EHRM, 20-01-2011, nr. 52131/07
ECLI:CE:ECHR:2011:0120JUD005213107
- Instantie
Europees Hof voor de Rechten van de Mens
- Datum
20-01-2011
- Magistraten
Christos Rozakis, Nina Vajić, Khanlar Hajiyev, Dean Spielmann, Sverre Erik Jebens, Giorgio Malinverni, George Nicolaou
- Zaaknummer
52131/07
- Roepnaam
Haxhishabani/Luxemburg
- Vakgebied(en)
Internationaal publiekrecht (V)
- Brondocumenten en formele relaties
ECLI:CE:ECHR:2011:0120JUD005213107, Uitspraak, Europees Hof voor de Rechten van de Mens, 20‑01‑2011
Uitspraak 20‑01‑2011
Christos Rozakis, Nina Vajić, Khanlar Hajiyev, Dean Spielmann, Sverre Erik Jebens, Giorgio Malinverni, George Nicolaou
Partij(en)
ARRÊT
STRASBOURG
20 janvier 2011
DÉFINITIF
20/04/2011
En l'affaire Haxhishabani c. Luxembourg,
La Cour européenne des droits de l'homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Christos Rozakis, président,
Nina Vajić,
Khanlar Hajiyev,
Dean Spielmann,
Sverre Erik Jebens,
Giorgio Malinverni,
George Nicolaou, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 décembre 2010,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
Procédure
1.
A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 52131/07) dirigée contre le Grand-Duché de Luxembourg et dont un ressortissant français, M. Skender Haxhishabani (‘ le requérant ’), a saisi la Cour le 9 novembre 2007 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (‘ la Convention ’).
2.
Le requérant est représenté par Me R. Schons, avocat à Luxembourg. Le gouvernement luxembourgeois (‘ le Gouvernement ’) est représenté par son conseil, Me G. Neu, avocat à Luxembourg.
3.
Le requérant se plaint en particulier d'une atteinte à la présomption d'innocence et de l'iniquité de la procédure.
4.
Le 2 mars 2009, le président de la première section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
5.
Par une lettre du 5 mars 2009, le gouvernement français fut informé qu'il avait la possibilité, s'il le désirait, de présenter des observations écrites en vertu de l'article 36 § 1 de la Convention et 44 du Règlement de la Cour. N'ayant pas reçu de réponse du gouvernement français dans le délai imparti, la Cour considère que ce dernier n'entend pas se prévaloir de son droit d'intervention.
En fait
I. Les circonstances de l'espèce
6.
Le requérant est né en 1952. Il est actuellement détenu au centre pénitentiaire de Luxembourg.
7.
Le 26 mai 2004, la police découvrit dans une maison le cadavre d'une femme. Une information judiciaire fut ouverte et l'autopsie du corps de la victime révéla qu'il s'agissait d'une veuve étant demeurée seule dans la maison. Trois personnes furent arrêtées, à savoir le requérant ainsi que T. et V.
8.
Par une ordonnance de la chambre du conseil du tribunal d'arrondissement du 8 novembre 2005, seuls le requérant et V. furent renvoyés devant la chambre criminelle du tribunal d'arrondissement de Luxembourg, T. s'étant suicidé le 14 mars 2005 en prison.
9.
Le 9 mars 2006, le requérant fut condamné comme coauteur de vol et tentative de vol avec violences et menaces avec la circonstance que la victime avait été tuée pour en assurer l'impunité.
10.
Dans son jugement, le tribunal rappela que le ministère public reprochait aux deux prévenus d'avoir commis le crime prévu à l'article 475 du code pénal, qui dispose que ‘ Le meurtre commis pour faciliter le vol ou l'extorsion, ou pour en assurer l'impunité, sera puni de la réclusion à vie ’. Dans ses conclusions, le requérant demanda, quant à lui, son acquittement pur et simple de ladite infraction, arguant du défaut de preuve quant à sa participation personnelle dans le meurtre de la victime. Il estima en effet que le ministère public devait prouver qu'il avait commis un acte pouvant enlever la vie à la victime et qu'il avait la volonté délibérée de commettre cet acte. Selon le requérant, l'absence d'intervention active du prévenu dans le meurtre avait pour conséquence qu'il ne pouvait se voir condamné que pour vol simple, et non pour vol suivi de meurtre.
