EHRM, 05-12-2006, nr. 74552/01
ECLI:NL:XX:2006:BA1559
- Instantie
Europees Hof voor de Rechten van de Mens
- Datum
05-12-2006
- Magistraten
J.-P. Costa, A.B. Baka, R. Türmen, M. Ugrekhelidze, E. Fura-Sandström, D. Jociene, M.D. Popovic
- Zaaknummer
74552/01
- LJN
BA1559
- Vakgebied(en)
Internationaal publiekrecht / Mensenrechten
Internationaal publiekrecht (V)
Staatsrecht (V)
Strafprocesrecht (V)
- Brondocumenten en formele relaties
ECLI:NL:XX:2006:BA1559, Uitspraak, Europees Hof voor de Rechten van de Mens, 05‑12‑2006
Uitspraak 05‑12‑2006
J.-P. Costa, A.B. Baka, R. Türmen, M. Ugrekhelidze, E. Fura-Sandström, D. Jociene, M.D. Popovic
Partij(en)
ARRÊT
STRASBOURG
5 décembre 2006
DÉFINITIF
05/03/2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire
Oya Ataman
c.
Turquie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. COSTA, président,
A.B. BAKA,
R. TÜRMEN,
M. UGREKHELIDZE,
Mmes E. FURA-SANDSTRÖM,
D. JOCIENE,
M.D. POPOVIC, juges,
et de M. S. NAISMITH, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 novembre 2006,
Rend l'arrêt que voici, adoptéà cette date :
Procédure
1
A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 74552/01) dirigée contre la République de Turquie et dont une ressortissante de cet État, Mme Oya Ataman (‘la requérante’), a saisi la Cour le 15 mars 2001 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (‘la Convention’).
2
La requérante est représentée par MeG. Şan, avocat à Istanbul. Le gouvernement turc (‘le Gouvernement’) n'a pas désigné d'agent aux fins de la procédure devant la Cour.
3
Le 8 mars 2005, la Cour a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer les griefs tirés des articles 3 et 11 de la Convention au Gouvernement. Se prévalant de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.
En fait
I. Les circonstances de l'espèce
4
La requérante est née en 1970 et réside à Istanbul.
5
Le 22 avril 2000, la requérante, avocate et membre du conseil administratif de l'Association des Droits de l'Homme, organisa une manifestation dans le square du parc Sultanahmet à Istanbul, sous forme d'un défilé suivi d'une déclaration à la presse, afin de protester contre le projet de prisons de type F.
6
Vers midi, un groupe de 40 à 50 personnes brandissant des pancartes et des écriteaux se rassembla sur la place sous la direction de la requérante et d'Eren Keskin, avocate et présidente de l'Association des Droits de l'Homme d'Istanbul. La police somma le groupe de se disperser et de mettre fin au rassemblement en les informant, au moyen d'un haut-parleur, de l'irrégularité de leur manifestation qui n'avait pas fait l'objet d'une notification et des troubles qu'elle causerait à l'ordre public à une heure de forte affluence.
7
Le groupe refusa d'obtempérer et tenta de poursuivre sa marche contre les forces de l'ordre, lesquelles, au moyen d'un gaz lacrymogène que l'on nomme ‘spray au poivre’, dispersèrent les manifestants. La police interpella trente-neuf manifestants, parmi lesquels se trouvait la requérante, et les conduisit au commissariat.
8
Après la vérification de son identité, au vu de sa profession, la requérante fut relâchée à 12 h 45.
9
Le 26 avril 2000, la requérante porta plainte auprès du parquet de Beyoğlu contre le directeur général de la sécurité d'Istanbul et les policiers pour mauvais traitements en raison de l'utilisation du ‘spray au poivre’, pour arrestation illégale et pour avoir été empêchée de faire la déclaration publique prévue à la fin de la manifestation.
10
Le 29 juin 2000, le parquet prononça une décision de non-lieu en raison de l'absence d'éléments répréhensibles.
11
Le 25 juillet 2000, la requérante forma une opposition près la cour d'assises de Beyoğlu contre cette décision.
12
Le 25 septembre 2000, la cour d'assises confirma la décision de non-lieu.
