EHRM, 14-01-2010, nr. 54522/00
ECLI:NL:XX:2010:BM0430
- Instantie
Europees Hof voor de Rechten van de Mens
- Datum
14-01-2010
- Magistraten
Christos Rozakis, Nina Vajić, Anatoly Kovler, Elisabeth Steiner, Khanlar Hajiyev, Dean Spielmann, Sverre Erik Jebens
- Zaaknummer
54522/00
- LJN
BM0430
- Vakgebied(en)
Internationaal publiekrecht / Mensenrechten
Civiel recht algemeen (V)
Insolventierecht (V)
- Brondocumenten en formele relaties
ECLI:NL:XX:2010:BM0430, Uitspraak, Europees Hof voor de Rechten van de Mens, 14‑01‑2010
Uitspraak 14‑01‑2010
Christos Rozakis, Nina Vajić, Anatoly Kovler, Elisabeth Steiner, Khanlar Hajiyev, Dean Spielmann, Sverre Erik Jebens
Partij(en)
ARRÊT
STRASBOURG
14 janvier 2010
Demande de renvoi devant la Grande Chambre en cours
En l'affaire Kotov c. Russie,
La Cour européenne des droits de l'homme (première section),
siégeant en une chambre composée de :
Christos Rozakis, président,
Nina Vajić,
Anatoly Kovler,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Dean Spielmann,
Sverre Erik Jebens, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 4 mai 2006 et 15 décembre 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
Procédure
1.
A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 54522/00) dirigée contre la Fédération de Russie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Vladimir Mikhaïlovitch Kotov (‘ le requérant ’), avait saisi la Commission européenne des droits de l'homme (‘ la Commission ’) le 15 juillet 1998 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (‘ la Convention ’).
2.
Le gouvernement russe (‘ le Gouvernement ’) a été représenté par M. P. Laptev, représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l'homme.
3.
Le requérant alléguait en particulier l'impossibilité d'obtenir le remboursement effectif de sa créance dans le cadre de la procédure de liquidation d'une banque privée.
4.
La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole no 11).
5.
Par une décision du 4 mai 2006, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.
6.
Le Gouvernement a déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement), mais non le requérant.
En fait
I. Les circonstances de l'espèce
7.
Le requérant est né en 1948 et réside à Krasnodar.
1. Procédure en restitution d'avoirs contre la banque
8.
Le 15 avril 1994, le requérant déposa 3 330 nouveaux roubles (‘ roubles ’) sur un compte d'épargne de la banque commerciale ‘ Yurak ’ (‘ la banque ’) avec un taux d'intérêt de 200 % par an. Entre avril et juillet 1994, il retira une somme de 555 roubles, accumulée sur le compte au titre d'intérêts. Suite à la modification du taux d'intérêt par la banque, le requérant demanda en août 1994 la fermeture du compte, mais la banque l'informa de l'impossibilité de lui restituer le montant primitif de son dépôt ainsi que les intérêts dus, en raison de l'absence de fonds.
9.
Le requérant assigna la banque en justice et requit le remboursement du montant primitif du dépôt, majoré d'intérêts, le versement des pénalités de 3 % par jour et la compensation du dommage matériel (subi en raison de la construction d'une maison) et moral (dû à la détérioration de sa santé).
10.
Le 20 février 1995, le tribunal du district d'Oktyabrskii de la ville de Krasnodar fit partiellement droit à ces demandes. Il établit qu'à la fermeture du compte, la banque devait au requérant une somme de 3 607 roubles, correspondant au montant primitif du dépôt et aux intérêts au titre du mois d'août 1994. Procédant à l'indexation de cette somme, le tribunal condamna la banque à payer au requérant 6 276 roubles. Il ordonna par ailleurs le versement de 3 330 roubles au titre de pénalités et de 500 roubles comme compensation morale, la somme totale s'élevant à 10 156 roubles.
11.
Cette décision fut confirmée en dernier ressort le 21 mars 1995.
12.
Par une décision du tribunal d'Oktyabrskii du 5 avril 1996, la somme susmentionnée fut portée à 17 983 roubles, compte tenu de l'absence de versement de 10 156 roubles et du taux d'inflation.
13.
Entre-temps, le 16 juin 1995, sur demande de la Banque Centrale et de la Banque d'Epargne de la Russie, la cour d'arbitrage de la région de Krasnodar déclara la banque en faillite.
14.
Le 19 juillet 1995, la procédure de faillite fut ouverte par la même cour et un liquidateur fut nommé pour procéder aux opérations de liquidation.
2. Première procédure en contestation de la distribution illégale des actifs aux créanciers
15.
Le 11 janvier 1996, la cour d'arbitrage homologua le bilan provisoire de liquidation selon l'état de trésorerie au 28 décembre 1995.
16.
Sur le fondement de ce bilan, le comité des créanciers de la banque décida les 18 janvier et 13 mars 1996 de faire distribuer les actifs à une certaine catégorie de créanciers en premier lieu. Ainsi, des invalides, vétérans de la Seconde guerre mondiale, personnes en situation de besoin et personnes ayant participé activement aux opérations de liquidation, soit 700 personnes (10 % de créanciers environ), furent remboursés par le liquidateur à 100 % du montant indexé de leurs dépôts avec intérêts. Il fut décidé de rembourser les autres créanciers selon les mêmes modalités, au fur et à mesure de la constitution des actifs.
17.
Le requérant adressa au liquidateur une demande de remboursement de sa créance de 17 983 roubles. Suite à cette demande, une somme de 140 roubles lui fut versée le 6 avril 1998.