11.
Le tribunal retint qu'il était établi par les éléments du dossier répressif que le requérant s'était rendu, avec T. et V., au domicile de la veuve pour commettre un cambriolage ; T. était entré le premier dans la maison et y avait volé un couteau de cuisine ainsi qu'un autre objet non autrement défini ; T. avait mortellement blessé la victime. Le tribunal relata de nombreux signes de violence et des marques de strangulation au cou, relevés par l'expert lors de l'autopsie de la victime.
12.
Le tribunal rejeta l'argument du requérant selon lequel la circonstance aggravante du meurtre ne pouvait être retenue à sa charge, au motif qu'il n'était pas intervenu personnellement et activement dans le meurtre de la victime. Dans la mesure où le requérant avait cité l'arrêt Goktepe c. Belgique (no 50372/99, 2 juin 2005), les juges indiquèrent que la procédure devant la cour d'assises belge, incriminée dans l'arrêt Goktepe, ne pouvait être comparée à celle suivie devant la chambre criminelle luxembourgeoise. Ils précisèrent que, l'article 195 du code d'instruction criminelle luxembourgeois les obligeant à répondre à tous les moyens et arguments débattus contradictoirement aux audiences publiques, les droits de la défense avaient été sauvegardés entièrement.
13.
D'abord, les juges, citant la doctrine et la jurisprudence, rappelèrent que, selon l'article 475 du Code pénal, le vol était le fait principal et le meurtre une circonstance aggravante, objective et intrinsèque de ce fait ; cette circonstance aggravante pesait sur tous ceux qui avaient coopéré au vol, sans que la participation directe et personnelle au meurtre doive être prouvée dans le chef de chacun des prévenus.
14.
Poursuivant qu'il y avait encore lieu d'apprécier le degré de participation des deux prévenus, les juges estimèrent que ces derniers savaient exactement quel crime ils allaient commettre, le but de leur venue étant de s'emparer des fonds et objets de valeur trouvés dans la maison à cambrioler. Pour arriver à leurs fins, et suivant les déclarations du requérant, il fallait la présence d'au moins une personne dans la maison, afin d'éviter de déclencher le système d'alarme et afin d'obtenir les clefs et/ou un code pour pouvoir ouvrir facilement le ou les coffres forts. Ils devaient ainsi savoir, et savaient effectivement, qu'ils devaient user de violence pour réussir leur dessein criminel. Les juges soulignèrent que le requérant, qui était l'instigateur du projet, avait contacté les autres protagonistes et procédé à la répartition des charges. Le fait d'envoyer T., de surcroît manchot, seul pour se frayer une entrée ne devenait plausible que si le requérant détenait l'information, de la plus haute importance pour l'exécution de son projet, qu'une femme, d'un certain âge, habitait seule dans la maison. Il avait, partant, envisagé et accepté le fait que des violences seraient exercées pour maîtriser l'habitante de la maison en question. Les juges relevèrent finalement que le fait d'entrer dans la maison, non munis de masques ou de cagoules, laissait supposer qu'ils avaient accepté, voire même planifié, d'éliminer un témoin potentiel afin d'éviter que celui-ci ne puisse les identifier par la suite. Ils précisèrent toutefois qu'aucune trace ni empreinte n'avait pu être relevée sur les lieux du crime, rapportant la preuve que le requérant avait participé directement et personnellement au meurtre de la victime. Les juges conclurent qu'en raison du caractère objectif de la circonstance aggravante du meurtre, le requérant était à déclarer convaincu du crime prévu à l'article 475 du code pénal.
15.
