EHRM, 17-11-2015, nr. 26275/12
ECLI:CE:ECHR:2015:1117DEC002627512
- Instantie
Europees Hof voor de Rechten van de Mens
- Datum
17-11-2015
- Zaaknummer
26275/12
- Vakgebied(en)
Sociale zekerheid algemeen (V)
- Brondocumenten en formele relaties
ECLI:CE:ECHR:2015:1117DEC002627512, Uitspraak, Europees Hof voor de Rechten van de Mens, 17‑11‑2015
Uitspraak 17‑11‑2015
A. Sur les violations alléguées de l'article 6 § 1 de la Convention
20.
Se plaignant, d'une part, d'un manque d'impartialité et d'indépendance des COMAI vis-à-vis de l'assurance-invalidité à cause du fait que celle-ci les rémunère pour leurs expertises, et, d'autre part, d'un manque d'impartialité et d'indépendance des tribunaux à cause du fait qu'ils n'ont pas ordonné la mise en œuvre d'une expertise judiciaire, la requérante invoque l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé:
‘Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (…), par un tribunal indépendant et impartial (…) qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…)’.
1. Le grief tiré du manque d'impartialité et d'indépendance des COMAI
21.
La Cour rappelle d'abord que l'article 6 de la Convention est applicable aux procédures visant l'attribution de prestations d'assurance sociale (Schuler-Zgraggen c. Suisse, 24 juin 1993, § 46, série A no 263).
22.
La Cour rappelle également que le seul fait que des experts soient employés par l'autorité administrative appelée à se prononcer sur un dossier, n'autorise pas en soi à les juger incapables d'agir avec l'objectivité requise (T.B. c. Suisse (déc.), no 33957/96, 22 juin 1999, avec autres références).
23.
En l'espèce, il n'est pas contesté que le SMAB a été mandaté et rémunéré par l'assurance-invalidité pour examiner la requérante dans le cadre d'une expertise pluridisciplinaire. Néanmoins, le SMAB n'est pas une unité de l'administration fédérale, comme le sont les services médicaux régionaux au sens de l'article 59 § 2 de la loi fédérale sur l'assurance invalidité (paragraphe 14 ci-dessus). En effet, il s'agit d'une société anonyme valablement inscrite au registre du commerce, avec pour but principal l'exécution d'expertises médicales pluridisciplinaires pour tous les mandants qui en feraient la demande, comme par exemple les Offices de l'assurance-invalidité en vertu de l'article 72bis § 1 du règlement sur l'assurance-invalidité (voir ci-dessus). Il s'ensuit que le raisonnement tenu par la Cour dans l'affaire T.B. c. Suisse, concernant des experts qui sont employés par l'autorité administrative, vaut, mutatis mutandis et a fortiori, pour des experts indépendants comme ceux du SMAB, sans qu'il faille entrer dans les détails de l'organisation des rapports entre les COMAI et l'assurance-invalidité.
24.
Par ailleurs, il convient également de constater que la requérante, qui n'a pas récusé les experts du SMAB, n'a invoqué aucun motif, à part les rapports contractuels liant les COMAI à l'assurance-invalidité, susceptible de justifier son grief tiré du prétendu manque d'indépendance et d'impartialité des experts du SMAB dans son cas concret.
25.
Cela étant, il y a lieu encore de relever que, conscient du risque de distorsion dans les évaluations des COMAI inhérent à l'importance économique des mandats que l'assurance-invalidité leur octroie, le Tribunal fédéral a renforcé, dans sa jurisprudence ATF 137 V 210 (paragraphe 16 ci dessus), en particulier les droits de participation des assurés à la mise en œuvre de l'instruction médicale par l'administration, améliorant ainsi le système dans son ensemble.
26.
Compte tenu des considérations qui précèdent, cette partie du grief est manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention, de sorte que la requête doit être, sur ce point, rejetée en application de l'article 35 § 4 de la Convention.
2. Le grief tiré du caractère non équitable de la procédure devant les tribunaux
27.
Affirmant que les COMAI ne sont pas indépendants, du point de vue économique, de l'assurance-invalidité, la requérante prétend, en général et dans son cas particulier, que les tribunaux, quand ils se fondent sur une expertise du COMAI pour trancher une affaire au lieu d'ordonner une expertise judiciaire, ne font pas preuve d'indépendance et d'impartialité, contrevenant à l'article 6 § 1 de la Convention.