II. Le droit et la pratique pertinents
A. La législation interne relative à la liberté de réunion
1. Les garanties constitutionnelles
13
L'article 34 de la Constitution dispose :
‘Chacun a le droit d'organiser des réunions et des manifestations pacifiques et non armées sans autorisation préalable.
(…)
Les formes, les conditions et la procédure qui s'appliqueront à l'occasion de l'exercice du droit d'organiser des réunions et des manifestations sont déterminées par la loi.’
2. La loi relative aux manifestations
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L'article 10 de la loi no 2911 relative aux réunions et défilés de manifestation était ainsi libelléà l'époque des faits :
‘Afin qu'une réunion puisse avoir lieu, la préfecture ou la sous-préfecture du lieu de la manifestation doit être informée pendant ses heures d'ouverture, et au moins soixante-douze heures avant le début de la réunion, par une notification portant la signature de tous les membres du conseil d'organisation (…)’
15
L'article 22 de cette même loi interdit les manifestations et défilés sur les routes publiques, dans les parcs, lieux de culte et les bâtiments des services publics. Les manifestations organisées sur les places publiques doivent respecter les consignes de sécurité et ne pas empêcher la circulation des individus ainsi que des transports publics. Enfin, l'article 24 prévoit que les manifestations et défilés contraires aux dispositions de cette loi seront dispersés par la force sur l'ordre de la préfecture et après sommation aux manifestants.
B. L'avis de la Commission de Venise
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La Commission européenne pour la démocratie par le droit (la Commission de Venise) lors de sa 64e session plénière (21–22 octobre 2005) a adopté un avis interprétant les lignes directrices de l'OSCE/BIRDD sur la rédaction des lois relatives à la liberté de réunion concernant la réglementation des réunions publiques. Elle a ainsi adopté son approche dans le domaine et en particulier concernant les préavis avant les manifestations sur les lieux publics :
‘29
La mise en place d'un régime de préavis des réunions pacifiques n'équivaut pas nécessairement à une violation du droit. En fait, ces régimes existent dans plusieurs pays européens. Un préavis est d'ordinaire nécessaire pour certains rassemblements ou réunions, par exemple lorsqu'un défilé doit avoir lieu sur une route ou qu'une réunion fixe est prévue dans un square public, qui doivent être autorisés par la police ou d'autres autorités, lesquelles ne doivent pas se servir de leurs prérogatives (par exemple celle de réglementer la circulation) pour faire obstacle à la manifestation.’
Toutefois, il est clairement souligné par la Commission de Venise que le système de notification préalable ne doit en aucun cas restreindre indirectement le droit de réunion pacifique, en fixant, par exemple, des conditions trop précises et compliquées ou imposant une procédure trop coûteuse (paragraphe 30 de l'avis).
C. Réglementation internationale relative à l'utilisation du ‘gaz lacrymogène’
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Selon l'article I chiffre 5 de la Convention du 13 janvier 1993 sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l'emploi des armes chimiques et sur leur destruction (‘la CAC’), chaque État partie s'engage à ne pas employer d'armes chimiques en tant que moyens de guerre. Le gaz lacrymogène ou ce que l'on nomme le ‘spray au poivre’ ne sont pas considérés comme des armes chimiques (la CAC contient en annexe un tableau nominatif des produits chimique interdits). L'engagement de tels moyens est autoriséà des fins de maintien de l'ordre public, y compris de lutte antiémeute sur le plan intérieur (art. II. ch. 9 let. d). La CAC ne précise pas non plus quels organes de l'État peuvent être engagés pour le maintien de l'ordre public. Cela reste du ressort de la souveraineté de l'État concerné.
La CAC est entrée en vigueur en Turquie le 11 juin 1997.
18
Toutefois, il est connu que l'utilisation de ce produit peut causer des désagréments, tels que problèmes respiratoires, nausées, vomissements, irritation des voies respiratoires, irritation des voies lacrymales et des yeux, spasmes, douleurs thoraciques, dermatites ou allergies. À forte dose, il peut causer une nécrose des tissus dans les voies respiratoires ou dans l'appareil digestif, des œdèmes pulmonaires ou des hémorragies internes (hémorragies des glandes surrénales).
En droit
I. Sur la recevabilité
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La Cour estime, à la lumière de l'ensemble des arguments des parties, que la requête pose de sérieuses questions de fait et de droit nécessitant un examen au fond ; il s'ensuit qu'elle ne saurait être déclarée manifestement mal fondée, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Ne relevant aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour déclare donc le restant de la requête recevable.