Pour se prononcer sur la peine, les juges prirent en considération les circonstances particulières de l'affaire, le fait qu'il n'était pas prouvé que le requérant avait accompli des actes matériels propres à causer la mort de la victime, mais également son lourd passé criminel en tant que cambrioleur invétéré n'hésitant pas à user de violence quand il l'estimait nécessaire. Le requérant fut condamné à une peine de réclusion de 25 ans.
16.
Le requérant interjeta appel de ce jugement. Il demanda à nouveau que sa responsabilité personnelle à l'égard du meurtre soit établie. Il exposa que, pour le déclarer coupable du chef de ‘ meurtre commis pour faciliter le vol ou l'extorsion, ou pour en assurer l'impunité ’, la cour d'appel devait qualifier à son encontre les actes matériels ainsi que l'élément intentionnel du meurtre. En conclusion, il demanda à la cour d'appel de considérer, au vu du constat qu'il n'avait pas accompli d'acte matériel propre à causer la mort de la victime, que la circonstance aggravante objective de meurtre pour faciliter le vol ne pouvait pas lui être imputée.
17.
Le 6 décembre 2006, la cour d'appel confirma le jugement de première instance, aux motifs, entre autres, suivants :
‘ (…) la cour [d'appel] partage l'opinion des juges de première instance qu'il y a lieu de s'en tenir aux principes dégagés par la Cour de cassation luxembourgeoise selon lesquels les violences et menaces — dont le meurtre — sont des circonstances aggravantes réelles ou objectives, modifiant la criminalité du vol lui-même, et sont par conséquent communes à tous les auteurs et complices. Ces circonstances pèsent en tant que telles sur tous ceux qui ont participé au vol, même si leur participation directe et personnelle aux violences et menaces n'est pas établie. Le vol est le fait principal et les menaces et violences une circonstance aggravante, objective et intrinsèque de ce fait (Cass. 14.7.1994, no 22/94 ; Cass. 5.5.1949 Pas 14, 558 ; Cass. 23.03.1982, Pas 25, 252 et Cour d'appel, 13 juin 2006, no 32/06, ch.crim.).
En outre, en l'espèce, la culpabilité des deux prévenus, quant aux circonstances aggravantes, a été débattue tant devant la juridiction de première instance que devant la cour d'appel. Ils savaient tous les deux qu'ils participaient à un vol dans une maison habitée et que celui qui était entré dans la maison était à même de faire usage de violences en cas de résistance du propriétaire. Ils avaient d'ailleurs tous les deux un rôle bien déterminé qui a été analysé par le tribunal. Ils sont donc à considérer tous les deux comme auteurs, au sens de l'article 66, alinéa 3 du Code pénal du crime tel qu'il leur a été reproché, avec la circonstance aggravante précitée. (…) ’
18.
Le 10 mai 2007, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant.
II. Le droit et la pratique internes pertinents
19.
L'article 475 du code pénal dispose ceci :
‘ Le meurtre commis pour faciliter le vol ou l'extorsion, ou pour en assurer l'impunité, sera puni de la réclusion à vie. ’
20.
La Cour de cassation a interprété cette disposition comme suit :
‘ Dans le cas de l'article 475 du Code pénal, le vol est le fait principal et le meurtre une circonstance aggravante, objective et intrinsèque de ce fait ; cette circonstance aggravante pèse sur tous ceux qui ont coopéré au vol ; l'emprunt de criminalité ne se fait pas dans la personne de l'auteur du meurtre, mais dans son acte ; chacun des participants est puni, dans les limites objectives qui sont prévues pour son acte de coopération, dans la mesure de sa propre responsabilité, indépendamment de la responsabilité des autres ; ainsi sa responsabilité reste personnelle ’
(Cass.lux., 14 juillet 1994, Journal des Tribunaux, 1994 p. 632).
21.
