EHRM, 16-01-2007, nr. 17070/05
ECLI:CE:ECHR:2007:0116JUD001707005
- Instantie
Europees Hof voor de Rechten van de Mens
- Datum
16-01-2007
- Magistraten
A.B. Baka, J.-P. Costa, I. Cabral Barreto, A. Mularoni, E. Fura-Sandström, D. Jočienė, D. Popović
- Zaaknummer
17070/05
- LJN
AZ5971
- Vakgebied(en)
Internationaal publiekrecht / Mensenrechten
Internationaal publiekrecht (V)
Strafprocesrecht (V)
- Brondocumenten en formele relaties
ECLI:CE:ECHR:2007:0116JUD001707005, Uitspraak, Europees Hof voor de Rechten van de Mens, 16‑01‑2007
Uitspraak 16‑01‑2007
A.B. Baka, J.-P. Costa, I. Cabral Barreto, A. Mularoni, E. Fura-Sandström, D. Jočienė, D. Popović
Partij(en)
ARRÊT
STRASBOURG
16 janvier 2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire
Farhi
c.
France,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de:
MM. A.B. BAKA, président,
J.-P. COSTA,
I. CABRAL BARRETO,
Mmes A. MULARONI,
E. FURA-SANDSTRöM,
D. JOČIENĖ,
M. D. POPOVIĆ, juges,
et de Mme S. DOLLÉ, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 décembre 2006,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date:
Procédure
1
A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 17070/05) dirigée contre la République française par un ressortissant marocain, M. Redouane Farhi (‘le requérant’), lequel a saisi la Cour le 6 mai 2005 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (‘la Convention’).
2
Le requérant est représenté par Me H. Leclerc, avocat à Paris. Le gouvernement français (‘le Gouvernement’) est représenté par son agent, Mme Edwige Belliard, directrice de la direction des Affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères.
3
Le 30 mars 2006, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.
En fait
I. Les circonstances de l'espèce
4
Le requérant, né en 1968, se trouve actuellement incarcéré à la maison d'arrêt de Fresnes.
5
Par ordonnance du 5 avril 2002, un juge d'instruction du tribunal de grande instance de Versailles renvoya le requérant devant la cour d'assises des Yvelines des chefs de viol en récidive légale, entrée non autorisée sur le territoire national malgré expulsion et entrée ou séjour irrégulier d'un étranger en France.
6
Le 23 avril 2003, la cour d'assises des Yvelines le déclara coupable des faits qui lui étaient reprochés et le condamna à douze années de réclusion criminelle. Le même jour, la cour d'assises se prononça sur les intérêts civils et octroya à la victime, constituée partie civile, la somme de 15 000 euros (EUR) à titre de dommages et intérêts. Le ministère public était représenté par B.
7
Le requérant et le ministère public interjetèrent appel de cette décision.
8
Le 23 juillet 2003, la chambre criminelle de la Cour de cassation désigna la cour d'assises des Hauts-de-Seine pour statuer en appel. Le ministère public était à nouveau représenté par B.
9
Le procès devant la cour d'assises se déroula les 1er et 2 juin 2004.
10
Le 2 juin 2004, l'audience fut suspendue une première fois entre treize heures quinze et quatorze heures quinze. A la reprise de l'audience, le président de la cour d'assises fit présenter aux parties, aux jurés et aux assesseurs, l'album photographique contenu dans le dossier de la procédure, puis formula les questions auxquelles la cour et le jury auraient à répondre. Le conseil de l'accusé s'opposa à la rédaction proposée. Le président donna la parole à la partie civile, à l'avocat général, à la défense et à l'accusé, puis la cour se retira seule pour délibérer. L'audience reprit à quatorze heures quarante. Le conseil du requérant déposa alors des conclusions demandant qu'il lui soit donné acte d'une communication illicite, au sens de l'article 304 du code de procédure pénale, entre certains jurés et l'avocat général au cours de la suspension d'audience pendant laquelle la cour s'était retirée pour délibérer, laissant les jurés dans la salle d'audience. Le président donna la parole aux avocats du requérant et de la partie civile, à l'avocat général puis à l'accusé. La cour, composée en l'occurrence des seuls président et assesseurs, se retira ensuite pour délibérer et rendit l'arrêt suivant:
‘La Cour, après avoir délibéré sans l'assistance du jury,
Vu les conclusions déposées par Maître G., avocat de Redouane Farhi;
Vu les articles 315 et 316 du code de procédure pénale;
Considérant que les magistrats composant la cour n'ayant pas été en mesure de constater personnellement des faits qui se seraient produits hors de leur présence, la Cour ne peut en donner acte;
Qu'en outre les éléments contradictoirement débattus n'ont pas révélé de violation des dispositions de l'article 304 du code de procédure pénale.’