II. Sur la violation alléguée de l'Article 3 de la Convention
20
La requérante se plaint de l'utilisation du gaz lacrymogène, dit ‘spray au poivre’, pour disperser un groupe de manifestants, provoquant des désagréments physiques, tels que larmes et difficultés respiratoires. Elle invoque l'article 3 de la Convention, ainsi libellé :
‘Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.’
21
Le Gouvernement fait observer que le gaz utilisé pour disperser les manifestants est conforme aux exigences de santé et aux conventions internationales. Il explique qu'il s'agit de l'Oleo-resin Capsicum (OC), connu sous le nom de ‘gaz au poivre’ et soumet un rapport d'expertise concernant ce produit. Par ailleurs, il fait remarquer que la requérante n'a soumis aucun rapport médical afin de démontrer les éventuelles séquelles causées par le gaz.
22
La requérante s'oppose à la thèse du Gouvernement.
23
La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, pour tomber sous le coup de l'article 3 de la Convention, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. Un traitement est ‘inhumain’ au sens de l'article 3 notamment s'il a été appliqué avec préméditation pendant une longue durée, et s'il a causé soit des lésions corporelles, soit de vives souffrances physiques ou mentales. En outre, en recherchant si un traitement est ‘dégradant’ au sens de l'article 3, la Cour examinera si le but était d'humilier et de rabaisser l'intéressé et si, considérée dans ses effets, la mesure a ou non atteint la personnalité de celui-ci d'une manière incompatible avec l'article 3 (voir, entre autres, Kudła c. Pologne[GC], no 30210/96, § 92, CEDH 2000-XI).
24
La Cour examinera les faits à la lumière de sa jurisprudence bien établie (voir, entre plusieurs autres, Assenov et autres c. Bulgarie, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII, p. 3288, § 93 ; Selmouni c. France[GC], no 25803/94, § 95, CEDH 1999-V ; Raninen c. Finlande, arrêt du 16 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, pp. 2821–2822, § 55 ; V. c. Royaume-Uni [GC], no 24888/94, § 71, CEDH 1999-IX ; Chahal c. Royaume-Uni, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, p. 1855, § 79 ; Klaas c. Allemagne, arrêt du 22 septembre 1993, série A no 269, pp. 17–18, § 30 ; et Labita c. Italie[GC], no 26772/95, § 120, CEDH 1999-IV).
25
Tout d'abord, la Cour se penche sur la question de l'utilisation du ‘spray au poivre’. Elle observe que ce gaz, utilisé dans des États membres du Conseil de l'Europe pour contrôler, voire disperser les manifestations en cas de risque de débordement, ne figure pas parmi les gaz toxiques énumérés en annexe de la CAC. Toutefois, elle note que son utilisation peut causer des désagréments, tels que problèmes respiratoires, nausées, vomissements, irritation des voies respiratoires, irritation des voies lacrymales et des yeux, spasmes, douleurs thoraciques, dermatites ou allergies (paragraphe 18 ci-dessus).
26
Cependant, la Cour constate que la requérante ne soumet aucun rapport médical afin de démontrer les effets néfastes qu'elle aurait subis après avoir été exposée au gaz. L'intéressée, qui a été relâchée peu après son arrestation, n'a pas cherché non plus à se faire examiner par un médecin (Kılıçgedik c. Turquie (déc.), no55982/00, 1er juin 2004). Bref, il n'existe aucun élément ou commencement de preuve à l'appui de ses allégations de traitements contraires à l'article 3 de la Convention.
27
La Cour conclut dès lors à l'absence de violation de l'article 3 de la Convention.
III. Sur la violation alléguée de l'Article 11 de la Convention
28
La requérante se plaint d'une atteinte à ses droits à la liberté d'expression et à la liberté d'association, dans la mesure où la manifestation et la lecture d'une déclaration de presse prévue en clôture ont été empêchées par la police.