La doctrine a critiqué que la jurisprudence traditionnelle ait ainsi appliqué à l'hypothèse du ‘ meurtre commis pour faciliter le vol ’ une présomption irréfragable de la connaissance et de l'acceptation des circonstances aggravantes. Selon la doctrine, c'était faire place à la théorie de l'emprunt matériel de culpabilité selon laquelle la responsabilité de l'exécutant à l'égard des faits aggravants est automatiquement étendue à chacun des participants, fût-il établi qu'ils ne les ont point connus, qu'ils n'auraient même pu les prévoir ou qu'il s'y étaient personnellement opposés (Droit pénal général, Christine Hennau et Jacques Verhaegen, Bruxelles, Bruylant, (3ème édition), 2004, p. 294).
En droit
I. Sur la violation alléguée de l'article 6 § 2 de la Convention
22.
Le requérant se plaint d'une atteinte à la présomption d'innocence dans son chef. Il reproche aux juges du fond d'avoir retenu le meurtre comme circonstance aggravante du vol à son égard, sans se prononcer sur la question de son implication individuelle dans ce meurtre. Dans ses observations du 16 septembre 2009, il se plaint en outre d'avoir dû présenter sa défense avant même que le ministère public ne prenne un réquisitoire à son encontre et n'annonce en audience publique le tarif de la peine demandée. Il invoque l'article 6 § 2 de la Convention, ainsi libellé :
- ‘ 2.
Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. ’
23.
Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
24.
D'emblée, la Cour se doit de constater que les critiques à l'égard du déroulement de l'audience, non contenues dans la requête initiale, furent émises pour la première fois le 16 septembre 2009, soit plus de six mois après la décision interne définitive. Partant, ce volet du grief est à déclarer irrecevable pour non-respect de la règle des six mois énoncée à l'article 35 § 1 de la Convention.
25.
Le Gouvernement soulève une première exception d'irrecevabilité, tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Ainsi, le requérant aurait dû introduire une action en responsabilité contre l'Etat du fait du fonctionnement défectueux de ses services judiciaires, en vertu de l'article 1er alinéa 1er de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l'Etat et des collectivités publiques. La doctrine aurait confirmé que le système luxembourgeois de la responsabilité civile de l'Etat se caractérise par l'absence de condition particulière concernant la faute ayant causé un dommage. Le Gouvernement souligne que les tribunaux luxembourgeois admettent un recours effectif en la matière. Il fournit, entre autres, une décision du tribunal d'arrondissement de Luxembourg du 2 mars 2007, qui retenait la responsabilité de l'Etat en raison du dysfonctionnement des services de l'Etat ayant procédé au blocage des sorties de fonds sans pouvoir prouver un légitime soupçon de blanchiment. Le Gouvernement conclut que le requérant aurait dû introduire un recours en responsabilité contre l'Etat s'il estimait que les juridictions luxembourgeoises n'avaient pas respecté les principes posés par l'article 6 de la Convention.
26.
Le requérant estime que le fait de ne pas avoir engagé la responsabilité de l'État ne saurait supprimer son droit de saisir la Cour, d'autant plus que l'indemnisation ne pouvait à elle seule rétablir les droits du requérant et que les conditions d'effectivité de ce recours ne sont pas remplies.
27.
La Cour rappelle que les dispositions de l'article 35 de la Convention ne prescrivent l'épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l'effectivité et l'accessibilité voulues ; il incombe à l'Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (Selmouni c. France [GC], no 25803/94, CEDH 1999-V — (28.7.99), § 75). De plus, la règle de l'épuisement des voies de recours internes ne s'accommode pas d'une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu : en en contrôlant le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause. De surcroît, un requérant qui a utilisé une voie de droit apparemment effective et suffisante ne saurait se voir reprocher de ne pas avoir essayé d'en utiliser d'autres qui étaient disponibles mais ne présentaient guère plus de chances de succès (Aquilina c. Malte [GC], no 25642/94, § 39, CEDH ; Draon c. France (déc.), no 1513/03).
28.