18.
Le 22 avril 1998, le requérant contesta devant la cour d'arbitrage le remboursement à 100 % des autres créanciers, alors que, en tant que créancier de premier rang, il n'avait reçu que 140 roubles. Invoquant les articles 15 et 30 de la loi relative à l'insolvabilité des entreprises de 1992 (‘ loi de 1992 ’), il demanda le remboursement du restant de sa créance conformément au principe de proportionnalité. L'article 30 de cette loi prévoyait, en cas d'insuffisance d'actifs pour désintéresser tous les créanciers, le remboursement des créanciers de même rang proportionnellement à la somme due à chacun d'eux. En l'espèce, à la date de la demande du requérant, 2 305 000 roubles avaient été dégagés suite aux opérations de liquidation, qui avaient servi à rembourser à 100 % les différentes catégories susmentionnées de créanciers (voir le paragraphe 16 ci-dessus).
19.
Le 6 juillet 1998, le requérant fut débouté en première instance, au motif que la somme de sa créance (17 983 roubles) correspondait à 0,78 % des actifs d'un montant total de 2 305 000 roubles qui, dégagés suite aux opérations de liquidation, avaient servi pour désintéresser une certaine catégorie de créanciers. Selon la règle de proportionnalité, il ne pouvait donc recevoir que 0,78 % de 17 983 roubles, soit 140 roubles. Cette somme lui avait déjà été versée le 6 avril 1998, alors que le restant de sa créance lui serait remboursé dans les limites des fonds dégagés suite aux opérations de liquidation à venir.
20.
En appel, le 26 août 1998, la cour régionale d'arbitrage constata que, contrairement aux exigences de l'article 27 de la loi de 1992, le liquidateur n'avait pas dressé la liste de créanciers permettant d'identifier les créanciers à être remboursés en premier lieu et les sommes correspondantes à verser à chacun d'eux séparément. Suivant les documents produits par le liquidateur, il n'était pas possible de savoir quel était le rang de priorité du requérant parmi tous les créanciers, le liquidateur lui-même affirmant oralement qu'il s'agissait d'un créancier de cinquième rang. La cour régionale considéra qu'en décidant de rembourser à 100 % une certaine catégorie de créanciers, le comité des créanciers avait excédé les limites de ses compétences établies par l'article 23 de la loi de 1992. En exécutant une telle décision et distribuant les actifs de la sorte, le liquidateur avait pour sa part enfreint les exigences des articles 15 et 30 de la loi précitée. Rappelant que 30 de cette loi ne prêtait pas à une interprétation large de ses termes, la cour régionale enjoignit au liquidateur de remédier aux violations constatées dans un délai d'un mois et de l'informer des mesures prises à cet égard.
21.
Le liquidateur se pourvut en cassation devant la cour fédérale d'arbitrage du Caucase du Nord et soutint qu'il avait procédé à la distribution des actifs en exécution de la décision du comité des créanciers, que cette distribution avait eu lieu conformément à l'article 64 du code civil et qu'elle n'était pas, de ce fait, contraire aux exigences de l'article 30 de la loi de 1992 (voir les paragraphes 33 et 34 ci-dessous). Le 12 novembre 1998, son pourvoi fut rejeté. Confirmant la décision du 26 août 1998, l'instance de cassation précisa que le liquidateur n'aurait pas dû procéder à l'exécution d'une décision rendue par le comité des créanciers en violation de la loi.
22.
L'exécution de la décision du 26 août 1998 et, en particulier, le redressement de la situation financière du requérant, ne furent pas possibles en raison de l'absence d'actifs.
3. Seconde procédure en contestation de la distribution illégale des actifs aux créanciers
23.
Confronté à l'absence d'exécution de la décision du 26 août 1998, le requérant déposa devant la cour d'arbitrage une plainte du 2 septembre 1998 qu'il compléta par la suite par une plainte du 27 janvier 1999. Il demanda que le liquidateur en personne lui rembourse la somme indexée du restant de sa créance de 17 983 roubles, avec intérêts, ainsi qu'une compensation du dommage moral causé par son action illégale.
24.
Les plaintes en question furent examinées dans le cadre de la procédure de faillite ouverte contre la banque.
25.
Le 4 février 1999, la cour régionale d'arbitrage rejeta la demande du requérant au motif que, les 20 février 1995 et 5 avril 1996, le tribunal d'arrondissement d'Oktyabrskii avait alloué au requérant une somme de 17 983 roubles au titre du règlement de sa créance et de dommages et intérêts, et que la cour ne pouvait se prononcer pour la deuxième fois sur les mêmes demandes. La cour régionale établit que le requérant figurait sous le numéro 519 de la liste des créanciers et qu'au titre du dépôt proprement dit, la banque lui devait une somme résiduelle de 8 813 roubles. Elle rappela que cette somme pouvait lui être versée selon les conditions prévues à l'article 64 du code civil.
26.
Le 31 mars 1999, une formation de la cour régionale d'arbitrage, statuant en appel, confirma la décision du 4 février 1999 et rappela que, conformément à la loi de 1998, en vigueur au moment de l'examen des plaintes du requérant, seules les créances constituées lors du fonctionnement de la banque pouvaient faire l'objet d'un remboursement. Par conséquent, les demandes visant au versement de diverses sommes, auxquelles le requérant aurait acquis le droit après la faillite de la banque et en cours de sa liquidation, ne pouvaient être accueillies. L'instance d'appel constata qu'en vertu des décisions judiciaires, le requérant s'était vu reconnaître le droit à une créance de 17 983 roubles, ce qui correspondait au dommage causé par la banque avant sa faillite. Elle précisa qu'il était loisible au requérant de récupérer cette somme une fois les actifs suffisants dégagés suite aux opérations de liquidation. La plainte du requérant se résumait, aux yeux de l'instance d'appel, à requérir la somme précitée, majorée de pénalités en raison de sa non-réception.