La Cour rappelle que, dans sa décision partielle sur la recevabilité de la requête, elle a prévu d'examiner ces griefs sous l'angle de l'article 11 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente :
‘1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, (…)
2. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, (…) à la défense de l'ordre (…) ou à la protection des droits et libertés d'autrui. (…)’
29
Le Gouvernement fait savoir que la réunion en question était organisée illégalement sans qu'une notification ait été communiquée aux autorités compétentes. Il rappelle que le deuxième paragraphe de l'article 11 apporte des limites au droit de réunion pacifique afin de protéger l'ordre public.
30
D'emblée, la Cour relève qu'il n'y a pas de contestation sur l'existence d'une ingérence dans le droit de réunion de la requérante. Cette ingérence avait une base légale, à savoir l'article 22 de la loi no2911 relative aux réunions et défilés de manifestation, et était ainsi ‘prévue par la loi’ au sens de l'article 11 § 2 de la Convention. Reste la question de savoir si l'ingérence poursuivait un but légitime et était nécessaire dans une société démocratique.
1. But légitime
31
Le Gouvernement soutient que l'ingérence poursuivait des buts légitimes, entre autres la protection de l'ordre et les droits d'autrui.
32
La Cour considère que la mesure litigieuse peut passer pour avoir visé au moins deux des buts légitimes au sens du paragraphe 2 de l'article 11, à savoir la défense de l'ordre et la protection des droits d'autrui, et précisément le droit de circuler en public sans contrainte.
2. Nécessaire dans une société démocratique
33
D'après le Gouvernement, la requérante a participéà une manifestation sur une place publique, tenue sans déclaration préalable et contrairement à la législation interne concernée. Il note par ailleurs qu'avec d'autres manifestants, la requérante ne s'est pas conformée à l'ordre de dispersion. Dans ces circonstances et compte tenu de la marge d'appréciation reconnue aux États en la matière, le Gouvernement estime que les risques de perturbation des civils qui se trouvaient dans le parc à une heure de pointe et la résistance des manifestants justifiaient la dispersion du rassemblement en cause. Pour lui, l'intervention des policiers était une mesure nécessaire au sens du deuxième paragraphe de l'article 11 de la Convention.
34
Selon la requérante, la police, sous prétexte que le rassemblement causait des perturbations à l'ordre public, est intervenue sans attendre la lecture de la déclaration publique.
35
La Cour se réfère d'abord aux principes fondamentaux qui se dégagent de sa jurisprudence relative à l'article 11 (voir Djavit An c. Turquie, no 20652/92, §§ 56–57, CEDH 2003-III ; Piermont c. France, arrêt du 27 avril 1995, série A no 314, §§ 76–77 ; et Plattform ‘Ärzte für das Leben’ c. Autriche, arrêt du 21 juin 1988, série A no 139, p. 12, § 32). Il ressort ainsi de cette jurisprudence que les autorités ont le devoir de prendre des mesures nécessaires pour les manifestations légales afin de garantir le bon déroulement de celles-ci et la sécurité de tous les citoyens.
36
La Cour note en outre que les États doivent non seulement protéger le droit de réunion pacifique mais également s'abstenir d'apporter des restrictions indirectes abusives à ce droit. Enfin, elle estime que si l'article 11 tend pour l'essentiel à prémunir l'individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics dans l'exercice de ses droits protégés, il peut engendrer de surcroît des obligations positives d'assurer la jouissance effective de ces droits (Djavit An, précité, § 57).
37
A titre préliminaire, la Cour estime que ces principes sont également applicables pour les manifestations et défilés organisés dans les lieux publics. Toutefois, elle note qu'il n'est pas contraire à l'esprit de l'article 11 que pour des raisons d'ordre public et de sécurité nationale, a priori, une Haute Partie contractante puisse soumettre à autorisation la tenue de réunions et réglementer les activités des associations (voir Djavit An, précité, §§ 66–67).
38
Eu égard aux dispositions internes, la Cour observe qu'aucune autorisation n'est requise pour la tenue de manifestations publiques ; à l'époque des faits, une notification était toutefois exigée soixante-douze heures avant l'événement. En principe, les règlementations de ce type ne devraient pas constituer un obstacle dissimulé contre la liberté de réunion pacifique telle qu'elle est protégée par la Convention. Il va sans dire que toute manifestation dans les lieux publics pourrait causer un certain désordre pour le déroulement de la vie quotidienne, et se heurter à des hostilités ; ceci étant, il est important que les associations et autres organisateurs de manifestations participent en tant qu'acteurs de la démocratie aux règles du jeu en respectant les règlementations en vigueur.