En l'espèce, le requérant a soumis ses doléances aux autorités nationales tout au long de la procédure, tant devant les juges du fond qu'en cassation. Dans ces circonstances, la Cour considère que l'on ne saurait exiger du requérant qu'il épuise d'autres voies de recours, telle qu'une action en responsabilité de l'Etat sur base de la loi du 1er septembre 1988 (mutatis mutandis, Ewert c. Luxembourg, no 49375/07, § 61, 22 juillet 2010). Partant, l'exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement ne saurait être retenue.
29.
Le Gouvernement soulève une deuxième exception d'irrecevabilité, tirée du non-respect du délai de six mois. Il explique que l'intéressé a déposé sa requête en date du 13 novembre 2007, soit six mois et trois jours après l'arrêt de la Cour de cassation du 10 mai 2007.
30.
Le requérant conteste cette thèse, au motif que sa requête est parvenue à la Cour en date du 9 novembre 2007.
31.
La Cour rappelle qu'aux termes de l'article 35 § 1 de la Convention elle ne peut être saisie que dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive.
32.
En l'espèce, la requête parvint à la Cour par télécopie en date du 9 novembre 2007 et fut expédiée par courrier recommandé, le même jour, tel que cela résulte du tampon de la poste. La Cour considère dès lors que le requérant a introduit sa requête dans le délai des six mois à partir de l'arrêt de la Cour de cassation du 10 mai 2007. Partant, l'exception d'irrecevabilité soulevée par le Gouvernement doit être rejetée.
33.
Par ailleurs, la Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
34.
Le requérant expose que la présomption d'innocence ne saurait être battue en brèche au moyen de la répercussion automatique d'une circonstance aggravante, mais uniquement en vertu d'une démonstration claire et nette de l'accomplissement d'un acte matériel par l'auteur ainsi que de la caractérisation de la volonté de l'auteur de transgresser l'interdit, délibérément et en connaissance de cause. Ainsi, il estime qu'il doit rester présumé innocent de l'infraction de meurtre, tant qu'il n'a pas été démontré qu'il a volontairement et consciemment participé au meurtre, aussi bien sur le plan matériel que sur le plan de l'intention. Or, en l'espèce, les juges du fond n'ont, selon le requérant, pas caractérisé le fait qu'il avait matériellement, sciemment et volontairement participé au meurtre commis dans le cadre du vol.
35.
Le gouvernement considère que les juridictions criminelles ont respecté le principe de la présomption d'innocence. En effet, la responsabilité pénale du requérant a été établie individuellement en ce qui concerne sa participation à l'infraction. Pour ce qui est des circonstances aggravantes, les juges du fond ont tenu compte du rôle déterminant joué par le requérant lors de la préparation, de l'organisation et de l'exécution du crime. Ils ont souligné qu'il n'était pas prouvé que le requérant avait frappé ou tué lui-même la victime, mais qu'il avait accepté tacitement cette éventualité. Il y a ainsi eu ‘ établissement légal de la culpabilité ’ sur base des faits et d'un raisonnement juridique. Tant en première instance qu'en appel, les juges ont considéré que le rôle du requérant était légalement établi en ce qui concerne le meurtre de la victime et que le parquet avait apporté des preuves suffisantes pour fonder la déclaration de culpabilité du requérant. Le Gouvernement conclut qu'admettre la thèse du requérant reviendrait à le sanctionner uniquement pour une tentative de vol et ne pas tenir compte de son rôle d'instigateur effectivement joué, rôle laborieusement reconstitué par les enquêteurs et examiné en détail par les juges.
36.
La Cour précise d'emblée qu'elle n'est pas appelée à examiner in abstracto la compatibilité avec la Convention de la jurisprudence luxembourgeoise relative à l'article 475 du code pénal. Il n'entre pas davantage dans ses attributions de substituer sa propre appréciation des faits et des preuves à celle des juridictions internes, cette tâche relevant, au premier chef, du droit interne et des juridictions nationales (Schenk c. Suisse, 12 juillet 1988, §§ 45–46, série A no 140 et García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999-I).
37.
