de cassation débouta le requérant de son pourvoi. Elle affirma que les juges de première et deuxième instances avaient appuyé la condamnation du requérant sur des déclarations autres que celles de X et Y, à savoir celles rendues par l'agent de police et par le propriétaire du bar.
II. Le droit interne pertinent
21
Tel qu'en vigueur à l'époque des faits, l'article 512 du code de procédure pénale disposait notamment :
‘Le juge, à la demande de l'une des parties, ordonne de donner lecture des actes accomplis par la police [et] par le représentant du parquet (…) lorsque, à cause de faits ou circonstances imprévisibles, [ces actes] ne peuvent plus être répétés.’
Par leur lecture, les déclarations et les actes indiqués aux articles 512 du code de procédure pénale sont acquis au dossier du juge et peuvent être utilisés pour décider du bien-fondé de l'accusation.
22
En 1999, le Parlement a décidé d'insérer le principe du procès équitable dans la Constitution elle-même (voir la loi constitutionnelle no 2 du 23 novembre 1999). L'article 111 de la Constitution, dans sa nouvelle formulation et dans ses parties pertinentes, se lit ainsi :
‘(…) Dans le cadre du procès pénal, la loi garantit que la personne accusée d'une infraction (…) a la faculté, devant le juge, d'interroger ou de faire interroger toute personne formulant des déclarations à charge (…). La culpabilité de l'accusé ne peut pas être prouvée sur la base de déclarations faites par une personne qui s'est toujours librement et volontairement soustraite à une audition par l'accusé ou son défenseur. La loi réglemente les cas où un examen contradictoire des moyens de preuve n'a pas lieu, avec le consentement de l'accusé ou en raison d'une impossibilité objective dûment prouvée ou encore en raison d'un comportement illicite dûment prouvé.’
23
Selon l'article 195 § 4 du code de procédure pénale, les agents de police judiciaire ne peuvent pas témoigner sur le contenu des témoignages recueillis pendant les investigations préliminaires.
En droit
II. Sur l'exception du gouvernement
24
Dans ses observations complémentaires, le Gouvernement réitère que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes. Il fait valoir que l'intéressé a omis de se prévaloir des possibilités offertes par le droit interne afin d'être confronté à ses accusateurs pendant les investigations préliminaires ou d'obtenir leur convocation aux débats.
25
Le requérant demande le rejet de l'exception.
26
Dans la décision sur la recevabilité du 19 mai 2005, la Cour avait rejeté l'exception de non épuisement soulevée par le Gouvernement affirmant qu'il n'appartient pas aux accusés de s'engager dans la recherche des témoins à charge et soulignant que le comportement du requérant devant les juridictions nationales a démontré sa volonté de revendiquer le droit que lui reconnaît l'article 6 § 3d) de la Convention.
27
La Cour considère que le Gouvernement fonde son exception sur des arguments qui ne sont pas de nature à remettre en cause sa décision sur la recevabilité. Par conséquent, l'exception doit être rejetée.
II. Sur la violation alléguée de l'article 6 de la Convention
28
Le requérant considère que la procédure pénale menée à son encontre n'a pas été équitable. Il invoque l'article 6 §§ 1 et 3 de la Convention, qui, dans ses parties pertinentes, se lit comme suit:
‘Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal (…) qui décidera (…) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.
(…)
3. Tout accusé a droit notamment à :
(…)
- d)
interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
(…).’
A. Arguments des parties
1. Le requérant
29
Le requérant soutient que sa condamnation a été basée exclusivement sur les déclarations de X et Y, deux témoins devenus introuvables, dont la disparition était tout à fait prévisible et que les autorités n'ont pas tenté de localiser de façon adéquate. Il affirme que les autres éléments à charge ne sauraient être considérés comme étant suffisants pour établir sa culpabilité.
30
Le requérant considère en outre que l'audition du propriétaire du bar, initialement convoqué par le ministère public en tant que témoin à charge, n'aurait pas été de nature à établir son innocence.
2. Le Gouvernement
31
Le Gouvernement soutient que le droit, garanti par la Convention, d'interroger ou faire interroger les témoins à charge pendant les débats n'est pas absolu, et observe que les juridictions nationales peuvent y déroger pour privilégier des intérêts supérieurs. Empêcher en toute circonstance le juge d'utiliser des éléments de preuve recueillis pendant l'instruction constituerait une entrave disproportionnée à la protection de l'ordre et de la légalité, fonction primaire du pouvoir judiciaire.
32
Le Gouvernement affirme que les autorités judiciaires italiennes ont dû faire face à une situation objective, la disparition imprévisible des deux victimes, et qu'elles ont été amenées à utiliser les déclarations litigieuses dans l'intérêt supérieur de l'exercice de l'action pénale.
Il ajoute que l'article 512 du CPP garantit un juste équilibre entre la protection des droits de la défense et l'exigence d'efficacité de la lutte contre la criminalité.
