EHRM, 02-02-2010, nr. 964/07
ECLI:NL:XX:2010:BM3649
- Instantie
Europees Hof voor de Rechten van de Mens
- Datum
02-02-2010
- Magistraten
Peer Lorenzen, Jean-Paul Costa, Karel Jungwiert, Rait Maruste, Mark Villiger, Isabelle Berro-Lefèvre, Mirjana Lazarova Trajkovska
- Zaaknummer
964/07
- LJN
BM3649
- Roepnaam
Dalea/Frankrijk
- Vakgebied(en)
Internationaal publiekrecht / Mensenrechten
Internationaal publiekrecht (V)
Politierecht / Organisatie
Vreemdelingenrecht (V)
Strafprocesrecht (V)
- Brondocumenten en formele relaties
ECLI:NL:XX:2010:BM3649, Uitspraak, Europees Hof voor de Rechten van de Mens, 02‑02‑2010
Uitspraak 02‑02‑2010
Peer Lorenzen, Jean-Paul Costa, Karel Jungwiert, Rait Maruste, Mark Villiger, Isabelle Berro-Lefèvre, Mirjana Lazarova Trajkovska
Partij(en)
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 964/07
présentée par Gheorghe DALEA
contre la France
La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant le 2 février 2010 en une chambre composée de :
Peer Lorenzen, président,
Jean-Paul Costa,
Karel Jungwiert,
Rait Maruste,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Mirjana Lazarova Trajkovska, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 21 décembre 2006,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
En fait
Le requérant, M. Gheorghe Dalea, est un ressortissant roumain, né en 1928 et résidant à Bucarest (Roumanie). Il est représenté devant la Cour par Me V. Cujas, avocat à Paris.
A. Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le requérant était directeur général d'une société roumaine d'import-export de produits pharmaceutiques et, à ce titre, fut amené à se rendre régulièrement de 1971 à 1982 à l'étranger, et notamment en France, où sa société avait une filiale en commun avec une société française.
A partir de 1982, il occupa des fonctions de conseiller auprès de l'ambassade de Roumanie en Italie et n'eut donc plus l'occasion de voyager en France. Il prit sa retraite en 1989.
En 1991, il créa une nouvelle société d'import-export de produits pharmaceutiques.
En 1997, il sollicita auprès de l'ambassade d'Allemagne en Roumanie un visa pour se rendre en Allemagne, pour un séjour à caractère personnel et professionnel. Le 6 août 1997, le visa lui fut refusé, au motif qu'il faisait l'objet de la part des autorités françaises d'un signalement aux fins de non-admission dans le fichier du système d'information Schengen.
L'existence de cette inscription lui fut confirmée l'année suivante par le consulat français en Roumanie, qui lui refusa pour ce même motif un visa pour la France, où l'intéressé devait subir une intervention de chirurgie cardiaque (l'opération eut finalement lieu en Suisse).
Par une lettre du 19 février 2003, le requérant demanda des explications à l'ambassadeur de France en Roumanie. Le 7 mars 2003, l'ambassadeur lui confirma son inscription dans le fichier Schengen par les autorités françaises, et l'invita à s'adresser à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) pour que celle-ci mène toutes les investigations utiles et demande éventuellement à ce qu'il soit procédé aux rectifications nécessaires dans le fichier d'information Schengen.
Le requérant suivit cet avis et saisit la CNIL, demandant d'une part à ce que lui soient communiquées les informations le concernant qui figuraient dans le système informatique national du système d'information Schengen, et, d'autre part, à ce que ces données soient rectifiées ou effacées.
Par une lettre en date du 27 août 2003, la CNIL indiqua au requérant que l'un des membres de la Commission chargé de l'exercice du droit d'accès indirect avait procédé aux vérifications demandées en application des dispositions de l'article 39 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. La CNIL ajouta que la procédure auprès d'elle était désormais terminée et signala au requérant qu'un recours pour excès de pouvoir auprès du Conseil d'Etat lui était ouvert.