La Cour estime que la manière dont les éléments constitutifs de la circonstance aggravante furent appliqués au requérant est une déduction assimilable à une ‘ présomption ’ en matière pénale.
38.
Elle rappelle que la Convention ne prohibe pas les présomptions de fait ou de droit en matière pénale. Elle oblige néanmoins les Etats ‘ à ne pas dépasser à cet égard un certain seuil ’ : ils doivent ‘ les enserrer dans des limites raisonnables prenant en compte la gravité de l'enjeu et préservant les droits de la défense ’ (Salabiaku c. France, 7 octobre 1988, § 28, série A no 141-A ; Radio France et autres c. France, no 53984/00, § 24, CEDH 2004-II). La Cour recherchera si ces limites ont été franchies au détriment du requérant.
39.
En l'espèce, les juridictions internes estimèrent qu'en raison du caractère objectif de la circonstance aggravante du meurtre, le requérant était à déclarer convaincu du crime prévu à l'article 475 du code pénal. Les juges du fond décidèrent que l'intervention matérielle du requérant dans le meurtre de la victime n'était pas prouvée. Toutefois, ils imputèrent, conformément à la loi interne, la circonstance aggravante du meurtre au requérant, après avoir examiné en détail les faits ayant conduit audit meurtre et le rôle d'instigateur joué par le requérant. Ainsi, relatant que le requérant avait contacté les autres protagonistes et avait procédé à la répartition des charges, les juges de première instance soulignèrent que celui-ci avait envisagé et accepté le fait que des violences seraient exercées pour maîtriser l'habitante de la maison à cambrioler. La cour d'appel souligna que la culpabilité du requérant, quant aux circonstances aggravantes, avait été débattue tout au long de la procédure. Elle rappela que le requérant savait qu'il participait à un vol dans une maison habitée et que celui qui était entré dans la maison était à même de faire usage de violence en cas de résistance du propriétaire.
40.
Il résulte des décisions internes que les juges de première instance et d'appel ont analysé avec soin l'élément intentionnel au niveau de la circonstance aggravante du meurtre dans le chef du requérant. Certes, les juges du fond ont souligné qu'il n'existait aucune preuve que le requérant ait participé matériellement au meurtre de la victime et ont qualifié la circonstance aggravante du meurtre d'objective. Il n'en demeure pas moins que leur analyse n'a pas abouti à imputer automatiquement cette circonstance aggravante au requérant. En effet, force est de rappeler que les juges du fond ont examiné, avec la plus grande attention et sur la base des éléments contradictoirement débattus devant eux, le comportement du requérant et le rôle joué par lui. Ils ont ainsi subjectivisé la circonstance aggravante du meurtre, venant à la conclusion que le requérant était coauteur des faits ayant entraîné la mort de la victime.
41.
Dans ces circonstances, les juridictions luxembourgeoises n'ont pas, en l'espèce, appliqué l'article 475 du code pénal d'une manière portant atteinte à la présomption d'innocence.
42.
Partant, il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 2 de la Convention.
II. Sur la violation alléguée de l'article 6 § 1 de la Convention en raison de la condamnation du requerant pour meurtre
43.
Le requérant met en cause l'équité de la procédure, au motif que les juges du fond ne se sont pas livrés à un examen effectif de ses arguments concernant sa culpabilité individuelle dans les faits. Il invoque l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
‘ Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal (…) qui décidera (…) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. ’
44.
Le Gouvernement conteste cette thèse.
A. Sur la recevabilité
45.
Dans la mesure où le Gouvernement soulève les mêmes exceptions d'irrecevabilité que celles formulées dans le cadre du grief tiré de l'article 6 § 2 de la Convention, la Cour les rejette pour les mêmes motifs que ceux développés ci-dessus (voir paragraphes 25 à 32 ci-dessus).
46.
Par ailleurs, la Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
47.