33
En l'espèce, le requérant, qui a été dûment informé du contenu des déclarations faites à la police, a eu la possibilité de répondre pendant les débats aux arguments de X et Y et de contester ainsi la version des faits de ceux-ci.
34
Enfin, le Gouvernement souligne que la condamnation du requérant ne s'est pas basée exclusivement sur les déclarations de X et Y, mais reposait sur d'autres éléments, notamment les déclarations du policier qui était intervenu sur les lieux après les faits et qui avait recueilli les témoignages des deux victimes. De plus, le requérant renonça à obtenir la convocation du propriétaire du bar, dont le témoignage aurait pu fournir des éléments utiles pour la défense.
B. L'appréciation de la Cour
35
Etant donné que les exigences du paragraphe 3 représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 de l'article 6, la Cour examinera les doléances du requérant sous l'angle de ces deux textes combinés (voir, parmi beaucoup d'autres, Van Geyseghem c. Belgique[GC], no 26103/95, CEDH 1999-I, § 27).
36
La Cour rappelle qu'elle n'est pas compétente pour se prononcer sur le point de savoir si des dépositions de témoins ont été à bon droit admises comme preuves ou encore sur la culpabilité du requérant (Lucà c. Italie, no 33354/96, § 38, CEDH 2001-II, et Khan c. Royaume-Uni, no 35394/97, § 34, CEDH 2000-V). La mission confiée à la Cour par la Convention consiste uniquement à rechercher si la procédure considérée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable et si les droits de la défense ont été respectés (De Lorenzo c. Italie(déc.), no 69264/01, 12 février 2004).
37
Les éléments de preuve doivent en principe être produits devant l'accusé en audience publique, en vue d'un débat contradictoire. Ce principe ne va pas sans exceptions, mais on ne peut les accepter que sous réserve des droits de la défense ; en règle générale, les paragraphes 1 et 3 d) de l'article 6 commandent d'accorder à l'accusé une occasion adéquate et suffisante de contester un témoignage à charge et d'en interroger l'auteur, au moment de la déposition ou plus tard (Lüdi c. Suisse, arrêt du 15 juin 1992, série A no 238, p. 21, § 49, et Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, arrêt du 23 avril 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-III, p. 711, § 51).
38
A cet égard, comme la Cour l'a précisé à plusieurs reprises (voir, entre autres, Isgrò c. Italie, arrêt du 19 février 1991, série A no 194-A, p. 12, § 34, et Lüdi précité, p. 21, § 47), dans certaines circonstances il peut s'avérer nécessaire, pour les autorités judiciaires, d'avoir recours à des dépositions remontant à la phase de l'instruction préparatoire. Si l'accusé a eu une occasion adéquate et suffisante de contester pareilles dépositions, au moment où elles sont faites ou plus tard, leur utilisation ne se heurte pas en soi à l'article 6 §§ 1 et 3 d). Toutefois, les droits de la défense sont restreints de manière incompatible avec les garanties de l'article 6 lorsqu'une condamnation se fonde, uniquement ou dans une mesure déterminante, sur des dépositions faites par une personne que l'accusé n'a pu interroger ou faire interroger ni au stade de l'instruction ni pendant les débats (Lucà précité, § 40, A.M. c. Italie, no 37019/97, § 25, CEDH 1999-IX, et Saïdi c. France, arrêt du 20 septembre 1993, série A no261-C, pp. 56–57, §§ 43–44).
39
En l'espèce, le requérant a été condamné pour les délits d'attentat à la pudeur avec violence sur X, lésions corporelles contre Y, actes obscènes en lieu public et état d'ébriété. Ses accusateurs, X et Y, ne se présentèrent pas aux débats et les témoignages qu'ils avaient rendus à la police au moment des faits furent lus et utilisés conformément à l'article 512 du CPP pour décider du bien fondé des chefs d'accusation.
Par conséquent, la défense n'a pas eu la possibilité de poser des questions aux personnes qui accusaient le requérant.
40
La Cour relève que la possibilité d'utiliser pour la décision sur le bien-fondé des accusations des déclarations prononcées avant les débats par des témoins devenus introuvables était prévue par le droit interne de l'Etat défendeur, tel qu'en vigueur à l'époque des faits, à savoir par l'article 512 du CPP (voir paragraphes 21 ci-dessus). Cependant, cette circonstance ne saurait priver l'inculpé du droit, que l'article 6 § 3d) lui reconnaît, d'examiner ou de faire examiner de manière contradictoire tout élément de preuve substantiel à charge (Craxi c. Italie, no 34896/97, § 87, 5 décembre 2002).
41
La Cour relève que les juridictions nationales ont appuyé la condamnation du requérant, outre que sur les déclarations litigieuses, sur les témoignages du policier et du propriétaire du bar. Cependant, force est de constater que pendant les débats, seul le policier étant intervenu sur les lieux et ayant recueilli les déclarations de X et Y au moment des faits a été entendu. Or, ce dernier n'ayant pas été témoin direct des faits reprochés au requérant, il n'a pu que relater les déclarations faites par les deux victimes présumées.