Se prévalant de cette possibilité, le requérant saisit le Conseil d'Etat le 28 octobre 2003.
Le 13 mai 2004, le président de la CNIL présenta un mémoire en défense, auquel étaient jointes deux fiches, d'une part une fiche ‘ Opposition entrée France ’, créée le 20 décembre 1989, modifiée le 26 janvier 1994 et expirant le 7 septembre 2008, et d'autre part une fiche de signalement dans le fichier Schengen, valable du 2 novembre 1994 au 5 janvier 2006. Dans ce mémoire, le président de la CNIL précisait que les données litigieuses concernant le requérant intéressaient la sûreté et la sécurité publiques, et qu'en l'absence d'accord du ministère de l'Intérieur elles ne pouvaient être communiquées à l'intéressé.
Par une décision avant dire droit du 16 février 2005, la haute juridiction releva que, dans le cadre de l'instruction écrite devant elle, le requérant avait eu communication des informations concernant son inscription dans le système informatique national du système d'information Schengen. Dès lors, elle estima que la demande d'annulation pour excès de pouvoir de la décision de la CNIL, en tant qu'elle refusait à l'intéressé la communication de ces informations, était devenue sans objet.
Le Conseil d'Etat constata par ailleurs que ‘ l'état de l'instruction ne permet[tait] pas de connaître les motifs de l'inscription du requérant dans le système, ni d'apprécier par conséquent la légalité du refus qu'aurait opposé la [CNIL] à sa demande tendant à la rectification ou à l'effacement de cette inscription ’. Par conséquent, il ordonna à la CNIL de lui transmettre dans un délai de deux mois tous éléments utiles à la solution du litige et relatifs aux motifs concernant l'inscription du requérant dans le système informatique national du système d'information Schengen, et ce à la date de sa décision du 27 août 2003. La haute juridiction ajouta que, dans l'hypothèse où la CNIL estimerait que ces motifs, ou certains d'entre eux, étaient couverts par un secret garanti par la loi ou se fondaient sur des données intéressant la sûreté de l'Etat, la défense et la sécurité publique, et où elle estimerait devoir refuser leur communication, il lui appartiendrait néanmoins de verser au dossier de l'instruction écrite contradictoire tous éléments d'information appropriés sur la nature des pièces écartées et les raisons de leur exclusion, de façon à permettre au Conseil d'Etat de se prononcer en connaissance de cause sans porter atteinte, directement ou indirectement, aux secrets garantis par la loi ou imposés par des considérations tenant à la sûreté de l'Etat, à la défense et la sécurité publique.
Par une lettre du 12 juillet 2005, la CNIL indiqua que le signalement du requérant dans le fichier Schengen résultait de la demande de la direction de la surveillance du territoire (DST) d'inscrire l'intéressé dans le fichier des personnes recherchées. Elle précisa qu'elle-même ne disposait pas du contenu du dossier détenu par la DST, qui seule était en mesure de communiquer au Conseil d'Etat les éléments utiles pour permettre à la haute juridiction d'apprécier si la demande de rectification des informations formulée par le requérant était ou non fondée.
Par un arrêt du 23 août 2006, le Conseil d'Etat constata que le requérant avait fait l'objet le 2 novembre 1994 d'un signalement valable jusqu'au 5 janvier 2006 dans le fichier Schengen, sur le fondement de l'article 96 § 2 de la Convention d'application de l'accord de Schengen et de l'article 3 du décret d'application de celle-ci (voir la partie ‘ le droit pertinent ’ ci-dessous), et ce à la demande de la DST. Il ajouta que les membres de la CNIL en charge du droit d'accès indirect avaient estimé lors de leurs investigations ‘ qu'au vu des éléments qui leur étaient présentés et des explications fournies il n'y avait pas lieu de faire procéder à la rectification ou à l'effacement, dans le système d'information Schengen, des données concernant le requérant ’. Le Conseil d'Etat estima qu'il ressortait de l'ensemble des pièces du dossier que les motifs de la commission pour refuser de faire procéder à la rectification et à l'effacement des informations concernant le requérant étaient de nature à justifier légalement sa décision. Dès lors, il conclut que l'intéressé n'était pas fondé à demander l'annulation de la décision de la CNIL.