11
Par arrêt du 2 juin 2004, la cour d'assises d'appel condamna le requérant à une peine de quinze années de réclusion criminelle et ordonna une mesure de suivi socio-judiciaire d'une durée de huit ans, avec injonction de soins et interdiction de fréquenter la victime, ainsi que la mère et le frère de celle-ci. Se prononçant sur les intérêts civils, elle condamna le requérant à payer à la victime les sommes de 15 000 EUR au titre du préjudice subi avant le 23 avril 2003 et de 4 000 EUR pour le préjudice subi postérieurement à cette date.
12
Dans le cadre de son pourvoi en cassation, le requérant invoqua l'article 6 § 1 de la Convention, affirmant que celui-ci impliquait ‘pour toute juridiction nationale, l'obligation de vérifier si, par sa composition, elle constitue un ‘tribunal impartial’ au sens de cette disposition lorsque surgit sur ce point une contestation qui n'apparaît pas d'emblée dépourvue de sérieux’ et ‘qu'en refusant de donner acte à la défense de ce qu'au cours d'une suspension d'audience, certains jurés étaient entrés en communication avec l'avocat général sans ordonner d'enquête pour vérifier le fait ainsi dénoncé et, le cas échéant, en donner ensuite acte à la défense’, la cour d'assises avait violé les dispositions de cet article.
13
Le 16 février 2005, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant. Elle statua notamment comme suit:
‘Attendu qu'il résulte du procès-verbal des débats que l'avocat de l'accusé a déposé des conclusions demandant qu'il soit donné acte d'une communication illicite, au sens de l'article 304 du Code de procédure pénale, entre certains jurés et l'avocat général au cours d'une suspension d'audience;
Attendu que la Cour a rejeté cette demande aux motifs qu'elle n'était pas en mesure de donner acte de faits qui se seraient passés hors de sa présence et les éléments contradictoirement débattus n'avaient pas révélé de violation des dispositions de l'article 304 précité ;
Attendu qu'en cet état, le grief n'est pas encouru;
Que, d'une part, les magistrats composant la Cour n'étaient pas en mesure de constater personnellement des faits qui se seraient produits hors de leur présence;
Que, d'autre part, en constatant que les éléments contradictoirement débattus devant elle n'avaient pas révélé de violation des dispositions de l'article 304 du Code de procédure pénale, la Cour a usé de son pouvoir souverain d'appréciation sans méconnaître les textes légaux et conventionnel invoqués;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ; (…)’
II. Le droit et la pratique internes pertinents
A. Le jury d'assises
14
Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale se lisent comme suit:
Article 296
‘Le jury de jugement est composé de neuf jurés lorsque la cour d'assises statue en premier ressort et de douze jurés lorsqu'elle statue en appel.
La cour doit, par arrêt, ordonner, avant le tirage de la liste des jurés, qu'indépendamment des jurés de jugement, il soit tiré au sort un ou plusieurs jurés supplémentaires qui assistent aux débats.
Dans le cas où l'un ou plusieurs des jurés de jugement seraient empêchés de suivre les débats jusqu'au prononcé de l'arrêt de la cour d'assises, ils sont remplacés par les jurés supplémentaires.
Le remplacement se fait suivant l'ordre dans lequel les jurés supplémentaires ont été appelés par le sort.’
Article 304
‘Le président adresse aux jurés, debout et découverts, le discours suivant: ‘Vous jurez et promettez d'examiner avec l'attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre X, de ne trahir ni les intérêts de l'accusé, ni ceux de la société qui l'accuse, ni ceux de la victime; de ne communiquer avec personne jusqu'après votre déclaration; de n'écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l'affection; de vous rappeler que l'accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter; de vous décider d'après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l'impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre, et de conserver le secret des délibérations, même après la cessation de vos fonctions.’
Chacun des jurés, appelé individuellement par le président, répond en levant la main: ‘Je le jure’.’