28.
La Cour rappelle que l'un des éléments d'une procédure équitable au sens de l'article 6 § 1 de la Convention est le caractère contradictoire de celle-ci: chaque partie doit en principe avoir la faculté non seulement de faire connaître les éléments qui sont nécessaires au succès de ses prétentions, mais aussi de prendre connaissance et de discuter toute pièce ou observation présentée au juge en vue d'influencer sa décision. À ce titre, elle précise d'emblée que le respect du contradictoire, comme celui des autres garanties de procédure consacrées par l'article 6 § 1, vise l'instance devant un ‘tribunal’. Il ne peut être déduit de cette disposition un principe général et abstrait selon lequel, lorsqu'un expert a été désigné par un tribunal, les parties doivent avoir dans tous les cas la faculté d'assister aux entretiens conduits par le premier ou de recevoir communication des pièces qu'il a prises en compte; l'essentiel est que les parties puissent participer de manière adéquate à la procédure devant le ‘tribunal’ (Mantovanelli c. France, no 21497/93, § 33, 18 mars 1997, avec d'autres références).
29.
Par ailleurs, la Convention ne réglemente pas le régime des preuves en tant que tel. Il revient aux juridictions internes d'apprécier les éléments obtenus par elles et la pertinence de ceux dont une partie souhaite la production. La Cour a néanmoins pour tâche de rechercher si la procédure considérée dans son ensemble, y compris la manière dont la preuve a été administrée, a revêtu le caractère équitable voulu par l'article 6 § 1 (Mantovanelli, précité, § 34; Larin c. Russie, no 15034/02, § 55, 20 mai 2010; et Albert et Le Compte c. Belgique, no 7496/76, § 29, 10 février 1983, avec d'autres références).
30.
En l'espèce, la cause de la requérante a été entendue deux fois par l'assurance-invalidité, par le tribunal cantonal et par le Tribunal fédéral. Lors de la deuxième procédure, pour compléter l'instruction médicale du dossier suite à l'expertise privée de l'UMEG, l'assurance-invalidité a ordonné une expertise auprès du SMAB, dont les médecins n'ont pas été formellement récusés par la requérante. Celle-ci a ensuite eu la possibilité de se prononcer sur le rapport d'expertise, même si elle n'a pas vraiment fait usage de cette possibilité, selon ce qui ressort du dossier.
31.
Devant le tribunal cantonal, il y a eu une audience publique, à laquelle la requérante a participé avec son représentant, et la procédure a été contradictoire. Le fait que le tribunal cantonal n'ait pas donné suite à la demande de la requérante de pouvoir interroger deux médecins en qualité de témoins, de même qu'il se soit refusé à ordonner une expertise judiciaire ou ‘surexpertise’ (‘Obergutachten’, selon les termes de la requérante), relève de la libre appréciation des preuves, eu égard également au principe de l'économie de la procédure, et il n'apparaît pas que le tribunal cantonal, comme cela a été confirmé par le Tribunal fédéral, ait apprécié de manière arbitraire la documentation médicale, en particulier les expertises de l'UMEG et du SMAB. Ainsi, dans son ensemble, rien n'indique que la procédure ne se soit pas déroulée de manière équitable au sens de l'article 6 § 1 de la Convention.
32.
Partant, cette partie du grief est également manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention, de sorte que la requête doit être, par rapport à la prétendue violation de l'article 6, rejetée en application de l'article 35 § 4 de la Convention.
B. Sur la violation alléguée de l'article 14, combiné avec l'article 8 de la Convention
33.
En tant que personne souffrant d'un syndrome douloureux sans substrat organique, la requérante se plaint d'être victime d'une discrimination par rapport aux personnes souffrant de troubles organiques, et ce eu égard à son droit à une vie privée et familiale au sens de l'article 14 combiné avec l'article 8 de la Convention. Elle affirme que cette discrimination découle de l'application de la présomption réfutable selon laquelle une personne avec des troubles sans substrat organique dispose, en principe, de la volonté nécessaire pour surmonter ses douleurs et reprendre une activité professionnelle.
34.