B. Le droit pertinent
L'article 92 de la Convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985 institue le ‘ système d'information Schengen ’ (SIS), composé d'une partie nationale auprès de chacune des parties contractantes et d'une fonction de support technique. La même disposition précise que le SIS permet aux autorités désignées par les Parties Contractantes de disposer de signalements de personnes et d'objets notamment, pour la catégorie de signalement visée à l'article 96, ‘ aux fins de la procédure de délivrance de visas, de la délivrance des titres de séjour et de l'administration des étrangers dans le cadre de l'application des dispositions sur la circulation des personnes de la présente convention ’. Plus généralement, le système a pour objet, conformément à l'article 93 de ladite convention, ‘ de préserver l'ordre et la sécurité publics y compris la sûreté de l'Etat, et l'application des dispositions sur la circulation des personnes de la présente convention, sur les territoires des Parties contractantes à l'aide des informations transmises par ce système ’.
Les autres dispositions pertinentes de cette convention se lisent ainsi :
Article 94
- ‘1.
Le Système d'Information Schengen comporte exclusivement les catégories de données qui sont fournies par chacune des Parties Contractantes et qui sont nécessaires aux fins prévues aux articles 95 à 100. La Partie Contractante signalante vérifie si l'importance du cas justifie l'intégration du signalement dans le Système d'Information Schengen.
(…)
- 3.
Pour les personnes, les éléments intégrés sont au maximum les suivants :
- a)
les nom et prénom, les ‘ alias ’ éventuellement enregistrés séparément ;
- b)
les signes physiques particuliers, objectifs et inaltérables ;
- c)
la première lettre du deuxième prénom ;
- d)
la date et le lieu de naissance ;
- e)
le sexe ;
- f)
la nationalité ;
- g)
l'indication que les personnes concernées sont armées ;
- h)
l'indication que les personnes concernées sont violentes ;
- i)
le motif du signalement ;
- j)
la conduite à tenir.
(…)’
Article 96
- ‘1.
Les données relatives aux étrangers qui sont signalés aux fins de non-admission sont intégrées sur la base d'un signalement national résultant de décisions prises, dans le respect des règles de procédure prévues par la législation nationale, par les autorités administratives ou les juridictions compétentes.
- 2.
Les décisions peuvent être fondées sur la menace pour l'ordre public ou la sécurité et la sûreté nationales que peut constituer la présence d'un étranger sur le territoire national.
Tel peut être notamment le cas :
- a)
d'un étranger qui a été condamné pour une infraction passible d'une peine privative de liberté d'au moins un an ;
- b)
d'un étranger à l'égard duquel il existe des raisons sérieuses de croire qu'il a commis des faits punissables graves, (…) ou à l'égard duquel il existe des indices réels qu'il envisage de commettre de tels faits sur le territoire d'une Partie Contractante.
(…) ’
Article 106
- ‘1.
Seule la partie contractante signalante est autorisée à modifier, à compléter, à rectifier ou à effacer les données qu'elle a introduites.
(…) ’
Article 109
‘ Le droit de toute personne d'accéder aux données la concernant qui sont intégrées dans le système d'information Schengen s'exerce dans le respect du droit de la partie contractante auprès de laquelle elle le fait valoir. Si le droit national le prévoit, l'autorité nationale de contrôle prévue par l'article 114 paragraphe 1 décide si des informations sont communiquées et selon quelles modalités (…). ’
Article 110
‘ Toute personne peut faire rectifier des données entachées d'erreur de fait la concernant ou faire effacer des données entachées d'erreur de droit la concernant. ’
Article 111
- ‘1.