27.
Le 9 juin 1999, la cour fédérale d'arbitrage du Caucase du Nord rejeta le pourvoi en cassation du requérant aux motifs suivants :
‘ La décision du comité des créanciers et l'action du liquidateur relatives au remboursement à 100 % des créances au bénéfice de seulement 700 créanciers (sur les 7 567 créanciers de la banque dont les créances s'élèvent à 24 875 000 roubles) ont en effet violé le principe du règlement proportionnel des créances de même rang, mais n'ont pas porté à M. Kotov le préjudice allégué, car la satisfaction à 100 % de tous les créanciers de 1er rang n'était pas possible en raison de l'insuffisance des actifs susceptibles d'être distribués. En effet, la somme remboursée à M. Kotov fut calculée proportionnellement au montant de sa créance et à la masse financière dégagée lors de la procédure de liquidation (…) ’
28.
La juridiction de cassation rappela également que la procédure de liquidation était encore pendante et que le requérant avait la possibilité de recevoir sa créance.
29.
Le 17 juin 1999, la cour régionale d'arbitrage homologua le bilan de liquidation, présenté par le liquidateur et approuvé par l'assemblée des créanciers, et clôtura la procédure de faillite pour insuffisance d'actifs.
4. Procédure en supervision
30.
Après la communication de la requête au Gouvernement, le président de la Cour suprême d'arbitrage de la Fédération de Russie forma, le 31 janvier 2001, un recours en supervision (protest) contre les décisions des 4 février, 31 mars et 9 juin 1999 (voir les paragraphes 25–27 ci-dessus), au motif qu'elles avaient été rendues en violation de l'article 22 du code de procédure d'arbitrage (‘ CPA ’) déterminant la compétence des juridictions d'arbitrage. Notamment, l'examen des plaintes du requérant des 2 septembre 1998 et 27 janvier 1999 dans le cadre de la procédure de faillite ouverte contre la banque aurait été contraire à la loi de 1992 ayant régi cette procédure. Les plaintes en question relevant d'un litige opposant le requérant au liquidateur, elles n'étaient pas en rapport avec la procédure en faillite en tant que telle et le requérant aurait dû les introduire devant les juridictions de droit commun.
31.
Par ces motifs, le président requit l'annulation des décisions litigieuses et la clôture de l'instance relative aux plaintes susmentionnées. Le 17 avril 2001, le Présidium de la Cour suprême d'arbitrage de la Fédération de Russie fit entièrement droit à ces demandes en faisant les siens les arguments invoqués dans le recours.
32.
Le 1er juin 2001, le requérant saisit le même Présidium d'une demande de révision de la décision du 17 avril 2001. Le 4 juillet 2001, cette demande fut rejetée par le vice-président de la Cour suprême d'arbitrage pour défaut de fondement.
II. Le droit et la pratique internes pertinents
1. Code civil de 1994
33.
Conformément à l'article 63, après l'expiration du délai dans lequel les créanciers doivent présenter leurs demandes, la commission de liquidation établit un bilan de liquidation provisoire contenant les informations relatives au patrimoine du failli, aux demandes présentées par les créanciers et aux résultats de l'examen de celles-ci. Ce bilan doit être approuvé par l'organe ayant pris la décision de procéder à la liquidation de l'entreprise. Si la masse pécuniaire dont dispose l'entreprise n'est pas suffisante pour satisfaire les demandes des créanciers, la commission de liquidation procède à la vente de son patrimoine aux enchères. La distribution des actifs aux créanciers peut commencer conformément au bilan provisoire une fois celui-ci approuvé, à l'exception des créanciers de cinquième rang qui ne peuvent recevoir les sommes dues qu'à l'expiration du délai d'un mois à partir de l'approbation de ce bilan. Une fois toutes les opérations de payement accomplies, le bilan de liquidation définitif est dressé et approuvé selon les mêmes voies. En cas d'insuffisance d'actifs, les créanciers lésés peuvent saisir les tribunaux demandant que le propriétaire de l'entreprise les désintéresse par ses propres deniers.
L'article 64 du code civil, tel qu'en vigueur avant le 20 février 1996, distinguait cinq catégories de créanciers, chacune devant être remboursée une fois la catégorie précédente désintéressée. Selon ce classement, le requérant relevait de la cinquième catégorie ‘ d'autres créanciers ’. L'article 64 ne mentionne pas la catégorie de créanciers retraités, vétérans de la Seconde guerre mondiale ni celles de personnes en situation de besoin.
Aux termes du nouvel alinéa, introduit dans cet article le 20 février 1996, lors de la liquidation d'une banque ou d'un autre établissement de crédit, les particuliers ayant déposé de l'argent sont remboursés en premier lieu.
L'article 64 précise en outre qu'en cas d'insuffisance d'actifs de la personne morale en liquidation, ceux-ci doivent être distribués parmi les créanciers de même rang proportionnellement à leurs créances.
2. Loi du 19 novembre 1992 (‘ loi de 1992 ’), relative à l'insolvabilité des entreprises, applicable aux procédures de faillite ouvertes avant le 1er mars 1998
34.