B. Incidents contentieux au cours des débats et donné-acte
15
Lorsqu'un fait de nature à porter atteinte aux droits de l'une des parties intervient au cours des débats, celle-ci peut demander à la cour d'assises — composée en l'occurrence des seuls président et assesseurs — d'en ‘donner acte’. C'est le seul moyen dont elle dispose pour le faire constater. La Cour de cassation ne peut statuer sur des griefs invoqués mais dont il n'a pas été demandé acte à la cour d'assises et qui ne sont pas constatés sur le procès-verbal des débats (Cour de cassation, chambre criminelle, 23 décembre 1899, Bull. crim. no 380; 24 juillet 1913, Bull. crim. no 365 ; 12 mai 1921, Bull. crim. no 211 ; 31 janvier 1946, Bull. crim. no 40; 5 mai 1955, Bull. crim. no 28; 21 novembre 1973, Bull. crim. no 427; 22 avril 1977, Dalloz-Sirey 1978, p. 28).
16
La cour d'assises peut refuser de donner acte de faits qui se seraient passés en dehors de l'audience. Elle apprécie en outre souverainement s'il y a lieu d'ordonner une enquête pour vérifier leur exactitude (Cour de cassation, 16 mars 1901, Bull. crim. no 85; 16 janvier 1903, Bull. crim. no 23; 5 août 1909, Bull. crim. no 422; 8 février 1977, Bull. crim. no 48). Dans un arrêt du 14 janvier 1988, la Cour de cassation a cependant affirmé que les énonciations de l'arrêt attaqué devaient la mettre en mesure d'apprécier si la communication dénoncée était de nature à influencer l'opinion des jurés (Cass. Crim., 14 janvier 1988, Dalloz-Sirey 1988, p. 206).
En droit
I. Sur la violation alléguée de l'article 6 § 1 de la Convention en raison de l'impartialité de la Cour d'assises d'appel
17
Le requérant allègue que son droit d'être jugé par un tribunal impartial a été violé. Il invoque l'article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit:
‘Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (…) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.’
18
Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
19
La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
20
Le Gouvernement affirme en premier lieu que les faits dénoncés par le conseil du requérant n'étaient pas de nature à remettre en cause l'impartialité de la cour d'assises. Il souligne en effet, outre la brièveté de la suspension d'audience, qui n'a, selon lui, pas duré plus de cinq minutes, que l'avocat n'a fourni aucune précision quant à l'identité des jurés s'étant entretenus avec le ministère public et sur la teneur des propos qui furent échangés. La demande de donné acte était donc à son sens trop imprécise puisqu'elle ne permettait ni de constater l'empêchement et de décider du remplacement des jurés mis en cause, ni de vérifier si la communication litigieuse était de nature à faire naître un doute légitime quant à l'impartialité de la cour d'assises. Il note à cet égard que, dans les affaires où la Cour a précédemment eu l'occasion de se prononcer sur l'impartialité d'un tribunal, les propos tenus révélaient un préjugé à l'égard du requérant (cf. Remli c. France, arrêt du 23 avril 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-II; Gregory c. Royaume-Uni, arrêt du 25 février 1997, Recueil 1997-I; Sander c. Royaume-Uni, arrêt du 9 mai 2000, Recueil 2000-V). S'il admet, par ailleurs, que le droit français impose aux jurés une obligation, qui figure dans leur serment, de ne pas s'entretenir de l'affaire qui leur est soumise avant la délibération, il estime que cette obligation se limite aux faits de l'affaire qu'ils ont à juger et à la condition que cette conversation ait pu avoir une incidence sur leur appréciation.
21
Le Gouvernement soutient, en second lieu, que la cour d'assises s'est assurée que les faits dénoncés n'étaient pas de nature à remettre en cause l'impartialité de la cour d'assises. Il relève, à cet égard, qu'alors que dans l'affaire Remli c. France (précitée), où la Cour avait conclu à la violation de l'article 6 § 1, la cour d'assises s'était contentée de justifier sa décision par la circonstance qu'elle n'avait pas, elle-même, constaté la communication alléguée, tel ne fut pas le cas en l'espèce, puisqu'il fut procédé à une enquête sous la forme d'un débat contradictoire et que le président de la juridiction et ses deux assesseurs se sont expressément fondés sur les résultats de cette enquête pour considérer qu'aucune violation de l'article 304 du code de procédure pénale n'était établie.