Toute personne peut saisir, sur le territoire de chaque partie contractante, la juridiction ou l'autorité compétentes en vertu du droit national, d'une action notamment en rectification, en effacement, en information ou en indemnisation en raison d'un signalement la concernant.
(…) ’
Article 114
- ‘ 1.
Chaque partie contractante désigne une autorité de contrôle chargée, dans le respect du droit national, d'exercer un contrôle indépendant du fichier de la partie nationale du système d'information Schengen et de vérifier que le traitement et l'utilisation des données intégrées dans le système d'information Schengen ne sont pas attentatoires aux droits de la personne concernée (…)
- 2.
Toute personne a le droit de demander aux autorités de contrôle de vérifier les données la concernant intégrées dans le système d'information Schengen ainsi que l'utilisation qui est faite de ces données. Ce droit est régi par le droit national de la partie contractante auprès de laquelle la demande est introduite. ’
Aux termes de l'article 6 du décret du 6 mai 1995 relatif au système informatique national du système d'information Schengen (N-SIS), le droit d'accès aux données enregistrées dans ce système informatique s'exerce auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), conformément aux articles 109 et 114 de la convention et à l'article 39 de la loi du 6 janvier 1978, sans préjudice des dispositions réglementaires relatives aux données susceptibles d'être consultées directement par l'intéressé exerçant ce droit.
Les articles 2 et 3 de ce décret se lisent ainsi :
Article 2
‘ La finalité exclusive du système informatique national du système d'information Schengen dénommé N-SIS est la centralisation d'informations concernant les personnes et objets recherchés par les autorités administratives et judiciaires des Etats parties à la convention d'application de l'accord de Schengen, afin de permettre aux autorités désignées par ces Etats de mettre en œuvre les conduites à tenir relatives aux personnes et objets recherchés. ’
Article 3
- ‘ I. —
Peuvent faire l'objet d'un traitement automatisé dans le N-SIS les données nominatives relatives aux personnes suivantes :
- —
les personnes recherchées pour arrestation aux fins d'extradition ;
- —
les étrangers signalés aux fins de non-admission à la suite d'une décision administrative ou judiciaire ;
- —
les personnes disparues et les personnes qui, dans l'intérêt de leur propre protection ou pour la prévention de menaces, doivent être placées provisoirement en sécurité ;
- —
les personnes recherchées par l'autorité judiciaire dans le cadre d'une procédure pénale ;
- —
les personnes recherchées par l'autorité judiciaire pour la notification ou l'exécution d'une décision pénale.
- II. —
Peuvent faire l'objet d'un traitement automatisé aux seules fins de surveillance discrète et de contrôle spécifique, les données relatives aux personnes ou aux véhicules signalés pour les motifs suivants :
- a)
Cet enregistrement est nécessaire pour la répression d'infractions pénales et pour la prévention de menace pour la sécurité publique, lorsque des indices réels font présumer que la personne concernée envisage de commettre ou commet des faits punissables nombreux et extrêmement graves, ou lorsque l'appréciation globale de l'individu, en particulier sur la base des faits punissables commis jusqu'alors par l'intéressé, permet de supposer qu'il commettra également à l'avenir des faits punissables extrêmement graves ;
- b)
Des indices concrets permettent de supposer que les informations visées au paragraphe 4 de l'article 99 de la convention d'application de l'Accord de Schengen du 19 juin 1990 sont nécessaires à la prévention d'une menace grave émanant de l'intéressé ou d'autres menaces graves pour la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat. ’
Les dispositions pertinentes de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés sont les suivantes :
Article 36
‘ Le titulaire du droit d'accès peut exiger que soient rectifiées, complétées, clarifiées, mises à jour ou effacées les informations le concernant et qui sont inexactes, incomplètes, équivoques, périmées ou dont la collecte et l'utilisation, la communication ou la conservation est interdite. ’
Article 39
‘ En ce qui concerne les traitements intéressant la sûreté de l'Etat, la défense et la sécurité publique, la demande est adressée à la Commission qui désigne l'un de ses membres appartenant ou ayant appartenu au Conseil d'Etat, à la Cour de cassation ou à la Cour des comptes pour mener toutes investigations utiles et faire procéder aux modifications nécessaires. Celui-ci peut se faire assister d'un agent de la Commission. Il est notifié au requérant qu'il a été procédé aux vérifications. ’
Griefs
1.
Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, le requérant allègue que la décision de ne pas l'admettre sur le territoire français, valable du 20 décembre 1989 au 7 septembre 2008, sans qu'il soit informé des motifs de cette mesure ni même de son existence au moment où elle a été prise, n'était pas conforme aux principes du procès équitable.
Sur le terrain de la même disposition, il se plaint de ne pas avoir bénéficié d'un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial dans le cadre de la procédure d'accès aux données le concernant figurant dans le fichier Schengen, en ce qu'il n'a jamais pu avoir connaissance, ni devant la CNIL ni devant le Conseil d'Etat, des motifs ayant présidé à son inscription par les autorités françaises dans ce fichier, qui est restée en vigueur du 2 novembre 1994 au 5 janvier 2006, l'empêchant ainsi de pénétrer dans l'ensemble de l'espace Schengen pendant toute cette période.
2.
Le requérant allègue au regard de l'article 8 de la Convention que cette inscription a constitué une ingérence dans son droit au respect de sa vie privée, dans la mesure où il lui a été impossible pendant la période susmentionnée d'effectuer tout séjour à caractère personnel ou professionnel dans les pays composant l'espace Schengen.
En droit
1.
Le requérant fait valoir qu'il n'a pas bénéficié d'un procès équitable s'agissant de la décision de non-admission sur le territoire français dont il a fait l'objet, qui est restée valable du 20 décembre 1989 au 7 septembre 2008 et était assortie d'une inscription dans le fichier Schengen pendant onze ans et deux mois. En effet, cette décision a été prise sans qu'il ait été informé de ses motifs ni même de son existence. Il y voit une violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
Toujours sous l'angle de l'article 6 § 1, le requérant soutient ne pas avoir disposé d'une procédure conforme aux principes du procès équitable pour accéder aux données le concernant figurant dans le fichier Schengen.
Le passage pertinent de l'article 6 § 1 de la Convention se lit ainsi :
- ‘ 1.
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (…) ’
La Cour rappelle d'emblée que, selon sa jurisprudence établie, les décisions relatives à l'entrée, au séjour et à l'éloignement des étrangers n'emportent pas contestation sur des droits ou obligations de caractère civil ni n'ont trait au bien-fondé d'une accusation en matière pénale, au sens de l'article 6 § 1 de la Convention (Maaouia c. France [GC], no 39652/98, § 40, CEDH 2000-X). Dès lors, la mesure de non-admission sur le territoire français dont le requérant a fait l'objet, quels qu'aient été ses motifs, ses conséquences et sa durée, ne relève pas du champ d'application de cette disposition.
En ce qui concerne la conformité à l'article 6 de la procédure mise en place par la Convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985 en vue de permettre aux personnes concernées d'accéder à leurs données personnelles figurant dans le fichier Schengen et, le cas échéant, de faire rectifier ou effacer ces données, la Cour observe que, selon l'article 92 de cette convention, le système d'information Schengen vise notamment à permettre aux Etats contractants, pour la catégorie de signalement relevant de l'article 96 (applicable en l'espèce), de disposer de signalements de personnes ‘ aux fins de la procédure de délivrance de visas, de la délivrance des titres de séjour et de l'administration des étrangers dans le cadre de l'application des dispositions sur la circulation des personnes de la présente convention ’.