Conformément à l'article 3 §§ 1 et 2, les affaires de faillite relèvent de la compétence des juridictions d'arbitrage qui les examinent selon les règles prévues par cette loi et, en l'absence de telles règles, conformément au code de procédure d'arbitrage de la Fédération de Russie.
Selon l'article 15 de la loi, la procédure de faillite est ouverte dans le but de satisfaire les demandes des créanciers proportionnellement, de déclarer le failli déchargé de ses obligations et de protéger les parties des actions illicites entre elles.
Aux termes de l'article 18 § 2, à partir de la déclaration d'insolvabilité de l'entreprise et de l'ouverture de la procédure de faillite à son encontre, toute prétention de caractère patrimonial peut être présentée à cette entreprise uniquement dans le cadre de la procédure de faillite.
Selon l'article 19, les juridictions d'arbitrage nomment le liquidateur et, dans les cas prévus par cette loi, examinent le caractère licite des actes des parties à la procédure de faillite. Selon l'article 20, ces parties sont le liquidateur, le comité des créanciers, le créancier, etc.
Aux termes de l'article 21 § 1, le liquidateur dispose des biens du failli, analyse sa situation financière, examine le bien-fondé des demandes des créanciers, accepte ou rejette celles-ci, procède aux opérations de liquidation en vue de la constitution des actifs, dirige l'établissement en faillite, forme et dirige la commission de liquidation, convoque l'assemblée des créanciers.
Conformément à l'article 21 § 2 combiné avec l'article 12 § 4, la candidat au poste de liquidateur doit être un économiste ou un juriste ou avoir une expérience de gestion d'entreprise. Il doit avoir le casier judiciaire vierge. Ne peut pas être nommée liquidateur la personne détenant un poste de responsabilité au sein de l'entreprise débitrice ou créditrice. Le candidat au poste de liquidateur doit présenter la déclaration de ses revenus et de sa situation patrimoniale.
Selon l'article 21 § 3, le liquidateur peut saisir la cour d'arbitrage contre les décisions de l'assemblée (du comité) des créanciers, lorsque celles-ci sortent du champ de compétence de l'assemblée (du comité).
Selon l'article 27 § 1, après l'expiration du délai de deux mois dans lequel les créanciers doivent présenter leurs prétentions au regard du failli, le liquidateur dresse une liste de prétentions admises et rejetées en indiquant le montant correspondant à celles qui ont été admises ainsi que le rang de priorité pour chacune d'elles. Cette liste doit être adressée aux créanciers dans un délai de deux mois.
L'article 30 établit les différents rangs de priorité en vue du partage du produit de la liquidation. Il n'est procédé au versement des sommes dues au profit des créanciers d'un certain rang qu'après le désintéressement des créanciers du rang précédent (paragraphe 3). En cas d'insuffisance d'actifs pour satisfaire les demandes de tous les créanciers d'un rang donné, ceux-ci sont désintéressés proportionnellement à leurs créances respectives (paragraphe 4). L'article 30 ne mentionne pas la catégorie de créanciers invalides ou vétérans de la Seconde guerre mondiale ni celle de personnes en situation de besoin. Son paragraphe 1 dispose que les frais nécessaires au déroulement des opérations de liquidation, à la rémunération du liquidateur et au maintien de fonctionnement de l'entreprise débitrice sont prioritaires par rapport aux créanciers de premier rang.
L'article 31 prévoit la possibilité pour un créancier de contester devant les juridictions d'arbitrage la décision du liquidateur qui, selon lui, méconnaît ses droits et intérêts légitimes.
Selon l'article 35 § 3, les exigences non satisfaites en raison de l'insuffisance du produit de la liquidation sont considérées comme éteintes.
L'article 38 dispose que le failli est réputé liquidé à partir de son exclusion du registre national correspondant, en vertu de la décision de la cour d'arbitrage concluant à la clôture de la procédure de faillite.
3. Loi fédérale du 8 janvier 1998, relative à l'insolvabilité (‘ loi de 1998 ’), applicable aux procédures de faillite ouvertes après le 1er mars 1998
35.
L'article 21 § 3 de cette loi dispose que les créanciers ont le droit d'exiger du liquidateur la compensation du dommage que celui-ci leur aurait causé par une action ou une omission contraire à la loi.
Conformément à l'alinéa 7 de l'article 98 § 1 de cette loi, toute prétention envers le failli peut être présentée uniquement dans le cadre de la procédure de faillite (voir aussi l'article 18 § 2 de la loi de 1992).
L'article 114 prévoit les mêmes principes de distribution et de proportionnalité que l'article 30 de la loi de 1992.
4. Code de procédure d'arbitrage de 1995 (‘ CPA ’), tel qu'en vigueur à l'époque des faits
36.
Aux termes de l'article 131, en enjoignant à la partie défenderesse d'accomplir un acte défini qui ne relève pas de la transmission d'un bien ou de versement d'une somme pécuniaire, la cour d'arbitrage indique qui, où et dans quel délai doit accomplir cet acte.
Selon l'article 143, les affaires de faillite sont examinées par les cours d'arbitrage conformément au présent code et selon les particularités prévues par la loi relative à la faillite.
5. Arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 mars 2001
37.
Le paragraphe 4 relatif à la constitutionnalité de l'article 18 § 2 de la loi de 1992 (article 98 § 1 en combinaison avec les articles 15 § 4 et 55§ 1 de la loi de 1998) se lit ainsi :
‘ (…) lors de l'examen des plaintes des particuliers créanciers (…), les juridictions d'arbitrage n'ont pas la compétence pour édicter contre le liquidateur des directives obligatoires de caractère patrimonial, portant reconnaissance d'une créance ou d'un droit en faveur de ces créanciers (…). Cette limitation (…) ne doit pas s'interpréter comme empêchant les juridictions de droit commun d'examiner au fond les demandes de caractère patrimonial (…) de ces créanciers (…), conformément à législation relative à l'insolvabilité.