Le requérant reproche aux juges internes d'avoir, par une application de la théorie de l'emprunt matériel de criminalité, retenu contre lui la circonstance aggravante du vol sans se prononcer sur la question de son implication individuelle dans ce meurtre. Il estime que les juges du fond avaient l'obligation de se demander s'il était intervenu matériellement dans la réalisation de l'infraction de meurtre, donc s'il avait commis un acte pouvant ôter la vie à la victime. Il fait par ailleurs remarquer que les éléments du dossier ne permettaient pas de retenir à son encontre une acceptation tacite de violences. De surcroît, les juridictions auraient dû motiver leur décision, c'est-à-dire qualifier individuellement à l'encontre du requérant les actes matériels et l'élément intentionnel du meurtre. Le requérant conclut qu'en raison du refus d'individualisation des questions posées, les juridictions internes n'ont pas procédé à un examen effectif de ses arguments au sujet de son implication personnelle dans le meurtre de la victime.
48.
Le Gouvernement expose que les juges du fond ont retenu la culpabilité du requérant dans le meurtre, en soulignant de façon circonstanciée le rôle prédominant qu'il avait joué. Ainsi, les juges ont admis qu'il résultait des circonstances qu'il avait accepté que le meurtre soit commis par un coauteur. Ils ont donc bien qualifié le rôle assumé par le requérant dans les faits qui lui sont reprochés, et, dans leur appréciation souveraine, ils ont considéré ces faits et ce rôle comme étant constitutifs de la circonstance aggravante. Le fait qu'ils ont fait état de l'emprunt matériel de criminalité n'est dès lors pas relevant, puisqu'il convient de considérer si les débats, dans leur ensemble, ont ou non lésé les droits de la défense. Or, il résulte des décisions internes ainsi que des déclarations des prévenus que le requérant était pour le moins l'instigateur et l'organisateur de l'exécution du crime. Le requérant a ainsi été condamné sur la base de l'examen objectif et détaillé du rôle effectivement joué et non parce qu'il n'aurait pas été prouvé qu'il n'était pas intervenu personnellement dans les brutalités à l'encontre de la victime.
49.
La Cour constate que le grief tiré de l'article 6 § 1 recoupe celui tiré de l'article 6 § 2. La Cour n'aperçoit donc aucun motif de s'écarter, au nom du principe général du procès équitable, de la conclusion à laquelle elle arrive en se plaçant sur le terrain spécifique de la présomption d'innocence. Pour le surplus, l'examen du dossier ne révèle à ses yeux nul manquement aux diverses exigences de l'article 6 § 1 (mutatis mutandis, Salabiaku c. France, précité, § 31 ; a contrario, Goktepe c. Belgique, précité, § 31).
III. Sur les autres violations alléguées
50.
Le requérant estime également qu'au niveau de l'instruction, la procédure n'a pas satisfait aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention. D'une part, il reproche au juge d'instruction de ne pas avoir rédigé un véritable rapport, et d'avoir omis de lui notifier une ordonnance de clôture d'instruction. D'autre part, il estime l'ordonnance de renvoi de la chambre du conseil du tribunal d'arrondissement insuffisamment motivée.
51.
La Cour rappelle toutefois qu'aux termes de l'article 35 § 1 de la Convention, elle ‘ ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes (…) ’. Aussi, l'article 35 impose-t-il de soulever devant l'organe interne adéquat, au moins en substance, les griefs que l'on entend formuler par la suite à Strasbourg.
52.
En l'espèce, il n'apparaît pas que le requérant ait épuisé les voies de recours internes, puisqu'il n'a soulevé ses doléances à aucun stade de la procédure, ni devant les autorités d'instruction concernées, ni devant les juges du fond, ni en cassation.
53.
Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté pour défaut d'épuisement des voies de recours internes en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la cour, à l'unanimité,
1.
Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l'article 6 § 1 de la Convention en raison de la condamnation du requérant pour meurtre et de l'article 6 § 2 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;
2.
Dit qu'il n'y a eu violation ni du paragraphe 2 ni du paragraphe 1 de l'article 6 de la Convention ;
Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 janvier 2011, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen
Greffier
Christos Rozakis
Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion concordante du juge Rozakis.