22
Le requérant estime quant à lui que l'article 304 du code de procédure pénale impose aux jurés ‘de ne communiquer avec personne jusqu'après [leur] déclaration’. S'il admet que cette prohibition concerne les seules communications relatives aux faits dont les jurés sont saisis, il considère que lorsqu'une telle communication a pu avoir lieu, il convient de s'assurer de son contenu pour décider si celle-ci rentrait dans le cadre de cette interdiction. Par ailleurs, la nature de la fonction de l'avocat général, lequel dirige l'accusation, ne peut, à son sens, que laisser peser un soupçon sur l'impartialité des jurés, lorsque ce magistrat s'est entretenu avec les jurés en dehors de la présence de l'accusé ou de son conseil. Il estime qu'une enquête simple aurait suffi à établir de façon certaine la réalité de cette conversation et le nom des jurés y ayant participé. Le fait d'avoir procédé à un débat contradictoire entre les parties ne saurait, selon lui, suffire à déterminer si les faits allégués étaient de nature à jeter un doute sur l'impartialité des jurés. Il relève à cet égard que le fait de recueillir l'avis personnel des parties ne permettait pas d'établir la réalité et le contenu de la conversation et que l'arrêt ne précisait pas si l'avocat général et les jurés avaient admis l'existence de cette conversation. Il estime en outre que l'imprécision des faits dénoncés est un élément totalement étranger à l'obligation qu'avait la cour d'assises de s'assurer que la communication n'était pas de nature à faire naître ce doute. Il en veut pour preuve, la position de la Cour dans l'affaire Remli (précitée), qui avait considéré qu'il ne lui appartenait pas de se prononcer sur la valeur probante d'une déclaration écrite venant attester de la réalité des propos racistes imputés à l'un des jurés.
23
La Cour note d'emblée l'importance fondamentale qu'il y a à ce que les tribunaux d'une société démocratique inspirent confiance aux justiciables, à commencer, au pénal, par les prévenus (Padovani c. Italie, arrêt du 26 février 1993, série A no 257-B, p. 20, § 27). A cet effet, elle a souligné à maintes reprises qu'un tribunal, y compris un jury, doit être impartial, tant du point de vue subjectif que du point de vue objectif (voir, parmi beaucoup d'autres, Pullar c. Royaume-Uni, arrêt du 10 juin 1996, Recueil 1996-III, p. 792, § 30).
24
Pour se prononcer sur l'existence d'une raison légitime de redouter dans le chef d'une juridiction un défaut d'indépendance ou d'impartialité, le point de vue de l'accusé entre en ligne de compte, mais sans pour autant jouer un rôle décisif. L'élément déterminant consiste à savoir si les appréhensions de l'intéressé peuvent passer pour objectivement justifiées (Remli, précité, § 46; Findlay c. Royaume-Uni, arrêt du 25 février 1997, Recueil 1997-I, § 73; Incal c. Turquie, arrêt du 9 juin 1998, Recueil 1998-IV, § 71; Grieves c. Royaume-Uni [GC], no 57067/00, § 69, CEDH 2003-XII).
25
La Cour rappelle que dans l'affaire Remli (précitée) elle a précisé que l'article 6 § 1 de la Convention impliquait pour toute juridiction nationale l'obligation de vérifier si, par sa composition, elle constitue ‘un tribunal impartial’ au sens de cette disposition lorsque surgit sur ce point une contestation qui n'apparaît pas d'emblée manifestement dépourvue de sérieux.
26
S'agissant de la fonction exercée par le représentant du ministère public au cours d'un procès pénal, la Cour estime que, s'il est vrai que la partie civile et le ministère public ne sont pas des ‘adversaires’ (voir notamment Berger c. France, no 48221/99, § 38, 3 décembre 2002, CEDH 2002-X), il n'en va pas de même pour le prévenu et le ministère public, qui ont des intérêts à la fois distincts et opposés.
27
La Cour constate qu'en l'espèce le conseil du requérant a demandé qu'on lui donne acte d'une communication selon lui illicite entre le représentant du ministère public et certains membres du jury. La Cour est d'avis qu'une telle allégation apparaît, en raison de la fonction de représentation de l'accusation remplie par l'avocat général au cours d'un procès criminel, suffisamment grave pour qu'une enquête propre à vérifier la survenance du fait litigieux soit diligentée par le président de la cour d'assises. En outre, elle observe que, selon le droit interne (article 304 du code de procédure pénale, voir § 14 ci-dessus), les jurés ne doivent en effet communiquer avec quiconque lors du procès.