Les dispositions litigieuses ne contiennent pas par ailleurs de clauses qui empêcheraient les juridictions d'arbitrage de rendre des décisions permettant aux intéressés de réaliser pleinement leur droit à la protection judiciaire dans le cadre de la procédure de faillite, d'autant plus que d'autres dispositions de la loi fédérale relative à l'insolvabilité (la faillite) prévoient justement le règlement de litiges par la voie judiciaire (articles 41, 44, 57, 107, 108 et autres).
Le refus d'une cour d'arbitrage d'examiner la plainte pour cause d'incompétence (…) n'empêche pas le créancier de saisir les juridictions de droit commun en vue de la protection de ses droits (…). Le droit à la protection judiciaire, consacré par la Constitution, doit se réaliser même en cas d'absence de normes législatives précisant le partage de compétences entre les juridictions d'arbitrage et celles de droit commun.
Suivant cette interprétation, [les dispositions en question] n'empêchent ni les juridictions de droit commun d'examiner les demandes des créanciers qui ne sont pas des entreprises individuelles, dirigées contre le liquidateur et visant (…) à la compensation du dommage, ni les juridictions d'arbitrage d'assurer l'exécution, conformément à la loi fédérale précitée, des décisions rendues par les juridictions de droit commun. (…) ’
En droit
38.
Le requérant dénonce l'impossibilité d'obtenir le remboursement effectif de sa créance en raison de la distribution illégale des actifs par le liquidateur. L'article 1 du Protocole no 1 est ainsi libellé :
‘ Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. ’
I. Sur l'exception préliminaire du gouvernement
39.
Le Gouvernement réitère son exception d'irrecevabilité, rejetée par la Cour antérieurement (voir Kotov c. Russie (déc), no 54522/00, 4 mai 2006), pour soutenir que le grief du requérant se heurte à un problème de non-épuisement des voies de recours internes. Notamment, il estime que le requérant aurait dû engager, dans le cadre d'une procédure indépendante devant les juridictions de droit commun, la responsabilité personnelle du liquidateur conformément au chapitre 59 du code civil (‘ Obligations à la suite du dommage causé ’) pour dénoncer la distribution illégale des actifs de la banque. Ce d'autant plus que les décisions des 4 février, 31 mars et 9 juin 1999, rendues au sujet des plaintes du requérant, visant à obtenir la réparation du dommage causé par le liquidateur en personne, avaient été annulées le 17 avril 2001 en raison de l'incompétence du juge d'arbitrage en la matière. Le caractère illégal de l'action du liquidateur ayant été reconnu par les juridictions d'arbitrage en 1998, selon le Gouvernement, la compensation du dommage causé aurait été plus facile par le biais d'une procédure de droit commun dirigée contre le liquidateur en tant qu'individu.
40.
La Cour rappelle que les mêmes arguments du Gouvernement ont déjà été examinés en détail au stade de recevabilité avant d'être rejetés en ses termes :
‘ (…) Les décisions des 4 février, 31 mars et 9 juin 1999, passées en force de chose jugée, furent annulées en 2001 suite à un recours en supervision (protest). La Cour tient à rappeler qu'une telle pratique pose en soi un grave problème sur le plan du principe de la sécurité juridique, un des éléments fondamentaux de la prééminence du droit (Brumărescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, §§ 61 et 62, CEDH 1999-VII ; Riabykh c. Russie, no 52854/99, § 57, CEDH 2003-IX). De surcroît, l'annulation en question intervint en l'espèce après la communication de la requête au gouvernement défendeur et servit à celui-ci pour soulever une exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Or, la Cour n'estime pas qu'une telle exception puisse être valablement tirée de l'annulation des décisions de 1999, puisque, dans le cadre de la procédure précédente, le requérant avait dénoncé, selon les voies légales, l'atteinte portée à son droit au respect de ses biens par l'action du liquidateur.
Notamment, conformément à l'article 31 de la loi de 1992, celle-ci régissant la procédure de faillite en l'espèce, le requérant contesta devant les juridictions d'arbitrage la distribution des actifs par le liquidateur qui, selon lui, méconnaissait ses droits et intérêts légitimes. Dans le cadre de cette procédure terminée par la décision de cassation du 12 novembre 1998, il obtint gain de cause, les juridictions d'arbitrage, en appel comme en cassation, ayant reconnu la violation de ses droits par le liquidateur. Elles constatèrent d'une part différents vices dans la conduite de la procédure par le liquidateur et, d'autre part, affirmèrent clairement qu'en ayant procédé à l'exécution des décisions prises par le comité des créanciers en méconnaissance de la loi de 1992, le liquidateur s'était rendu coupable d'une distribution illégale du produit de la liquidation. Elles ordonnèrent qu'il soit remédié à ces violations dans un délai d'un mois. Force est donc de constater que les juridictions internes, compétentes en matière de faillite, examinèrent les prétentions du requérant au fond. Non seulement elles reconnurent la méconnaissance des droits de l'intéressé, mais ordonnèrent également que les conséquences en soient effacées. (…)
Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que, malgré l'annulation des décisions rendues en 1999, le Gouvernement n'est pas fondé à opposer au requérant une exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes, la procédure d'arbitrage précédente, terminée par la décision de cassation du 12 novembre 1998, suffisant à satisfaire aux exigences de l'article 35 § 1 de la Convention aux fins du grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1. ’
41.