C.L.R.
S.N.
Opinion concordante du Juge Rozakis
(Traduction)
J'ai voté en l'espèce non sans quelque hésitation pour la non-violation de l'article 6 § 2 de la Convention (présomption d'innocence), et ce pour la raison suivante.
Le requérant a été condamné par les juridictions nationales — de première et deuxième instance — sur la base de l'article 475 du code pénal, tel qu'interprété par la Cour de cassation, non parce qu'il était l'auteur d'un meurtre, mais parce qu'il avait commis un vol. Il s'agissait d'un vol aggravé par un meurtre auquel il n'a pas été prouvé qu'il ait personnellement participé.
Les juridictions internes ont ajouté à sa condamnation cette circonstance aggravante, qui possède en droit luxembourgeois un caractère objectif, en prenant la peine d'expliquer pourquoi, en dépit du caractère objectif de la circonstance aggravante, elles considéraient que le requérant avait admis l'éventualité d'un recours à la force en participant au cambriolage au domicile de la victime alors qu'il savait que celle-ci était chez elle.
Il est vrai que l'article 475 mentionne le ‘ meurtre ’ comme le fondement de la sanction qu'il prévoit. Cependant, la Cour de cassation a interprété l'article 475 en considérant que le vol est le fait principal et le meurtre une circonstance aggravante de la condamnation pour vol. Selon les termes de la Cour de cassation :
‘ Dans le cas de l'article 475 du Code pénal, le vol est le fait principal et le meurtre une circonstance aggravante, objective et intrinsèque de ce fait ; cette circonstance aggravante pèse sur tous ceux qui ont coopéré au vol ; l'emprunt de criminalité ne se fait pas dans la personne de l'auteur du meurtre, mais dans son acte ; chacun des participants est puni, dans les limites objectives qui sont prévues pour son acte de coopération, dans la mesure de sa propre responsabilité, indépendamment de la responsabilité des autres ; ainsi sa responsabilité reste personnelle. ’
La cour d'appel, qui a statué en dernier ressort, a suivi la jurisprudence de la Cour de cassation et ainsi confirmé le jugement de première instance, déclarant :
‘ (…) la cour [d'appel] partage l'opinion des juges de première instance qu'il y a lieu de s'en tenir aux principes dégagés par la Cour de cassation luxembourgeoise selon lesquels les violences et menaces — dont le meurtre — sont des circonstances aggravantes réelles ou objectives, modifiant la criminalité du vol lui-même, et sont par conséquent communes à tous les auteurs et complices. Ces circonstances pèsent en tant que telles sur tous ceux qui ont participé au vol, même si leur participation directe et personnelle aux violences et menaces n'est pas établie. Le vol est le fait principal et les menaces et violences une circonstance aggravante, objective et intrinsèque de ce fait. ’
(soulignement ajouté par moi).
Dans ces conditions, tenant compte de ce que le requérant a été condamné pour vol avec la circonstance aggravante qu'un meurtre a été commis durant le vol et sachant que la circonstance aggravante qui a alourdi la peine se fondait sur l'interprétation de l'article 475 à laquelle la Cour de cassation a procédé dans un certain nombre de décisions antérieures, il est difficile de considérer qu'il y a eu méconnaissance du droit du requérant à la présomption d'innocence.
En outre, il faut aussi tenir compte des faits de la cause tels que décrits par les juridictions nationales (paragraphe 35 de l'arrêt), qui indiquent clairement que le requérant ‘ avait envisagé et accepté le fait que des violences seraient exercées pour maîtriser l'habitante de la maison à cambrioler ’.
Voilà pourquoi, en dépit de quelques hésitations dues au fait que la condamnation du requérant a été fondée sur l'article 475, qui traite du ‘ meurtre ’, et que l'élément qui a aggravé le vol découlait en réalité d'une interprétation donnée par la Cour de cassation de cet article (du code pénal) au libellé par ailleurs clair, j'ai voté pour la non-violation de l'article 6 § 2 de la Convention.