28
La Cour relève à cet égard que, contrairement à l'affaire Remli où la cour d'assises s'était contentée de rejeter la demande de donné acte, au motif que les faits dénoncés se seraient passés hors de sa présence, le président de la cour d'assises a décidé en l'espèce d'organiser un débat contradictoire au sujet de l'incident. A cette occasion, le président et ses assesseurs ont entendu les avocats du requérant et de la partie civile, l'avocat général puis l'accusé. Pour autant, le Gouvernement n'établit pas en quoi ce débat aurait permis de déterminer le contenu de la communication ni l'identité des jurés concernés. Or, il appartenait à la juridiction interne d'employer l'ensemble des moyens à sa disposition afin de lever les doutes quant à la réalité et à la nature des faits allégués.
29
La Cour estime, en particulier, que seule une audition des jurés aurait été à même de faire la lumière sur la nature des propos échangés et sur l'influence que ceux-ci pouvaient avoir eu, le cas échéant, sur leur opinion.
30
En outre, la rédaction de l'arrêt incident de la cour d'assises ne permettait ni à la Cour de cassation, ni, a fortiori, à la Cour de céans, de déterminer l'efficacité de la vérification opérée par la cour d'assises et, partant, de se prononcer sur la violation éventuelle de la disposition conventionnelle invoquée. La décision se bornait en effet à constater la tenue d'un débat contradictoire et l'absence de violation des dispositions de l'article 304 du code de procédure pénale sans fournir aucune précision sur les éléments probatoires ayant pu être obtenus à l'issue de ce débat.
31
Dès lors, la Cour estime que la vérification opérée en l'espèce ne peut être considérée comme effective, puisqu'elle a privé le requérant de la possibilité d'invoquer son grief de manière efficace devant la Cour de cassation.
32
Cette constatation suffit à la Cour pour conclure à la violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
II. Sur les autres violations alléguées
33
Le requérant se plaint également de ce que le représentant du ministère public ait requis contre lui à la fois en première instance et devant la cour d'assises d'appel, de l'enquête diligentée par le juge d'instruction et de ce que seuls les témoins à charge aient été convoqués et entendus aux audiences des cours d'assises. Il invoque l'article 6 § 1 de la Convention.
34
La Cour rappelle qu'elle ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes. Cette règle n'exige pas seulement la saisine des juridictions nationales compétentes; elle oblige aussi, en principe, à soulever devant ces mêmes juridictions, au moins en substance et dans les formes et délais prescrits par le droit interne, les griefs que l'on entend formuler par la suite au niveau international (voir, parmi beaucoup d'autres, Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 37, CEDH 1999-I). La finalité de la règle relative à l'épuisement des voies de recours internes est de permettre aux autorités nationales (notamment les autorités judiciaires) d'examiner le grief concernant la violation d'un droit protégé par la Convention et, le cas échéant, de redresser cette violation avant que la Cour n'en soit saisie (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000-XI, ou encore Azinas c. Chypre [GC], no 56679/00, § 38, CEDH 2004-III).
35
La Cour observe qu'en l'espèce seul le grief tiré de la communication survenue entre le ministère public et certains membres du jury a été soulevé devant la Cour de cassation. Les autres griefs tirés de l'article 6 § 1 n'ont été invoqués, ni expressément ni en substance, devant cette juridiction. Elle estime, par conséquent, qu'ils doivent être rejetés pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
III. Sur l'application de l'article 41 de la Convention
36
Aux termes de l'article 41 de la Convention,
‘Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable.’
37
Le requérant réclame 10 000 EUR au titre du préjudice moral qu'il aurait subi.
38
Le Gouvernement estime quant à lui qu'un constat de violation constituerait, en l'espèce et au vu de la jurisprudence Remli (précitée), une satisfaction équitable suffisante.
39
La Cour estime le dommage moral suffisamment réparé par le constat de violation de l'article 6 § 1 auquel elle parvient.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
- 1.
Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l'article 6 § 1 de la Convention s'agissant du défaut d'impartialité de la cour d'assises d'appel et irrecevable pour le surplus;
- 2.
Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention;
- 3.
Dit que le constat de violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant du fait de cette présence;
- 4.
Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 janvier 2007 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. DOLLÉ
Greffière
A.B. BAKA
Président