Dans ces conditions, et vu que rien ne justifie de s'écarter de cette conclusion, la Cour rejette l'exception préliminaire du Gouvernement.
II. Sur la violation alléguée de l'article 1 du Protocole no 1
1. Arguments du Gouvernement
42.
Dans ses observations complémentaires, le Gouvernement réitère que l'Etat ne porte aucune responsabilité dans l'échec des relations commerciales librement consenties entre le requérant et une banque privée. L'Etat ne s'ingéra lui-même à aucun moment dans l'exercice du droit du requérant au respect de ses biens. L'ingérence litigieuse en l'espèce provint de la banque et du liquidateur sans que l'Etat ait été tenu par la loi d'indemniser le requérant pour les pertes subies.
43.
Par ailleurs, le Gouvernement rappelle que l'article 1 du Protocole no 1 n'oblige pas l'Etat à maintenir le pouvoir d'achat représenté par les sommes déposées dans les établissements financiers (voir, parmi d'autres, Riabykh c. Russie, no 52854/99, § 63, CEDH 2003-IX). Selon lui, la responsabilité de l'Etat est limitée à établir les règles de proportionnalité en vue de la distribution de la masse dégagée lors de la liquidation des entreprises privées. Le fait que, malgré l'existence de ces règles, le requérant n'ait pas pu recouvrer les sommes dues en raison de la faillite de la banque et de l'absence d'actifs suffisants ne saurait donc être imputable à l'Etat.
44.
Le Gouvernement soutient que le liquidateur réalisait ses activités à titre individuel et que, conformément à l'article 21 de la loi de 1992, il était personnellement responsable de la non-exécution ou de l'exécution inappropriée de ses obligations. En 2002, un amendement à l'article 20 de cette loi vint d'ailleurs renforcer ce dispositif en introduisant une exigence de souscrire à une assurance pour les fautes commises par le liquidateur. Le fait que l'Etat n'était pas responsable des actes illégaux de cette personne aurait été confirmé, selon le Gouvernement, par la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 12 mars 2001 et par le Présidium de la Cour suprême d'arbitrage dans sa décision du 17 avril 2001. Le contrôle des actes du liquidateur et du respect du principe de la distribution proportionnelle des fonds incombait aux juridictions d'arbitrage, compétentes pour examiner les litiges nés lors de la procédure de liquidation entre les créditeurs et le liquidateur.
45.
En résumé, pour le Gouvernement, l'Etat respecta ses obligations au titre de l'article 1 du Protocole no 1 en établissant les règles légales de répartition équitable de fonds et en instaurant des voies de recours pour pallier aux insuffisances de la procédure de liquidation ou aux illégalités commises lors de celle-ci.
46.
Le requérant, bien qu'il maintienne sa requête, ne présenta pas d'observations complémentaires (voir les paragraphes 5 et 6 ci-dessus).
2. Appréciation de la Cour
47.
La Cour rappelle que l'article 1 du Protocole no 1 contient trois normes distinctes : la première, qui s'exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux Etats contractants le pouvoir, entre autres, de réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général. La deuxième et la troisième, qui ont trait à des exemples particuliers d'atteintes au droit de propriété, doivent s'interpréter à la lumière du principe consacré par la première (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 55, CEDH 1999-II).
48.
La Cour note qu'en l'espèce, en vertu des décisions judiciaires des 20 février 1995 et 5 avril 1996 (voir les paragraphes 10 et 12 ci-dessus), le requérant était titulaire d'une créance exigible de 10 156 roubles, portée à 17 983 roubles, qui constituait un ‘ bien ’ au sens de l'article 1 du Protocole no 1 (Bourdov c. Russie, no 59498/00, § 40, CEDH 2002-III). Ceci n'a d'ailleurs pas prêté à une controverse entre les parties.
49.
La Cour relève ensuite que le requérant ne put pas obtenir le versement de cette créance, puisqu'entre-temps, le 16 juin 1995, le débiteur — une banque privée — fut déclaré en faillite. Un liquidateur fut alors nommé le 19 juillet 1995 par les juridictions d'arbitrage pour procéder aux opérations de liquidation. Ainsi, à la suite de la déclaration de faillite, l'ingérence dans le droit du requérant au respect de ses biens s'analysait en une réglementation de l'usage des biens au sens du second paragraphe de l'article 1 du Protocole no 1 (Luordo c. Italie, no 32190/96, § 67, CEDH 2003-IX). En vertu de l'article 15 de la loi de 1992, cette procédure de faillite visait, d'une part, à désintéresser les créanciers et, d'autre part, à protéger les parties des actes illicites entre elles. L'ingérence en question poursuivait donc un but légitime et conforme à l'intérêt général, à savoir la protection des droits d'autrui (ibid., § 68). Dans ces conditions, et vu les difficultés rencontrées lors de la constitution du produit de la liquidation, la Cour n'est pas convaincue que le requérant aurait pu espérer, avec un degré raisonnable de certitude, récupérer la totalité de sa créance telle que définie par les tribunaux de droit commun le 20 février 1995 et puis le 5 avril 1996, même si les juridictions d'arbitrage, compétentes en matière de faillite, confirmèrent plusieurs fois que le montant de cette créance s'élevait à 17 983 roubles.
50.
Quoi qu'il en soit, pour la Cour, le problème ne réside pas, en l'espèce, dans la procédure de faillite en tant que telle et ne se pose donc pas sous l'angle de la ‘ réglementation de l'usage des biens ’. Il se pose sur le terrain du premier paragraphe de l'article 1 du Protocole no 1, étant donné la privation définitive des biens dont le requérant fit l'objet dans le cadre de cette procédure.