Quant au propriétaire du bar, la Cour constate que la défense n'a pas eu la possibilité de lui poser des questions pendant les débats, faute de s'être présenté à l'audience.
42
Dans ces conditions, on ne saurait conclure que les déclarations de X et Y aient été corroborées par d'autres preuves à charge produites au cours de débats publics et contradictoires (voir, a contrario, Sofri et autres c. Italie (déc.), no37235/97, CEDH 2003-VIII). Au contraire, la Cour estime que les juges nationaux ont fondé la condamnation du requérant, notamment par rapport aux délits d'attentat à la pudeur, lésions corporelles et actes obscènes en lieu public, exclusivement sur les déclarations faites à la police par les deux accusateurs (voir, mutatis mutandis, Jerinò c. Italie(déc.), no27549/02, 7 juin 2005 et Bracci c. Italie, no 36822/02, 13 octobre 2005, §§ 57 et 58 et, a contrario, Carta c. Italie, no 4548/02, 20 avril 2006, § 52).
43
Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que le requérant n'a pas bénéficié d'un procès équitable ; dès lors il y a eu violation de l'article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.
III. Sur l'application de l'article 41 de la Convention
44
Aux termes de l'article 41 de la Convention,
‘Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable.’
A. Dommage
45
Le requérant affirme avoir subi des pertes matérielles certaines du fait du déroulement de son procès et de sa condamnation. Il allègue avoir perdu son travail pour pouvoir faire face aux obligations liées à son procès et demande la somme de 4 000 EUR.
Le requérant allègue également d'avoir subi un préjudice moral important pour avoir été condamné injustement pour des infractions infamantes. Il sollicite à ce titre la somme de 120 000 EUR.
46
Le Gouvernement affirme que le requérant n'a pas démontré le lien de causalité entre la violation alléguée et les pertes économiques subies. En outre, il estime que le simple constat de violation fournirait en soi une satisfaction équitable suffisante.
47
En l'espèce, la Cour ne décèle aucun lien direct de causalité entre la violation constatée dans le présent arrêt et les dommages demandés par le requérant. En effet, elle ne saurait spéculer sur le résultat auquel la procédure litigieuse aurait abouti si l'infraction à la Convention n'avait pas eu lieu (Lucà, précité, § 48).
48
Pour le surplus, la Cour estime que le constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante (Craxi c. Italie, no 34896/97, § 112, 5 décembre 2005).
49
Lorsque la Cour conclut que la condamnation d'un requérant a été prononcée au terme d'une procédure qui n'était pas équitable, elle estime qu'en principe le redressement le plus approprié serait de faire rejuger l'intéressé en temps utile et dans le respect des exigences de l'article 6 (voir, mutatis mutandis, Somogyi c. Italie, no 67972/01, § 86, 18 mai 2004, et Gençel c. Turquie, no53431/99, § 27, 23 octobre 2003).
B. Frais et dépens
50
Le requérant réclame 5 698 EUR pour les frais et dépens exposés au niveau interne, dont 1 309 EUR pour la procédure devant le tribunal, 1 287 EUR pour la procédure devant la cour d'appel et 3 102 EUR pour la procédure en cassation. Quant à la procédure devant la Cour, les coûts y afférents s'élèveraient à 4 301 EUR.
51
Le Gouvernement soutient que les frais relatifs à la procédure interne ont été provoqués par la procédure pénale en elle-même, et n'ont aucun rapport avec la violation de l'article 6 de la Convention. Quant aux coûts de la procédure de Strasbourg, le Gouvernement s'en remet a la sagesse de la Cour.
52
Selon la jurisprudence constante de la Cour, l'allocation des frais et dépens exposés par le requérant ne peut intervenir que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir, parmi beaucoup d'autres, Belziuk c. Pologne, arrêt du 25 mars 1998, Recueil 1998-II, p. 573, § 49, et Sardinas Albo c. Italie, no 56271/00, § 110, 17 février 2005).
53
La Cour observe qu'au cours de la procédure nationale le requérant a à plusieurs reprises invoqué son droit d'interroger les témoins à charge. Elle estime de ce fait que les frais encourus devant les juridictions internes ont été en partie exposés pour remédier à la violation constatée et doivent être remboursés (voir, a contrario, l'arrêt Serre c. France, no 29718/96, § 29, 29 septembre 1999, non publié). Il convient donc de lui allouer 3 000 EUR à ce titre. Par ailleurs, la Cour estime raisonnable de lui accorder la somme réclamée pour la procédure devant la Cour. Par conséquent, la Cour, statuant en équité, décide d'octroyer au requérant la somme de 7 300 EUR.
C. Intérêts moratoires
54
La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
- 1.
Rejette l'exception du Gouvernement ;
- 2.
Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention ;
- 3.
Dit que le constat d'une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage subi par le requérant ;
- 4.
Dit
- a)
que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 7 300 EUR (sept mille trois cent euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
- b)
qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage;
- 5.
Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 octobre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren NIELSEN
Greffier
Christos ROZAKIS
Président