D'après la jurisprudence constante de la Cour, l'article 14 complète les autres clauses normatives de la Convention et des Protocoles. Il n'a pas d'existence indépendante puisqu'il vaut uniquement pour ‘la jouissance des droits et libertés’ qu'elles garantissent. Certes, il peut entrer en jeu même sans un manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, possède une portée autonome, mais il ne saurait trouver à s'appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l'empire de l'une au moins desdites clauses (voir, parmi d'autres, Vallianatos et autres c. Grèce [GC], nos 29381/09 et 32684/09, § 72, CEDH 2013 (extraits); Fabris c. France [GC], no 16574/08, § 47, CEDH 2013 (extraits); ou Glor c. Suisse, no 13444/04, § 45, 30 avril 2009).
35.
En l'espèce, la question de savoir si le grief de la requérante peut être rattaché à l'article 8 de la Convention, comme elle le prétend, peut rester ouverte, le grief étant en effet irrecevable pour les raisons qui suivent.
36.
Selon la jurisprudence constante de la Cour, pour qu'une question se pose au regard de l'article 14, il doit y avoir une différence dans le traitement de personnes placées dans des situations comparables. Une telle différence est discriminatoire si elle ne repose pas sur une justification objective et raisonnable, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s'il n'y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Les États contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d'autres égards analogues justifient des distinctions de traitement (voir, parmi d'autres, Vallianatos et autres, précité, § 76; ou Burden c. Royaume-Uni [GC], no 13378/05, § 60, CEDH 2008). La notion de discrimination au sens de l'article 14 englobe également les cas dans lesquels un individu ou un groupe se voit, sans justification adéquate, moins bien traité qu'un autre, même si la Convention ne requiert pas le traitement plus favorable (Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 82, série A no 94).
37.
En l'espèce, la Cour constate que la différence entre un syndrome sans substrat organique et un syndrome avec substrat organique relève d'un diagnostic médical, de sorte que l'on ne peut pas prétendre que les personnes qui souffrent d'un syndrome sans substrat organique et celles qui souffrent d'un syndrome avec substrat organique, se trouvent dans une situation analogue ou comparable. En effet, les deux genres de syndromes se distinguent de par la présence ou l'absence d'une composante organique objectivable par les instruments de la médecine. Ainsi, le fait que la requérante, sur la base de ladite distinction, n'ait en définitive pas obtenu de rente d'invalidité, ne la discrimine pas par rapport à quelqu'un qui, atteint d'un syndrome avec substrat organique, aurait obtenu une rente d'invalidité, et ce pour la simple et bonne raison qu'il ne s'agit pas de situations analogues ou comparables.
38.
Par ailleurs, même en admettant le caractère analogue ou comparable des deux cas de figure, leur traitement différent trouverait sa justification objective et raisonnable dans le fait qu'une rente d'invalidité ne peut pas être accordée, notamment pour des raisons d'équité, d'économie et de politique sociale, sur la base d'un diagnostic purement subjectif, c'est-à-dire non objectivable par les instruments de la médecine. Dans ce sens, la critique de la requérante à la présomption jurisprudentielle réfutable selon laquelle une personne atteinte d'un syndrome sans substrat organique est en principe capable, avec un effort de volonté raisonnablement exigible, de surmonter ses douleurs et de travailler, ne s'avère pas convaincante, sans compter que si ladite présomption a été appliquée concrètement dans la première procédure, elle ne l'a pas été dans la deuxième, la capacité de travail de la requérante ayant été déterminée par les médecins experts du SMAB.
39.
En conséquence de ce qui précède, ce grief est manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention, de sorte que la requête doit être, sur ce point, rejetée en application de l'article 35 § 4 de la Convention.
C. Sur la violation alléguée de l'article 14, combiné avec les articles 2 et 3 de la Convention
40.
La requérante allègue également une violation de l'article 14 combiné avec les articles 2 et 3 de la Convention. Elle ne semble pas avoir suffisamment soulevé ce grief devant le Tribunal fédéral et, de ce fait, épuisé les voies de droit interne. En tout état de cause, elle ne l'a pas étayé devant la Cour. Par ailleurs, il est essentiellement le même que celui examiné sous l'angle de l'article 14 combiné avec l'article 8 de la Convention, de sorte qu'il doit être déclaré irrecevable.
41.
Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête irrecevable