51.
La Cour, à l'instar du Gouvernement, ne doute pas que l'Etat ne saurait être tenu pour responsable des obligations d'un établissement privé qui, tombé en faillite, n'est pas en mesure de s'acquitter de ses dettes (Bobrova c. Russie, no 24654/03, § 16, 17 novembre 2005). Il convient toutefois d'étudier si et dans quelle mesure la responsabilité de l'Etat peut être engagée du fait d'un acte ou d'une omission du liquidateur dont les actes illégaux sont dénoncés en l'espèce (mutatis mutandis, Katsyuk c. Ukraine, no 58928/00, § 38in fine, 5 avril 2005). En effet, le requérant n'invoque pas comme telle la responsabilité de l'Etat dans le domaine des relations contractuelles entre lui et la banque privée. Ses griefs sont fondés sur l'action illégale du liquidateur et sur l'impossibilité de faire valoir ses droits face à l'abus de pouvoir par celui-ci.
52.
A la différence du Gouvernement, la Cour estime que le liquidateur peut être considéré comme un représentant de l'Etat, eu égard notamment à son statut tel que défini par les articles 19 et 21 de la loi de 1992. Ces dispositions déterminent les conditions requises pour le candidat au poste de liquidateur et les caractéristiques qu'il doit posséder sans toutefois préciser s'il doit s'agir d'une personne privée ou d'un fonctionnaire. Même s'il s'agit d'une personne privée, vu la nature des fonctions du liquidateur et son habilitation par les juridictions internes pour exercer celles-ci, la Cour n'estime pas que l'Etat puisse se soustraire á sa responsabilité en déléguant ses obligations à cet individu (mutatis mutandis, Costello-Roberts c. Royaume-Uni, arrêt du 25 mars 1993, série A no 247-C, p. 58, § 27in fine). En effet, selon les dispositions précitées, celui-ci n'est pas un liquidateur professionnel mais un économiste ou un juriste habilité par les juridictions internes à conduire la procédure de faillite. Ces mêmes juridictions surveillent d'ailleurs ses activités (voir, a contrario, Katsyuk, précité, § 39). Dans le cadre de ses pouvoirs qui sont donc définis par la loi, le liquidateur exerce des fonctions relevant de la puissance publique et se trouve investi de la mission de ménager un ‘ juste équilibre ’ entre les impératifs de l'intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu (voir, entre autres, Luordo, précité, §§ 67–69). Par conséquent, aux yeux de la Cour, ses actes et omissions engagent, dans les circonstances de l'espèce, la responsabilité de l'Etat (voir, mutatis mutandis, Sychev c. Ukraine, no 4773/02, §§ 53 et 54, 11 octobre 2005).
53.
La Cour estime que les actifs dégagés à la suite des premières opérations de liquidation (2 305 000 roubles) auraient pu suffire pour satisfaire la créance du requérant, du moins une partie considérable de celle-ci, si le liquidateur avait agi envers l'intéressé, créancier de premier rang, conformément à la loi. L'impossibilité définitive pour le requérant de récupérer sa créance pour un montant supérieur à 140 roubles (voir le paragraphe 17 ci-dessus) découla directement de l'abus de pouvoir par le liquidateur, cet abus rendant impossible l'exécution, même partielle, des décisions des 20 février 1995 et 5 avril 1996 et enlevant en même temps tout effet utile aux décisions d'arbitrage des 26 août et 12 novembre 1998 (voir les paragraphes 20–22 ci-dessus). En effet, ces décisions de 1998, qui conclurent à l'illégalité de l'action du liquidateur et ordonnèrent le redressement de la situation du requérant, ne purent pas être exécutées, le liquidateur ayant déjà procédé en 1996 à la distribution quasi intégrale du produit de la liquidation.
54.
Selon la loi russe, en cas d'insuffisance du produit de la liquidation pour désintéresser l'ensemble des créanciers, ce produit doit être réparti parmi les créanciers de même rang en proportion de leurs créances. Les créanciers d'un rang donné ne peuvent pas être désintéressés avant le remboursement des créanciers du rang précédent (voir, aux paragraphes 33 et 34 ci-dessus, article 30 §§ 3 et 4 de la loi de 1992 et article 64 du code civil de 1994).
55.
Aux termes de l'article 64 du code civil de 1994, tel qu'amendé le 20 février 1996, lors de la liquidation d'une banque ou d'un autre établissement de crédit, les particuliers ayant déposé de l'argent sont remboursés en premier lieu. Le requérant était donc, à partir du 20 février 1996, un créancier de premier rang et les obligations de la banque envers lui auraient dû être honorées en conséquence. Or, la distribution des fonds dégagés par le liquidateur intervint suite aux décisions du comité des créanciers des 18 janvier et 13 mars 1996 sans que le requérant ne perçut aucune somme d'argent.
56.
Même si, au 4 février 1999 (voir le paragraphe 25 ci-dessus), le requérant disposait d'un numéro personnel sur la liste des créanciers à être remboursés, il ressort de la décision du 26 août 1998 qu'à cette dernière date, le liquidateur n'avait pas encore dressé la liste des créanciers conformément aux exigences de l'article 27 de la loi de 1992, alors que la procédure de faillite était ouverte depuis le 19 juillet 1995. Ainsi, le rang de priorité du requérant n'était toujours pas clair et, par conséquent, celui-ci n'était pas en mesure de prévoir le remboursement de sa dette après le désintéressement de la catégorie précédente de créanciers. Le liquidateur affirma lui-même lors de l'audience du 26 août 1998 qu'il s'agissait d'un créancier de cinquième rang, ce qui, aux yeux de la Cour, pourrait éventuellement correspondre à l'article 106 de la loi de 1998. Or la procédure de faillite en l'espèce n'était pas régie par cette loi mais par celle de 1992 et le code civil de 1994 (voir, les paragraphes 20, 21, 30, 34 et 35 ci-dessus).