La Cour constate que l'instance en cause présente donc des liens étroits avec la réglementation relative à l'entrée et au séjour des étrangers, et notamment avec les procédures de délivrance de visas. Elle observe en effet que c'est à la suite des refus opposés aux demandes de visas qu'il a présentées auprès des autorités françaises ou allemandes que le requérant a été informé de son inscription dans le fichier Schengen. En outre, il ressort du dossier que l'intéressé, en saisissant la CNIL puis le Conseil d'Etat, avait pour but ultime d'obtenir le droit d'entrer et de circuler dans les pays composant l'espace Schengen, notamment en France et en Allemagne. Dès lors, eu égard à la connexité de la procédure litigieuse avec une matière qui échappe au champ d'application de l'article 6, la Cour estime que ladite procédure n'avait pas pour objet de décider d'une contestation sur un droit de caractère civil du requérant ou du bien-fondé d'une accusation en matière pénale dirigée contre lui, au sens de cette disposition.
Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que cette partie de la requête est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention et doit être rejetée conformément à l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2.
Le requérant se plaint que son inscription dans le fichier Schengen par les autorités publiques françaises s'analyse en une ingérence de celles-ci dans son droit au respect de sa vie privée et familiale. En raison de cette inscription, il a été empêché de voyager dans un nombre important de pays aussi bien à titre privé que professionnel. Il allègue que cette situation a porté atteinte à son activité professionnelle, faisant valoir que ses partenaires commerciaux comprenaient difficilement qu'il ne puisse pas se déplacer dans l'espace Schengen, notamment en France et en Allemagne. Sur le plan privé, le requérant fait état de relations avec des personnalités en France, et indique qu'en raison de l'impossibilité pour lui d'entrer sur le territoire français une opération qu'il devait subir en France a dû être annulée au dernier moment et finalement être réalisée en Suisse.
L'article 8 de la Convention, en ses passages pertinents, est ainsi libellé :
- ‘ 1.
Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (…).
- 2.
Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale (…). ’
La Cour rappelle d'emblée que la Convention ne garantit, comme tel, aucun droit d'entrer ou de résider dans un Etat dont on n'est pas ressortissant. Toutefois, leurs décisions en la matière, dans la mesure où elles porteraient atteinte à un droit protégé par le paragraphe 1 de l'article 8, doivent se révéler nécessaires dans une société démocratique et, notamment, proportionnées au but légitime poursuivi, en l'occurrence la protection de la sécurité nationale (Üner c. Pays-Bas [GC], no 46410/99, § 54, CEDH 2006-…).
Dans la mesure où les liens professionnels du requérant notamment avec des sociétés françaises et allemandes, ainsi que ses relations en France avec des personnalités du monde politique et économique, peuvent passer pour constituer une ‘ vie privée ’ au sens de l'article 8, la Cour estime que l'atteinte portée à cette ‘ vie privée ’ du fait de l'inscription de l'intéressé par les autorités françaises dans le fichier Schengen était ‘ prévue par la loi ’ (en l'occurrence la Convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985 et le décret du 6 mai 1995 relatif au système informatique national du système d'information Schengen) et poursuivait le but légitime de protection de la sécurité nationale.
Quant à la proportionnalité de la mesure d'inscription dans le fichier Schengen dont le requérant a fait l'objet, la Cour relève que, pour l'essentiel, l'activité professionnelle de l'intéressé en tant que dirigeant de société et les liens qu'il a noués et entretenus dans ce cadre semblent dater d'avant 1982, date de son changement de fonctions, même s'il est vrai qu'il a repris une activité d'import-export en 1991, deux ans après sa retraite. Par ailleurs, elle constate que le requérant ne fait état d'aucune incidence concrète qui aurait découlé de l'impossibilité pour lui de voyager dans l'espace Schengen. En effet, il ne fait qu'évoquer, sans plus de précision, un ‘ préjudice considérable, du fait des conséquences sur la bonne marche de son entreprise ’, et souligne qu'il n'a pas pu subir en France une opération qui s'est finalement déroulée en Suisse, ce qui, semble-t-il, n'a eu aucune conséquence notable sur son état de santé. Dès lors, eu égard à ces éléments, la Cour estime que l'ingérence par les autorités françaises dans le droit du requérant au respect de sa vie privée constituait une mesure proportionnée au but poursuivi et donc nécessaire dans une société démocratique.