39
La Cour estime qu'à défaut de notification, la manifestation se trouvait irrégulière, ce que la requérante ne conteste pas. Cependant, elle rappelle qu'une situation irrégulière ne justifie pas une atteinte à la liberté de réunion (Cisse c. France, no51346/99, § 50, CEDH 2002-III (extraits)). Toutefois, en l'espèce, la notification aurait permis aux autorités de prendre les mesures nécessaires afin de réduire les perturbations de circulation que la manifestation aurait pu causer à une heure de pointe. Pour la Cour, il est important qu'à titre préventif, des mesures de sécurité, telles que par exemple la présence d'agents de santé publique sur les lieux des manifestations, soient prises afin de garantir le bon déroulement de tout événement, réunion ou autre rassemblement que ce soit politique, culturel, ou autres.
40
Il ressort des éléments du dossier que le groupe de manifestants a été informé plusieurs fois de l'irrégularité du défilé et des troubles que celui-ci causerait pour l'ordre public à une heure de pointe, et qu'il leur a été enjoint de se disperser. La requérante, avec d'autres manifestants, ne s'est pas conformée aux sommations des forces de l'ordre et a tenté de forcer le passage.
41
Toutefois, aucun élément du dossier ne permet d'affirmer que le groupe en question présentait un danger pour l'ordre public, mis à part d'éventuelles perturbations de la circulation. Il s'agissait tout au plus d'une cinquantaine de personnes qui souhaitaient attirer l'opinion publique sur une question d'actualité. La Cour observe que le rassemblement a commencé aux alentours de midi et s'est terminé avec l'arrestation du groupe dans la demie heure qui a suivi. Elle est frappée, en particulier, par l'impatience des autorités pour mettre fin à cette manifestation qui était organisée sous le chapiteau de l'Association des Droits de l'Homme.
42
Pour la Cour, en l'absence d'actes de violence de la part des manifestants, il est important que les pouvoirs publics fassent preuve d'une certaine tolérance pour les rassemblements pacifiques, pour que la liberté de réunion telle qu'elle est garantie par l'article 11 de la Convention ne soit pas dépourvue de tout son contenu.
43
En conséquence, la Cour estime qu'en l'espèce, l'intervention musclée de la police était disproportionnée et ne constituait pas une mesure nécessaire à la défense de l'ordre public au sens du deuxième paragraphe de l'article 11 de la Convention.
44
Partant, il y a eu de violation de cette disposition.
IV. Sur l'application de l'Article 41 de la Convention
45
Aux termes de l'article 41 de la Convention,
‘Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable.’
A. Dommage
46
La requérante réclame 1 190,83 euros (EUR) au titre du préjudice matériel pour avoir été empêchée de travailler pendant six heures le jour de la manifestation et 20 000 EUR au titre du préjudice moral qu'elle aurait subi.
47
Le Gouvernement conteste ces sommes.
48
La Cour n'aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En outre, en ce qui concerne le dommage moral, elle estime que la requérante est suffisamment compensée par le constat de violation de l'article 11 de la Convention.
B. Frais et dépens
49
La requérante demande également 8 051,77 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour.
50
Le Gouvernement estime cette somme exorbitante.
51
Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir Nikolova c. Bulgarie[GC], no 31195/96, § 79, CEDH 1999-II). A cet égard, elle note que l'intéressée n'a produit aucune pièce justificative relative aux frais et dépens encourus. Il n'en reste pas moins qu'aux fins de la préparation de la présente affaire il était nécessaire d'encourir certains frais. Dès lors, statuant en équité, la Cour juge raisonnable d'octroyer à la requérante 1 000 EUR à ce titre.
C. Intérêts moratoires
52
La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
- 1.
Déclare le restant de la requête recevable ;
- 2.
Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 3 de la Convention ;
- 3.
Dit qu'il y a eu violation de l'article 11 de la Convention ;
- 4.
Dit que le constat de violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par la requérante ;
- 5.
Dit
- a)
que l'État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dûà titre d'impôt, à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement ;
- b)
qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
- 6.
Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 décembre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. NAISMITH
Greffier adjoint
J.-P. COSTA
Président