57.
Ainsi, étant un créancier de premier rang et ayant appris qu'une certaine catégorie de créanciers avait été remboursée à 100 % avec intérêts et indexation, le requérant saisit le liquidateur pour faire valoir ses droits. Suite à cette demande, le requérant reçut le 6 avril 1998 140 roubles, soit 0,78 % de sa créance, au motif que sa créance d'un montant de 17 983 roubles représentait 0,78 % du produit de la liquidation de 2 305 000 roubles. Toutefois, selon l'article 30 § 4 de la loi de 1992, vu l'insuffisance d'actifs, les créanciers ayant le même rang que le requérant auraient dû être désintéressés proportionnellement à leurs créances respectives et, pour déterminer la somme à verser à chacun d'eux, le montant de chaque créance aurait dû être rapporté non pas au produit de la liquidation, mais au montant total des créances du rang donné.
58.
La Cour note que, non seulement le principe légal de proportionnalité, régissant la distribution des actifs entre les créanciers de même rang, a été méconnu en l'espèce, mais ni l'article 30 de la loi de 1992 ni l'article 64 du code civil ne connaissent la catégorie de créanciers (invalides, vétérans de la Seconde guerre mondiale, personnes en situation de besoin) qui furent désintéressés par le liquidateur à 100 %, avec intérêts et indexation. Il ne ressort pas de ces textes que les 700 créanciers concernés étaient des créanciers de la même catégorie que le requérant. Le Gouvernement ne fournit aucune explication à cet égard. Le premier paragraphe de l'article 30 précité dispose uniquement que les frais nécessaires au déroulement des opérations de liquidation, à la rémunération du liquidateur et au maintien de fonctionnement de l'entreprise débitrice, sont prioritaires par rapport aux créanciers de premier rang. A supposer même que les ‘ personnes ayant participé activement aux opérations de liquidation ’, également entièrement remboursées par le liquidateur, se rangent dans cette catégorie, il reste inconnu quelle était la base légale du remboursement à 100 % des autres créanciers mentionnés ci-dessus et celle de la privation du requérant de la somme lui étant due selon le principe de proportionnalité (voir, mutatis mutandis, Vasilescu c. Roumanie, arrêt du 22 mai 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-III, §§ 50–53). Or, la Cour rappelle à cet égard que l'article 1 du Protocole no 1 exige, avant tout et surtout, qu'une ingérence de l'autorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens ait une base légale (Gravina c. Italie, no 60124/00, § 79, 15 novembre 2005) et que la prééminence du droit, l'un des principes fondamentaux d'une société démocratique, est inhérente à l'ensemble des articles de la Convention (Iatridis, précité, § 58).
59.
Dans ces conditions, la Cour conclut qu'en l'espèce, les activités du liquidateur s'analysèrent en une privation de propriété, même si le requérant ne subit pas de privation de biens formelle (Papamichalopoulos et autres c. Grèce, arrêt du 24 juin 1993, série A no 260-B, §§ 41 et 42). Ces activités n'étaient pas conformes à la loi interne et ne pouvaient pas être justifiées par ‘ l'utilité publique ’, ce qui fut confirmé par les juridictions internes dans leurs décisions des 26 août et 12 novembre 1998.
60.
Ainsi, eu égard à l'impossibilité pour le requérant d'obtenir le remboursement effectif de sa créance selon le principe légal de proportionnalité, tel qu'ordonné par les juridictions internes les 26 août et 12 novembre 1998, alors qu'une certaine catégorie de créanciers, dont l'existence n'était même pas prévue par la loi, furent entièrement désintéressés, la Cour estime que le requérant subit une privation de biens irrégulière, incompatible avec son droit au respect de ses biens.
61.
Il y a dès lors eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.
III. Sur l'application de l'article 41 de la Convention
62.
Aux termes de l'article 41 de la Convention,
‘ Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. ’
63.
Dans son formulaire de requête, le requérant affirma qu'il évaluait le dommage matériel à 3 000 et le dommage moral à 48 000 dollars américains. Or, après la décision sur la recevabilité, il ne présenta, dans le délai imparti à cet effet, aucune prétention au titre du dommage subi ou à celui de frais et dépens.
64.
La Cour rappelle qu'elle n'octroie aucune somme à titre de satisfaction équitable dès lors que les prétentions chiffrées et les justificatifs nécessaires n'ont pas été soumis dans le délai imparti à cet effet par l'article 60 § 1 du règlement, même dans le cas où la partie requérante aurait indiqué ses prétentions à un stade antérieur de la procédure (Fadil Yilmaz c. Turquie, no 28171/02, § 26, 21 juillet 2005).
65.
En application de ces principes, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu d'allouer une somme à titre de satisfaction équitable en l'espèce.
Par ces motifs, la cour, à l'unanimité,
1.
Rejette l'exception préliminaire du Gouvernement ;
2.
Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 ;
3.
Dit qu'il n'y a pas lieu d'allouer une somme à titre de satisfaction équitable en l'espèce.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 janvier 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen
Greffier
Christos Rozakis
Président