Pour autant que l'on puisse considérer que le requérant allègue une ingérence dans le respect de son droit à sa vie privée du simple fait de son inscription pendant une longue période dans le fichier Schengen, la Cour rappelle que toute personne qui fait l'objet d'une mesure basée sur des motifs de sécurité nationale doit bénéficier de garanties contre l'arbitraire. Elle doit notamment avoir la possibilité de faire contrôler la mesure litigieuse par un organe indépendant et impartial, habilité à se pencher sur toutes les questions de fait et de droit pertinentes, pour trancher sur la légalité de la mesure et sanctionner un éventuel abus des autorités. Devant cet organe de contrôle, la personne concernée doit bénéficier d'une procédure contradictoire afin de pouvoir présenter son point de vue et réfuter les arguments des autorités (Al-Nashif c. Bulgarie, no 50963/99, §§ 123 et 124, 20 juin 2002 ; Kaya c. Roumanie, no 33970/05, § 41, 12 octobre 2006 et aussi C.G. et autres c. Bulgarie, no 1365/07, §§ 39 à 41, 24 avril 2008).
Dans la présente affaire, la Cour relève d'abord la particularité des circonstances de l'espèce puisque, contrairement aux affaires précitées qui concernaient des expulsions de personnes ayant résidé dans les pays concernés, il s'agissait au contraire pour le requérant d'obtenir des visas d'entrée en Allemagne et France et, par conséquent, d'avoir accès à l'espace Schengen. La Cour note l'impact qu'a eu pour le requérant son inscription au fichier Schengen, celle-ci lui ayant interdit l'accès non pas au territoire d'un seul Etat, mais à celui de l'ensemble des pays appliquant les dispositions de l'accord de Schengen. Toutefois, elle estime à cet égard que, s'agissant de l'entrée sur un territoire, les Etats jouissent d'une marge d'appréciation importante quant aux modalités visant à assurer les garanties contre l'arbitraire auxquelles une personne placée dans cette situation peut prétendre (voir, a contrario, C.G.et autres, précitée, §§ 45 et suiv.)
La Cour observe ensuite que le requérant a bénéficié d'un contrôle de la mesure litigieuse d'abord par la CNIL, puis par le Conseil d'Etat dans le cadre du recours pour excès de pouvoir. Elle relève que la haute juridiction administrative a tout d'abord demandé des précisions à la CNIL concernant les motifs de l'inscription au fichier Schengen, pour conclure que la commission avait légalement justifié sa décision de ne pas faire procéder à la rectification et à l'effacement des informations en question et ce, après qu'un membre de cette commission, désigné conformément aux dispositions de l'article 39 de la loi du 6 janvier 1978 (voir partie ‘ droit interne pertinent ’), ait procédé aux vérifications demandées. Elle constate que, si le requérant ne s'est jamais vu offrir la possibilité de combattre le motif précis de cette inscription, il a eu connaissance de toutes les autres données le concernant figurant dans le fichier Schengen, et du fait que le signalement, requis par la DST, se fondait sur des considérations tenant à la sûreté de l'Etat, à la défense et la sécurité publique.
La Cour conclut que l'impossibilité pour l'intéressé d'accéder personnellement à l'intégralité des renseignements qu'il demandait ne saurait, en soi, prouver que l'ingérence n'était pas justifiée au regard des exigences de la sécurité nationale (voir, mutatis mutandis, Leander c. Suède, 26 mars 1987, § 66, série A no116).
Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit également être rejetée conformément à l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Claudia Westerdiek
Greffière
Peer Lorenzen
Président